Mes chers collègues, nous avons le plaisir de recevoir ce matin le professeur Jean-Marc Ayoubi, chef de service Gynécologie-Obstétrique et Médecine de la reproduction de l'Hôpital Foch, pour nous parler de la Procréation médicalement assistée (PMA).
Il s'agit pour nous d'un sujet d'actualité, en lien avec l'examen du projet de loi bioéthique par le Parlement. Je rappelle que sept collègues de notre délégation sont membres de la commission spéciale chargée, au Sénat, d'examiner ce texte : Maryvonne Blondin, Guillaume Chevrollier, Laurence Cohen, Chantal Deseyne, Loïc Hervé, Michelle Meunier et Laurence Rossignol.
Je précise que le professeur Ayoubi est un praticien particulièrement réputé de la médecine de la reproduction, puisqu'il est à l'origine de la première greffe d'utérus réalisée en France. En outre, le professeur Ayoubi exerce à l'Hôpital Foch de Suresnes, au sein duquel a été créé en 2016 un nouveau centre d'Assistance Médicale à la Procréation (AMP), à la renommée incontestable.
Monsieur le Professeur, au moment de l'inauguration de ce centre, vous présentiez l'ambition d'une structure alliant « à la fois la meilleure technicité, l'humanisme et l'amélioration du parcours de soins des patientes en gardant le couple au centre de notre attention ».
Nous souhaiterions recueillir votre éclairage de médecin sur l'ouverture de la PMA à toutes les femmes, qu'il s'agisse de couples de femmes ou de femmes seules. En tant que praticien expérimenté de l'AMP, comment appréhendez-vous cette évolution inscrite dans le projet de loi ?
Quelles pourraient être les conséquences pratiques de cette ouverture sur le recours et l'accès à la PMA, ainsi que sur la prise en charge des familles concernées, par rapport à la situation actuelle ?
Certains redoutent une pénurie des dons. Cette crainte vous semble-t-elle fondée ?
Vous l'aurez compris, nous comptons sur vous pour aider les membres de la délégation à voir plus clair dans les dispositions du texte bioéthique relatives à la PMA.
Monsieur le Professeur, je tiens à vous remercier au nom de tous mes collègues pour votre disponibilité. Nous sommes tous conscients de la charge de travail qui est la vôtre et nous vous remercions donc sincèrement d'être venus jusqu'à nous.
À la suite de votre intervention, nous vous poserons des questions pendant un temps d'échanges.
Je vous remercie et vous donne la parole.
Professeur Jean-Marc Ayoubi, chef de service Gynécologie-Obstétrique et Médecine de la reproduction de l'hôpital Foch. - Merci beaucoup, Madame la présidente, de cette très belle introduction correspondant parfaitement à la situation hospitalière et clinique qui est la mienne.
Je ferai une présentation de l'état et de la prise en charge de l'infertilité en France aujourd'hui et je répondrai ensuite à vos questions.
Le hasard fait qu'aujourd'hui est la Journée nationale pour l'hôpital. Aussi, avant de commencer mon intervention sur la PMA, je ne peux qu'insister sur la place et le rôle de l'hôpital en France, ainsi que sur la qualité des soins de l'hôpital public et de l'hôpital en général. Je souligne le rôle des médecins, mais aussi celui des équipes soignantes, quelquefois occultées et pourtant au centre de notre système de soins, qui reste pour moi, malgré toutes les difficultés, l'un des meilleurs systèmes au monde. Notre intervention et notre mobilisation ont pour objectif de pérenniser et améliorer ce système, sans perdre ses qualités qui nous donnent tant de fierté.
Je ne suis cependant pas venu parler de l'hôpital en général, mais répondre à vos questions au sujet de la nouvelle révision de la loi bioéthique. Je vous remercie beaucoup de m'accueillir dans cette délégation pour cette présentation. J'aborderai ce sujet complexe de l'assistance médicale à la procréation (AMP) en trois temps. Tout d'abord, je ferai un survol rapide de quelques données sur l'infertilité et sa prise en charge, ainsi que des pratiques autorisées - ou pas - aujourd'hui en France. Ensuite, j'aborderai la révision de la loi bioéthique, s'agissant des dispositions relatives à l'AMP, en détaillant les mesures « consensuelles » et en insistant sur certains articles et amendements suscitant davantage de questions que de réponses. Je terminerai enfin sur les mesures ignorées par cette loi, qu'il me semble pourtant indispensable d'envisager à court terme.
