Intervention de Alain Milon

Commission spéciale sur la bioéthique — Réunion du 20 novembre 2019 à 13h50
Audition de représentants de la fédération française des cecos centres d'étude et de conservation des oeufs et du sperme humain et de la fédération des blefco biologistes des laboratoires d'étude de la fécondation et de l'oeuf

Photo de Alain MilonAlain Milon, président :

Nous poursuivons nos travaux sur le projet de loi relatif à la bioéthique par l'audition commune de professionnels directement impactés par les dispositions relatives à l'assistance médicale à la procréation. Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo, retransmise en direct sur le site du Sénat. Elle sera ensuite consultable à la demande.

Pour la Fédération nationale des Centres d'Études et de Conservation des OEufs et du Sperme (CECOS), nous recevons le Professeur Nathalie Rives, Présidente, le Professeur Catherine Guillemain, vice-présidente, et le Docteur Sophie Mirallie, Secrétaire générale. Pour la Fédération des biologistes des laboratoires d'étude de la fécondation et de la conservation de l'oeuf (BLEFCO), nous accueillons le Professeur Rachel Levy, vice-présidente, le Professeur Nelly Achour-Frydman, coordinatrice, ainsi que le Docteur Patrice Clément, membre de la Fédération.

Professeur Rachel Levy, vice-présidente de la Fédération nationale des BLEFCO. - La Fédération des BLEFCO est la société savante réunissant l'ensemble des praticiens des laboratoires publics et privés de l'assistance médicale à la procréation en France. Nous représentons à ce jour 290 membres adhérents actifs et l'ensemble des centres d'AMP français. Nous saluons le projet de révision de la loi de bioéthique, en particulier l'accès à l'AMP pour les femmes en couple ou célibataires et la possibilité d'autoconservation des ovocytes en dehors d'une pathologie.

Nous souhaitons aborder la mise en place d'un plan national sur la fertilité et l'AMP. Le premier versant porterait sur la prévention, la pédagogie et l'éducation. L'objectif serait l'information aux adolescents, jeunes adultes et adultes, femmes et hommes, au sujet de la physiologie de la reproduction, des effets de l'âge, mais également des modes de vie, sur la fertilité. Le deuxième versant serait consacré à la recherche, notamment sur les causes d'infertilité. Nous plaidons pour un soutien fort à la recherche clinique et fondamentale dans le domaine de la fertilité par le biais d'appels d'offres dédiés. Enfin et surtout, nous souhaitons l'engagement d'une réflexion médico-économique sur la situation actuelle des activités biologiques des activités d'AMP et l'impact des modifications prévues par la loi de bioéthique. De notre point de vue, elles devraient aboutir à une juste valorisation de ces activités.

Notre discipline relève d'une biologie hautement spécialisée et interventionnelle. Il n'est pas possible de déplacer des gamètes pour centraliser cette activité sur un seul site, d'automatiser cette activité ou de travailler en série. Aucune économie d'échelle n'est envisageable en AMP. Par ailleurs, nous devons faire face à des évolutions technologiques rapides et à des contraintes réglementaires coûteuses et chronophages. À côté de la diminution récente de la cotation de l'acte de micro-injection, nous avons salué la cotation en B des activités de vitrification ovocytaires et embryonnaires. Cependant, nous restons vigilants à l'égard des négociations à venir en 2020 et 2022. Pour que le texte de loi soit applicable dans des conditions satisfaisantes, il est indispensable qu'une cartographie précise soit réalisée région par région au sujet de l'adéquation entre l'offre de soins actuelle des centres, leurs moyens et les futures demandes afin que chaque centre d'AMP puisse disposer des moyens adéquats en temps médical et paramédical et en équipements. Enfin, nous souhaitons être interrogés sur la question de l'AMP post mortem.

