Intervention de Marie Mesnil

Commission spéciale sur la bioéthique — Réunion du 28 novembre 2019 à 10h15
Audition commune sur les conséquences de l'extension de l'assistance médicale à la procréation sur le droit de la famille

Marie Mesnil, maîtresse de conférences en droit privé à l'Université de Rennes 1 :

La question de l'assistance amicale à la procréation se trouve plutôt à mon sens en dehors du cadre médical. Le projet de loi pourrait tout à fait appréhender cette hypothèse.

La difficulté est qu'en pareil cas l'ami qui fournirait son sperme pourrait établir sa filiation et faire obstacle à l'établissement de la filiation de la seconde femme. En effet, s'il est démontré que l'enfant n'est pas issu du tiers donneur il serait possible pour le géniteur de remettre en cause la filiation à l'égard de la seconde mère et d'établir sa propre filiation.

Dans l'hypothèse où un couple de femmes irait devant notaire faire une reconnaissance prénatale conjointe, et finalement préférerait avoir recours à un ami plutôt que se rendre dans un centre de PMA, ces femmes pourraient tout à fait établir leur filiation par le biais de la reconnaissance prénatale conjointe - puisque l'on ne vérifierait pas que l'enfant est bien issu du don. Mais si l'homme se manifeste, en tant que géniteur il aurait le droit d'établir sa paternité, ce qui remettrait en cause la filiation des deux femmes - si la filiation est indivisible au stade de son établissement. La femme qui accouche devrait donc établir sa filiation à la suite de cette remise en cause, à titre contentieux, sur le fondement de l'accouchement.

La difficulté est que le nouveau système ne pense pas toutes les situations potentiellement problématiques, notamment les conflits possibles entre les femmes. Nous ne pouvons pas idéaliser la conjugalité lesbienne. Les cas de recours à l'adoption de l'enfant d'une conjointe le montrent bien : il existe des situations de rupture dans lesquelles la filiation n'est pas établie. Et toutes ces situations conflictuelles soulèveraient des difficultés au regard du mécanisme d'indivisibilité des filiations maternelles.

S'agissant de la question de l'extension du droit commun, il ne s'agit pas d'ouvrir tout le titre VII aux couples lesbiens, ni de permettre à toutes les femmes d'établir un lien de filiation par présomption de co-maternité ou par reconnaissance, mais d'étendre le droit commun uniquement à celles qui peuvent justifier d'un recours à un don de gamètes en présentant l'acte notarié.

Il n'est donc pas question de remettre intégralement en cause le système du titre VII qui serait fondé sur la vraisemblance biologique, mais uniquement d'étendre le dispositif existant déjà pour les couples hétérosexuels ayant recours à un don de sperme, pour lesquels nous savons qu'il n'existe pas de vérité biologique. Dans ce cas, le fondement de la filiation paternelle est le consentement au don. Le même fondement s'appliquerait pour la seconde femme au sein d'un couple lesbien.

Par ailleurs, la question du secret est importante pour les couples hétérosexuels ayant eu recours à un don de gamètes. Une proposition faite devant l'Assemblée nationale visait à permettre aux parents qui le souhaitaient de refuser que les centres de PMA procèdent à l'appariement. Dès lors, les centres ne choisissaient pas le donneur de sperme ou la donneuse d'ovocytes en fonction du phénotype du parent stérile, donnant ainsi aux parents la possibilité d'échapper au mimétisme biologique visant à créer un enfant le plus ressemblant possible pour maintenir le secret. L'idée était de laisser aux parents non le choix du donneur, mais le choix de l'aléa - soit le choix le plus proche de la biologie.

S'agissant de la multiparenté, il est déjà possible d'avoir trois parents, dans le cadre de la procédure d'adoption de l'enfant du conjoint. En revanche, en cas de recomposition familiale, si chacun des parents a refait sa vie, un seul des deux parents peut établir un lien de filiation. Des évolutions pourraient s'avérer nécessaires sur ce point.

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