L'infertilité est réellement un problème de santé publique, dans la mesure où elle touche environ un couple sur cinq ou un couple sur six. Cette référence à la santé publique est souvent utilisée pour des pathologies beaucoup plus rares. L'infertilité est au centre de la préoccupation des couples et la PMA, depuis les naissances de Louise Brown en 1978 et d'Amandine en 1982, fait partie du quotidien de notre service de Gynécologie-Obstétrique. La prise en charge de l'infertilité via la PMA donne lieu à 30 000 naissances par an, sur un total de 700 000 à 800 000 naissances en France. Ainsi, dans chaque classe aujourd'hui, un à deux enfants scolarisés sont nés par PMA.
Plus de la moitié des couples s'adressant à un centre d'AMP en France obtiendront la grossesse souhaitée et une part non négligeable de la moitié restante concevra naturellement un enfant après l'arrêt de tout traitement. 5 % des AMP sont réalisées avec au moins un don de gamète. Concernant les dons de sperme, la situation est équilibrée, avec environ 300 donneurs par an sur le territoire, satisfaisant quelque 2 000 demandes, essentiellement pour des couples dont l'infertilité est due à un problème masculin. Les femmes seules et les couples de femmes s'adressent majoritairement aux centres étrangers. Seuls 200 à 250 enfants naissent suite à un don d'ovocyte effectué en France, celui-ci étant autorisé dans certaines conditions, sur lesquelles nous pourrons revenir dans la suite des échanges. Nous constatons une pénurie d'ovocytes qui conduit les patientes à se rendre à l'étranger, essentiellement en Espagne, en Grèce et en République tchèque. Nous estimons que 3 000 à 4 000 femmes bénéficient d'une fécondation in vitro (FIV) à l'étranger avec don d'ovocyte, qu'il s'agisse de femmes seules ou en couple homosexuel ou hétérosexuel.
Outre ces femmes et ces couples ayant recours au don d'ovocyte à l'étranger, 1 000 à 1 500 femmes seules bénéficient d'une préservation de la fertilité ou cryo-préservation des ovocytes. Elles s'adressent également à des centres étrangers, puisque la cryo-préservation ovocytaire pour convenance personnelle n'est pas autorisée en France. Elle doit s'accompagner d'une indication médicale en cas de cancer, de chimiothérapie ou d'endométriose sévère. La dernière révision de la loi bioéthique est toutefois ambivalente, puisqu'elle subordonne la cryo-préservation ovocytaire pour convenance personnelle au fait que la moitié des ovocytes prélevés fassent l'objet d'un don. Cette disposition sera vraisemblablement modifiée dans la nouvelle révision de la loi.
J'ajoute trois constats à cet état des lieux de l'infertilité en France. Le premier a trait au recul de l'âge moyen de la maternité. En vingt ans, l'âge moyen à la naissance du premier enfant est passé de 25 ans à plus de 30 ans, voire 32 ans dans certaines maternités. Le deuxième constat concerne la diminution de la fertilité de la femme à partir de 32, 33 ou 34 ans. Cet état de fait est malheureusement ignoré par les patientes et par certains professionnels de santé et amène des patientes de 35 ans à apprendre qu'elles sont stériles alors qu'elles n'avaient aucune raison de le suspecter. Le troisième constat porte sur la nette détérioration du spermogramme - en qualité comme en quantité - depuis vingt ans. Cette altération est la conséquence du stress, du tabagisme, de facteurs environnementaux et des perturbateurs endocriniens. Cette détérioration des résultats du spermogramme peut être aussi amplifiée par l'amélioration des techniques de comptage des spermatozoïdes.
Avoir conscience de ces chiffres me semble important pour aborder la révision de la loi bioéthique, obligatoire tous les cinq ans, et en saisir la nécessité.