Docteur Patrice Clément, membre de la Fédération nationale des BLEFCO. - Je vous remercie de nous faire participer à vos travaux. Je souhaite intervenir au sujet de la problématique de l'autoconservation telle qu'elle est décrite dans l'article L. 2141-12 proposé par l'article 2 du projet de loi, qui limite aux centres d'AMP publics et privés à but non lucratif la possibilité de réaliser l'autoconservation des gamètes. Cet article est discriminatoire vis-à-vis du secteur privé à but lucratif, puisqu'il prive les patients de la possibilité de choisir librement leur centre d'AMP. Interdire aux praticiens libéraux de pratiquer l'autoconservation des gamètes signifiera une orientation de la patientèle vers un nombre nécessairement limité de structures d'accueil publiques et privées à but non lucratif. Cette mesure aura pour effet direct et immédiat une entrave à l'accès aux soins des patients ainsi qu'un allongement du délai de prise en charge. Elle aura des conséquences contraires à l'intérêt supérieur des patients qui attendaient une ouverture vers une AMP accessible à tous, dans des délais compatibles avec la capacité réelle des centres.

Les professionnels médicaux libéraux ont les mêmes compétences que leurs collègues du secteur public. Ils réalisent 47 000 tentatives annuelles d'AMP parmi les 92 000 recensées par l'Agence de la biomédecine. Ils sont soumis aux mêmes inspections de l'Agence régionale de santé et de l'Agence de la biomédecine. Ces seuls chiffres sur l'activité prouvent l'indiscutable attachement et la confiance des patients vis-à-vis de ce mode d'exercice. La demande de modification de l'article L. 2141-12 est soutenue par la grande majorité des acteurs de l'assistance médicale à la procréation en France, qu'ils relèvent du secteur public ou du secteur libéral, ainsi que par la grande majorité des sociétés savantes de notre discipline.

Professeur Nelly Achour-Frydman, coordinatrice de la Fédération nationale des CECOS. - Je vous propose d'aborder l'évolution technologique en AMP et le diagnostic préimplantatoire, qui est ma spécialité. La suppression du diagnostic préimplantatoire associé au typage HLA soulève des questions éthiques évidentes et paraît surprenante. Cette pratique concernait un faible nombre de couples, ayant un enfant atteint d'une maladie génétique rare, souvent issus d'un niveau socioéconomique peu favorisé et, surtout, sans représentation associative. Ils représentaient donc une cible sans défense. De ce point de vue, la suppression de cet accès aux soins est condamnable.

Par ailleurs, les débats à l'Assemblée nationale montrent que la majorité des députés n'a pas souhaité l'autorisation en pratique courante de la recherche d'anomalies chromosomiques sur l'embryon. Cette technique est appelée « diagnostic préimplantatoire des anomalies chromosomiques ». Le risque de dérives eugénistes, évoqué dans les débats, a heurté la communauté médicale et mérite d'être discuté. Le gouvernement a renvoyé cette question à l'article 14 du projet de loi qui rendrait possible cette pratique sous couvert d'une recherche clinique. Par conséquent, un financement dans le cadre du plan relatif à la fertilité, abordé à l'origine, doit être consacré à ce type de protocole de recherche.

Professeur Nathalie Rives, Présidente de la Fédération nationale des CECOS. - La Fédération nationale des centres d'étude et de conservation des oeufs et du sperme humain comprend vingt-neuf centres répartis en France métropolitaine et dans les départements d'outre-mer, associés au sein des centres hospitaliers universitaires et des praticiens qui, pour la majorité d'entre eux, exercent une activité biologique et clinique d'enseignement et de recherche.

Nous saluons un certain nombre d'avancées proposées dans le cadre du projet de loi adopté par l'Assemblée nationale. Il s'agit de l'ouverture de l'AMP avec tiers donneur aux couples de femmes et aux femmes non mariées, de l'autorisation sans l'encourager de la conservation des gamètes en dehors des indications médicales, des conditions d'âge qui seront définies pour cette conservation des gamètes, mais également des conditions d'âge pour le recours à l'AMP.

