Intervention de Jean-René Binet

Commission spéciale sur la bioéthique — Réunion du 28 novembre 2019 à 10h15
Audition commune sur les conséquences de l'extension de l'assistance médicale à la procréation sur le droit de la famille

Jean-René Binet, professeur de droit privé à l'Université de Rennes 1 :

Je me permettrai d'émettre sur ce point une voix discordante. Si l'on envisage les choses sous l'angle de la compassion que l'on doit à la femme durement éprouvée par le décès de son mari ou de son compagnon, nous ne pourrions qu'être enclins à lui apporter ce secours. Mais il faut avoir conscience de plusieurs réalités.

Tout d'abord, il existerait un risque de confusion de sentiments. Le deuil est une épreuve. Ajouter au deuil la possibilité ou non du transfert des embryons est une question qui peut difficilement s'appréhender dans un tel moment. Cela supposerait nécessairement de retarder dans le temps l'implantation des embryons. Cette démarche réglerait une question et en susciterait une autre. L'enfant viendrait au monde plusieurs mois, voire une année ou deux après le décès de son père. Et il arrivera un moment où cet enfant prendra conscience du fait qu'il est né bien trop longtemps après le décès de son père pour que les choses aient été tout à fait ordinaires. Comment un enfant pourra-t-il se construire en s'imaginant avoir été procréé par un mort ? En effet, au moment où il a commencé sa vie utérine, son père était mort depuis déjà six mois au moins. C'est une question terriblement compliquée.

Lors de la précédente révision de la loi bioéthique, l'idée de l'AMP post mortem avait été avancée dans le projet de loi. Or les citoyens réunis en états généraux de la bioéthique avaient estimé qu'il n'existait pas de bonne solution en la matière. S'appuyer sur le fait que des enfants naissent orphelins pour favoriser la naissance d'enfants orphelins ne paraissait pas un bon argument méritant d'être suivi par le législateur.

Je crois que nous faisons face à une question éthique très compliquée, qui résulte de l'existence d'embryons congelés. Peut-être pourrions-nous nous interroger sur la pertinence de la poursuite de cette congélation, sachant que l'évolution des techniques permettrait de s'en passer.

C'est l'interdiction de cette technique en Italie qui a rendu possible la réussite de la cryoconservation des ovocytes. Aujourd'hui, avec la vitrification ovocytaire, est-il vraiment pertinent de continuer à congeler des embryons, d'autant que les recommandations actuelles tendent vers le transfert d'un ou de deux embryons seulement ? En avoir en stock ne semble donc pas indispensable. Et en l'absence de stock la question du transfert d'embryons post mortem ne se posera plus.

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