Partant de ces constats, j'ai cosigné avec 150 professionnels de santé une tribune en quatre points, parue dans le journal Le Monde en 2017 à l'initiative de René Frydman. Elle préconisait le développement du don d'ovocytes en France, l'analyse génétique de l'embryon, l'autoconservation ovocytaire et la PMA pour toutes. Ce manifeste a été adressé à tous les candidats à l'élection présidentielle. Seul Emmanuel Macron y a répondu, manifestant ainsi son intérêt pour ce sujet.
En outre, la révision de cette loi a été précédée par des États Généraux ayant mobilisé énormément de ressources et de débats, ce qui a abouti à un excellent rapport du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), qui contribue à enrichir le projet de loi.
Enfin, ce dernier ne se résume ni à la PMA, ni à la PMA pour toutes, et contient d'autres dispositions éclipsées par le buzz médiatique autour de la PMA, que j'ai rebaptisée dans ce contexte « procréation médiatiquement assistée » !
Nous soutenons la PMA pour toutes dans le manifeste - elle concernerait tout au plus 5 000 à 6 000 femmes, car nous sommes témoins du calvaire vécu par ces femmes contraintes de partir à l'étranger pour réaliser des techniques d'AMP pourtant maîtrisées en France.
Par ailleurs, au-delà de toute considération personnelle et de position partisane, la PMA pour toutes soulève un certain nombre de questions. Je pense à la pénurie de sperme qui pourrait toucher particulièrement les femmes seules. Malgré l'équilibre précaire du don de sperme, nous espérons que l'accès de la PMA à toutes les femmes s'accompagnera d'un surcroît d'information et incitera par là-même d'autres donneurs à se manifester. On ne peut toutefois exclure que l'ouverture de la PMA à toutes les femmes entraîne une pénurie de dons de sperme.
Je ne veux pas aborder tout de suite la deuxième question tenant à la possibilité de lever l'anonymat autour du don. Est-ce qu'elle engendrera une diminution importante des dons de sperme ? Nous espérons que l'information et la médiatisation autour de la PMA pour toutes motiveront d'autres donneurs, permettant ainsi de garder l'équilibre au niveau du don de sperme. De même, la question de la filiation, sur laquelle je m'exprime en tant que citoyen dans la mesure où elle ne relève pas du domaine médical, est assez difficile à appréhender et soulève beaucoup d'interrogations. À titre purement personnel je ne suis pas favorable à la levée de l'anonymat.
Enfin, le projet de loi nous laisse, experts de la PMA, sur notre faim puisqu'il ne prévoit pas la place nécessaire à l'information et n'aborde que très partiellement la prévention. Or nous estimons que celles-ci doivent intervenir de manière conséquente et très tôt dans la vie d'une femme. Cependant, une jeune fille de 17 ans sera-t-elle sensible au fait que la fertilité d'une femme diminue à partir de 30 ans ? Il faut tout de même l'avoir à l'esprit. Il vaut mieux quelquefois accélérer et renforcer les mesures de prévention de l'infertilité plutôt que de courir derrière les méthodes pour traiter l'infertilité.
Outre ces deux points, la question du diagnostic génétique de l'embryon pendant les tentatives de FIV a été complètement occultée du projet de loi. Un amendement sur ce sujet a été rejeté. Je rappelle que ce diagnostic intervient dans certaines indications d'échecs d'implantation. À titre d'exemple, le cas d'une patiente de 39 ans ayant subi trois échecs en raison d'aberrations chromosomiques ou celui d'une femme ayant eu trois grossesses par FIV qui se sont arrêtées à sept, huit et dix semaines constituent des situations dramatiques. Nous estimons que proposer un diagnostic génétique dans ces cas de figure, afin de transférer uniquement les embryons exempts d'aberrations chromosomiques, permettrait d'améliorer les résultats et d'apporter un confort très important à ces personnes, sans pour autant dériver vers l'eugénisme et la sélection génétique. Je pense que cette question a été malheureusement écartée pour éviter de compliquer la révision de la loi et de fragiliser l'adoption de la mesure phare qu'est la PMA pour toutes. Cela aura pour conséquence de reporter l'étude du diagnostic génétique à la prochaine révision, c'est-à-dire dans très longtemps. À cet égard, je voudrais signaler que le problème des grossesses arrêtées et de la baisse de la fertilité entraînant des échecs d'implantation à répétition reste un vrai problème de santé publique qui a été complètement mis de côté dans la révision en cours de la loi bioéthique.