Le projet de loi prévoit la possibilité d'arrêter la conservation des gamètes et des tissus germinaux, ce qui nous paraît extrêmement important pour gérer les difficultés rencontrées en matière de stockage des échantillons pour les patients qui ne s'inquiètent plus des échantillons conservés. Il nous permet également de mettre en place une évaluation de la loi à l'issue de cinq années. Cela nous semble important afin d'évaluer l'impact de l'AMP avec tiers donneur sur le fonctionnement des activités et l'accessibilité aux soins. Le projet de loi maintient un principe fondamental et fondateur pour tout type de don d'éléments et produits du corps humain, à savoir la gratuité du don en accord avec la non-marchandisation des éléments et produits du corps humain. Nous sommes particulièrement attachés à ce principe. Il met également en avant un certain nombre de points vis-à-vis desquels les professionnels des CECOS émettent un avis favorable, réservé, voire défavorable.

Notre avis réservé concerne un ajout apporté au texte de loi, qui met en doute la capacité de l'équipe médicale à prendre en charge sans discrimination les différentes demandes. Cet accès ne peut faire l'objet d'aucune différence de traitement, notamment au regard du statut matrimonial et de l'orientation sexuelle des demandeurs, car nous ne pouvons pas exercer notre pratique médicale en mettant en avant une discrimination.

Ce projet de loi autorise la transmission des données non identifiantes, à laquelle nous sommes favorables, ainsi que l'identité du donneur aux personnes majeures qui le souhaiteraient. À ce sujet, nous avons un avis plus réservé. Nous pensons que l'accompagnement doit être amplifié et que l'information de l'identité du donneur ne répondra pas à la plupart des interrogations des adultes conçus par don.

Par ailleurs, nous avons défendu depuis de nombreuses années la remise en place d'un registre national des donneurs. Nous souhaitons également la création d'une commission pour la transmission des données non identifiantes et identifiantes ainsi qu'une adaptation du mode de filiation aux couples de femmes qui ont recours à l'AMP avec tiers donneur, ceci en évitant toute discrimination vis-à-vis des couples infertiles et des femmes non mariées.

Le premier élément mis en avant dans ce texte est l'intérêt suprême de l'enfant, mais nous regrettons que les couples, voire les femmes seules soient mis de côté. Le consentement exprimé à l'origine par le donneur vis-à-vis de la transmission de l'identité au jeune adulte qui en exprimerait la demande peut évoluer au cours du temps. Or le donneur n'aura aucune possibilité de revenir sur sa position. En outre, le projet de loi a peu mis l'accent sur un certain nombre de sujets majeurs liés à l'AMP. Il n'identifie plus spécifiquement l'AMP comme une procédure permettant de répondre à l'infertilité pathologique de certains couples et d'éviter la transmission d'une maladie d'une particulière gravité.

La notion d'infertilité mériterait d'être réintroduite dans le texte de loi sans discrimination entre les différentes demandes. Les infertilités pathologiques existent. Leur remise en question fréquente au cours des discussions, y compris au sein de l'Assemblée nationale, va à l'encontre d'un ajout extrêmement positif à la loi, qui concerne la mise en place d'un plan sur la fertilité ou l'infertilité, depuis la prévention jusqu'à la recherche. La notion de l'infertilité doit donc réapparaître dans le texte de manière différente qu'au travers du plan sur la fertilité.

Le projet de loi associe un ensemble de propositions relevant de la réflexion éthique et scientifique et de la décision politique. Cependant, elles ne peuvent être dissociées des conditions optimales de leur mise en oeuvre grâce à des moyens humains et matériels permettant de répondre aux attentes des demandeurs. Le projet de loi doit donc être accompagné de moyens à la hauteur de ces ambitions. Il s'agit de maintenir une prise en charge équivalente à celle que nous proposons actuellement aux couples infertiles.

Ce projet de loi implique également la constitution de nouvelles banques de gamètes, et plus spécifiquement celle de spermatozoïdes conservés en vue de dons, et doit également favoriser le recrutement de nouvelles donneuses. Il doit prévoir une période de transition permettant l'évolution des dispositions réglementaires vers les nouvelles conditions fixées par la loi. Ce sera une période d'instabilité, qui doit durer le moins longtemps possible.

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