Intervention de Ambroise Fayolle

Commission des affaires européennes — Réunion du 21 novembre 2019 à 8h35
Institutions européennes — Audition de M. Ambroise Fayolle vice-président de la banque européenne d'investissement

Ambroise Fayolle, vice-président de la Banque européenne d'investissement (BEI) :

Créée par le traité de Rome, la BEI fait partie de la famille des institutions, telles que la Commission européenne ou la Cour de justice de l'Union européenne, qui datent de 1957. On craignait à l'époque que le formidable développement économique qui serait rendu possible par la Communauté économique européenne ne laisse des problèmes d'intégration aux marges de l'Europe - on pensait surtout au Mezzogiorno. Notre siège est à Luxembourg et la BEI est assez centralisée, contrairement à d'autres institutions multilatérales. Nous sommes une banque, essentiellement, d'ingénieurs. Pour nous financer, nous empruntons sur les marchés, et nous prêtons. D'où l'importance de notre notation d'émetteur au triple A, qui nous permet d'emprunter et de prêter peu cher, puisque notre vocation n'est pas de faire du profit mais de faire bénéficier les projets que nous finançons des bonnes conditions de financement qui sont rendues possibles par notre notation.

Nous ne sommes pas une banque de réseau, nous n'avons pas de guichets. Nous finançons soit des banques, publiques ou privées, qui elles-mêmes répondent à nos priorités, soit des entreprises en direct, soit des fonds, qui eux-mêmes financent des entreprises. Ces financements prennent la forme de prêts ou de garanties.

Nous avons quatre priorités, définies par les autorités européennes : les infrastructures, la lutte contre le changement climatique, le financement des PME et le soutien à l'innovation. Nous les poursuivons à peu près à parts égales.

Nous finançons chaque année entre 60 et 70 milliards d'euros de projets. Environ 10 % du total sont situés en France, pour 7,2 milliards d'euros l'an dernier - ce qui est un peu supérieur à la moyenne, à cause du Brexit, qui a réduit le nombre de projets financés - correspondant à une centaine d'opérations. Cette année, nous financerons entre 7 et 8 milliards d'euros de projets en France. Nous y mettons un accent particulier sur le financement de l'innovation et de la lutte contre les effets du changement climatique. Nous avons beaucoup financé des infrastructures de type tramway, TGV, matériel roulant... Nous avons par exemple financé, dans l'Artois-Gohelle, un bus à haut niveau de service reliant les différentes villes. Nous finançons beaucoup de projets avec les banques publiques françaises que sont la Caisse des dépôts et consignations (CDC), la Banque des territoires et BpiFrance. Notre concours permet à la CDC de prêter à des collectivités territoriales de plus petite taille : nous lui avons ainsi prêté 2 milliards d'euros en 2016.

Nous avons aussi développé depuis quelques années le financement du logement social en France. Ainsi, l'an dernier, nous avons financé une entreprise, Canopée, qui regroupe des offices de la région Hauts-de-France, notamment dans la Somme, l'Aisne et l'Oise. Nous essayons aussi de travailler avec les régions pour les faire profiter de l'effet de levier que les financements de la BEI peuvent donner et pour favoriser un certain nombre de priorités territoriales. Nous avons ainsi financé des projets qui visent à développer le soutien aux PME, notamment en Normandie ou à la Réunion, ou des projets pour le développement de l'agriculture, notamment en Nouvelle-Aquitaine. Au niveau national, une grande initiative pour financer les jeunes agriculteurs a été annoncée par le Président de la République au Salon de l'agriculture : nous la soutenons. Nous avons financé aussi des projets dans le secteur du tourisme en région Occitanie. L'idée est toujours de transformer une partie des fonds structurels régionaux ou des enveloppes budgétaires nationales en instruments financiers qui permettent d'avoir un effet de levier encore plus important, pour financer plus d'entreprises ou d'agriculteurs.

Le plan Juncker résulte du constat qu'en Europe, au moment où Jean-Claude Juncker a pris la présidence de la Commission européenne, il y avait un gros déficit d'investissement, qui résultait non d'un problème de liquidités mais d'une difficulté pour les institutions financières à prendre plus de risques : l'investissement, c'est un risque. L'idée a été de faire bénéficier la BEI d'un fonds de garantie européen, pris sur le budget européen. Cela nous permet de prendre plus de risques sans mettre en péril notre notation AAA, et de faire venir sur des projets des institutions financières qui ne se seraient pas risquées sinon.

L'additionalité est un sujet que nous que nous regardons de très près : il est important de montrer que nous finançons des projets sur lesquels on a besoin du financement d'une institution publique. Sur les projets du plan Juncker, un comité d'investissement, composé d'experts, est chargé de dire si les projets que nous proposons sont ou non éligibles à la garantie européenne.

La France est le premier pays bénéficiaire du plan Juncker, en raison de la très forte mobilisation de l'institution, mais aussi des acteurs français, qui ont présenté des projets que le conseil d'administration a considérés comme particulièrement intéressants. Nous avons ainsi financé un certain nombre de projets dans le domaine de l'industrie. Je pense notamment à plusieurs fournisseurs de l'industrie aéronautique : Daher, Latécoère, Figeac Aero... Nous avons aussi financé des entreprises dans le secteur de l'agriculture, notamment des coopératives agricoles, comme Les Maîtres laitiers du Cotentin ou Sill Entreprises en Bretagne. Nous avons enfin financé un certain nombre de projets pour essayer de trouver des solutions au problème du manque de fonds propres des petites entreprises qui croissent très vite et sont très innovantes. Ainsi, dans le secteur de la santé, il y a des petites entreprises spécialisées sur certains types de cancers, ou une entreprise comme Carmat, qui travaille sur le coeur artificiel, ou encore Medincell, qui fait de la recherche sur le diabète. Nous avons financé ces entreprises en leur faisant des prêts leur permettant de continuer à faire leurs recherches tout en commençant la phase d'industrialisation ou de commercialisation de leur produit. Nous avons également aidé des entreprises dans l'intelligence artificielle. Il s'agit de projets allant de 10 à 50 millions d'euros.

L'accent a été mis sur les PME, qui constituent le principal secteur ayant bénéficié du plan Juncker en Europe, avec à peu près 30 % des financements. Le deuxième secteur est celui de la recherche et de l'innovation, avec 26 %.

L'objectif initial avait été de réunir 315 milliards d'euros pour la période 2015-2018, soit à peu près 100 milliards d'euros par an. Vu le succès, on a étendu cet instrument jusqu'à fin 2020, pour mobiliser en tout 500 milliards d'euros d'investissements. Nous en sommes à 440 milliards d'euros, c'est-à-dire que nous sommes un peu en avance. Nous devrions atteindre les 500 milliards d'euros sans difficulté fin 2020.

La France est le principal pays bénéficiaire, en termes quantitatifs, du plan Juncker, mais si l'on regarde les volumes en fonction du PIB, les principaux pays bénéficiaires sont la Grèce et la Lituanie. Parmi ceux qui suivent, aucun pays de l'ouest de l'Europe : il y a surtout des pays du sud de l'Europe, notamment le Portugal et l'Espagne, et des pays de l'est de l'Europe, notamment les nouveaux pays membres de l'Union européenne.

Le Brexit nous a beaucoup préoccupés. Le Royaume-Uni est le premier actionnaire de la BEI, à égalité avec la France, l'Allemagne et l'Italie, à hauteur de 16,5 % du capital. Les statuts disent très clairement que, le jour où un pays sort de l'Union européenne, il sort de la BEI.

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