Il est important de rappeler ici et en dehors de toute la révision de la loi de bioéthique, l'effort qui doit être déployé pour la prise en charge et l'accompagnement des femmes présentant une grossesse arrêtée avant le troisième mois. Ces grossesses obtenues spontanément ou après PMA et arrêtées précocement, ne bénéficie d'aucune prise en charge digne de notre système de soins. Une prise en charge clinique et psychologique doit être proposée à ces femmes enceintes qui voient s'évaporer du jour au lendemain un projet de naissance quelque fois pour la deuxième ou la troisième fois, souvent sans aucun accompagnement. Ces grossesses arrêtées ou fausses couches spontanées représentent plus de 100 000 cas par an (une grossesse sur cinq à une grossesse sur six).
Voilà ce que je pouvais dire sur l'état de l'infertilité et de sa prise en charge en France aujourd'hui. J'ai bien sûr été très succinct pour répondre à vos questions. Je vous remercie.
Merci, Professeur, pour ces propos très clairs. Les sénateurs et sénatrices présents ce matin s'associent à vos propos liminaires concernant l'hôpital, alors que le Sénat examine le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). Aussi, les budgets consacrés aux soins et aux hôpitaux font évidemment partie de nos préoccupations. Nous sommes tous convaincus de la qualité de l'offre de soins en France, qui vise l'excellence. Bien que l'on évoque souvent les déserts médicaux, le personnel soignant et les médecins travaillent au quotidien avec professionnalisme, malgré des conditions souvent difficiles.
J'ai été assez surprise des données que vous avez citées, et qui rejoignent en un certain sens le travail que j'avais mené conjointement avec Françoise Laborde sur la santé des femmes en 2015. À travers ce chiffre d'une grossesse sur cinq qui n'est pas menée à terme, je réalise que nous manquons encore connaissances sur ce sujet. Nous avions vu à l'occasion de ce rapport que les études concernant la santé sont souvent fondées sur des données masculines et que les spécificités féminines n'étaient pas toujours bien prises en compte.
La première partie de vos propos concernait les données sur l'infertilité. Je pense effectivement qu'il était important de rappeler ce cadre, alors que la PMA est souvent mentionnée comme une réponse à une demande sociétale. Ces statistiques mettent en perspective le contexte dans lequel s'inscrit le projet de loi.
S'agissant de cette révision de la loi bioéthique et de la PMA, il me semble avoir perçu quelques réticences de votre part vis-à-vis de l'extension de la PMA, en raison de la crainte de la pénurie de dons, des difficultés que peut poser la levée de l'anonymat et des problèmes liés à la filiation. En tout état de cause, les données sur l'âge de l'infertilité que vous avez évoquées sont particulièrement inquiétantes.
Professeur Jean-Marc Ayoubi. - Je n'ai fait état d'aucune réticence. La PMA pour toutes faisait partie des quatre points du manifeste publié dans Le Monde en 2017, bien avant la révision de la loi bioéthique. J'ai signé ce manifeste ; je n'exprime donc aucune réserve sur la PMA pour toutes.
En réalité, je souhaitais insister sur la nécessité que l'ouverture de la PMA à toutes les femmes s'accompagne d'une information suffisante et de mesures de prévention. Il ne faudrait pas que l'on vote cette extension de la PMA, pour découvrir dans deux ans qu'il n'y a pas assez de donneurs. En tant qu'expert, ce n'est pas le chiffre de 5 000 patientes qui m'intéresse. Toute patiente m'intéresse et le cas de chacune est important. C'est un problème de santé publique. La question est qu'il ne faut pas que l'on se retrouve dans une situation où l'on ne pourrait pas appliquer ce qui a été décidé dans le cadre de la révision de la loi bioéthique. Je suis là en lanceur d'alerte, comme nous l'avons fait en 2017.