Intervention de Patrick Berg

Commission d'enquête Incendie de l'usine Lubrizol — Réunion du 21 novembre 2019 à 15h30
Audition de M. Patrick Berg directeur régional de l'environnement de l'aménagement et du logement de normandie

Patrick Berg, directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Normandie :

Sans être trop long, il me semble nécessaire de revenir à l'accident de 2013. Lubrizol est un fabricant d'additifs pour lubrifiants et, chimiquement, c'est le soufre qui fait la qualité de ses lubrifiants. Le soufre est présent à Rouen depuis 1769, date de l'installation de la première fabrique de tissu peint dits « indiennes » destinées à concurrencer les importations en provenance d'Inde. On utilisait alors l'acide sulfurique pour blanchir le coton afin d'y imprimer efficacement la couleur. Cela fait donc 250 ans que l'industrie du soufre est installée à Rouen, rive gauche, alors que certains semblent découvrir cette usine et la présence de soufre.

En 2013, un opérateur est parti un vendredi soir en laissant deux agitateurs tourner dans la cuve dans laquelle se trouvait un produit à base de soufre : le dialkyldithiophosphate de zinc qui contient non seulement du zinc mais aussi du phosphore et du soufre. Or quand on agite trop le soufre, il s'échauffe et commence à sentir très mauvais. Comme vous le savez, le nez humain capte les émanations soufrées de mercaptan même à des doses extrêmement faibles : ce n'est pas dangereux, mais très malodorant. D'ailleurs, en 2013, on l'a senti durant un jour et demi, et nous avons constaté que l'exploitant ne maîtrisait pas totalement son process puisque l'unité Socrematic servant au rabattement des odeurs n'a pas réussi à supprimer celles de soufre. En conséquence, une partie des visites effectuées après 2013 avaient pour but de prescrire un renforcement de l'efficacité et du rendement de cette unité et de vérifier que ces prescriptions avaient bien été réalisées.

On a constaté deux ans après, en 2015, que certains travaux n'étaient pas réalisés. Lubrizol a donc reçu à cette époque une mise en demeure lui demandant d'effectuer ces travaux rapidement et le récolement a eu lieu fin 2016.

L'incendie du 26 septembre dernier a entièrement détruit les hangars 4 et 5 et les fûts présents dans la cour, entre les deux hangars ; le feu a également échauffé un stockage sur le côté du hangar 5, à l'extérieur, contenant 1 389 fûts. Cette information a été fournie par l'exploitant, qui a d'abord dû tout nettoyer pour les compter. Parmi ces 1 389 fûts, 166 contiennent cet agent susceptible, lorsqu'il est échauffé, de produire des mauvaises odeurs. Le mercaptan n'est pas dangereux - il faudrait en absorber des quantités phénoménales pour qu'il le devienne -, mais il est très incommodant. Il peut aussi - chose plus délicate dans certaines cas de réchauffement - produire de l'hydrogène sulfuré (H2S) qui est un gaz plus dangereux et plus toxique. C'est pourquoi ces 1 389 fûts sont pour nous une priorité en termes de prévention du risque de suraccident. Les autres fûts contiennent des additifs fabriqués par l'usine.

Lubrizol collecte aujourd'hui tous les fûts, qui sont parfois complètement brûlés, vides ou endommagés. Si le fût s'est échauffé, il peut contenir un léger ciel gazeux de mercaptan et un peu d'H2S. C'est pourquoi nous avons prescrit une méthode extrêmement rigoureuse d'élimination de ces fûts, avec un raccordement à l'unité de rabattement des odeurs qui n'a pas été détruite par l'incendie.

Pour ce qui est du PPI, le préfet prend la main lorsque l'exploitant n'arrive pas à maîtriser un accident. Je rappelle que les installations classées Seveso seuil haut doivent disposer d'un POI. Le PPRT, quant à lui, est un document créé par la loi dite Bachelot de 2003 afin de réduire les risques à la source dans les sites Seveso présents sur le territoire en 2003, et par déplacement d'équipements ou réduction du niveau de stockage des produits dangereux. Ce travail a été conduit de manière très pragmatique et c'est la Dreal qui, avec l'exploitant, est à la manoeuvre. C'est ensuite la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) qui se charge du règlement d'urbanisme.

Votre interrogation porte également sur la toxicité chronique. Celle-ci ne relève pas du PPRT, qui est un outil de maîtrise des effets sur l'environnement du site Seveso seuil haut existant en 2003. Aujourd'hui, un site Seveso seuil haut qui s'installe - ce qui est assez rare - doit respecter les limites prescrites. Si d'aventure il les dépasse un peu, des servitudes y sont associées. En Normandie, je précise que tous les PPRT ont été approuvés. Le dernier l'a été début 2019 et celui de Lubrizol a été approuvé en 2014.

La maîtrise des risques toxiques, des rejets dans l'eau, dans l'air et dans les milieux relèvent de l'étude d'impact. Il s'agit d'une notion franco-française plus ancienne que l'étude d'impact de l'évaluation environnementale, au sens de la directive européenne. Elle est ciblée sur la maîtrise des émissions en « régime de croisière », par application des règles de limitation des émissions dans l'eau et dans l'air.

Parmi les différents risques accidentels, on trouve le risque d'incendie, le risque d'explosion et le risque toxique. Le risque incendie comprend les émissions toxiques liées au panache de fumée. Ceci figurait dans l'étude de danger que nous avons analysée : nous avons constaté qu'elle était à jour et répondait aux questions que nous nous posions.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion