Intervention de Olivier Henno

Commission spéciale sur la bioéthique — Réunion du 20 novembre 2019 à 13h50
Audition de représentants de la fédération française des cecos centres d'étude et de conservation des oeufs et du sperme humain et de la fédération des blefco biologistes des laboratoires d'étude de la fécondation et de l'oeuf

Photo de Olivier HennoOlivier Henno, rapporteur :

L'un des effets du projet de loi est de modifier le contexte éthique et juridique du don. Cette évolution aura-t-elle un impact sur le nombre et les types de dons ? Quel est le nombre d'embryons surnuméraires actuellement congelés en France ? Qu'en est-il de la lignée des cellules-souches ? Enfin, quelle est la part des gamètes conservés et respectivement affectés aux dons et à la recherche et qui sera finalement détruite ? Pensez-vous que ce projet de loi sécurise la question de la destruction pour les professionnels ?

Professeur Rachel Levy. - Selon le dernier rapport médical scientifique de l'Agence de la biomédecine, 177 968 embryons surnuméraires étaient conservés en France au 31 décembre 2017 pour un projet parental. Parmi les 32 878 embryons qui n'étaient plus investis d'un projet parental, 21 727 ont été donnés à la recherche. Dans de nombreux cas, la confirmation à trois mois n'a pas été obtenue. Il est difficile de répondre de façon robuste.

Professeur Nelly Achour-Frydman. - La plupart des demandes de travaux de recherche sur les cellules-souches embryonnaires concernent des lignées importées ou déjà dérivées en France. Le rapport médico-scientifique de l'Agence de la Biomédecine montre que moins de dix lignées ont été obtenues en France. Globalement, l'activité de dérivation c'est-à-dire le fait d'obtenir des lignées de cellules-souches à partir d'embryons données à la recherche est quasi arrêtée. Les chercheurs travaillent sur des lignées importées ou des lignées déjà établies.

Docteur Sophie Mirallie, secrétaire générale de la Fédération nationale des CECOS. - Nous nous efforçons d'interroger les personnes qui se présentent dans notre centre pour faire des dons sur leur positionnement dans l'hypothèse où la levée de l'anonymat serait possible. La plupart affirment qu'elles poursuivraient leur démarche de don et accepteraient la transmission de leurs données identifiantes, car ces demandes émanent d'enfants en souffrance. L'évolution du profil des donneurs est probable, mais elle est déjà entamée. Les personnes ouvertes à la levée de l'anonymat sont de plus en plus nombreuses.

Parmi les couples receveurs que nous recevons en consultation, certains réfléchissent à la possibilité d'attendre la promulgation de la loi pour obtenir un don de sperme afin que leur enfant, une fois majeur, puisse faire un choix. Je ne pense pas qu'une grave pénurie de dons soit à craindre à l'avenir.

Professeur Nathalie Rives. - L'équipe du Professeur Louis Bujan, spécialiste de la reproduction, à Toulouse, a mené durant deux ans une étude achevée début 2018, dont les résultats ne sont pas encore publiés. Il y a une dizaine d'années, 80 % des candidats au don étaient favorables au maintien de l'anonymat du don. 20 % auraient potentiellement accepté de donner si le don n'était pas anonyme. Selon cette étude, 46 % accepteraient potentiellement de donner dans un contexte où la transmission de l'identité du donneur serait possible. Toutefois, ces personnes ont accepté de répondre à l'enquête tout en sachant que le don est actuellement effectué dans les conditions garantissant l'anonymat. De plus, le contexte varie suivant le profil des donneurs entre Paris et la province.

Lors du changement de la loi, il faudra ne pas ignorer la situation constatée dans tous les pays ayant modifié les conditions du don. Les propositions sont moins nombreuses durant une certaine période, puis une hausse est ensuite observée, mais le nombre de dons n'est pas plus important qu'avant la modification de la loi. En effet, il est très compliqué de recruter les donneurs et ces pays importent des paillettes. Nous ne souhaitons pas rencontrer cette situation. Il serait regrettable d'aboutir à un système faisant appel à des structures qui ne respectent pas les mêmes règles éthiques.

Par ailleurs, vous avez soulevé la question de la conservation des échantillons des patients pour la préservation de la fertilité. Nous transmettons à l'Agence de la biomédecine les informations relatives au nombre d'embryons conservés et à leur devenir, soit le maintien du projet parental, le don pour la recherche, la destruction ou le maintien de la conservation.

En revanche, nous ne transmettons pas de données relatives à la conservation des gamètes et des tissus germinaux. La mise en oeuvre du dispositif relatif aux tissus germinaux date du début des années 2000. Nous allons peut-être pouvoir les conserver durant au moins quarante ans, en fonction de la date d'ouverture du centre. Pour l'instant, nous n'avons pas la possibilité de détruire les échantillons lorsque le patient ne répond plus. Le fait de limiter la durée de conservation et de pouvoir les détruire si les patients ne répondent plus pendant dix ans est une bonne chose. Nous verrons si des réajustements sont nécessaires.

En fonction de nos activités, environ 10 % des échantillons sont destinés à la recherche, contre 20 % d'échantillons pour lesquels nous pouvons envisager la destruction. La question de la requalification vers le don pourra se poser pour les conservations hors indications médicales.

Professeur Catherine Guillemain. - La très grande majorité des échantillons actuellement conservés concerne des patients atteints de pathologies graves qui reçoivent un traitement gonadotoxique et ont autoconservé leurs gamètes pour en prévenir les risques. La plupart de ces pathologies sont des pathologies malignes. Certains patients ne souhaitant plus utiliser à l'issue de quelques années les paillettes conservées souhaiteraient les donner à des couples infertiles. Toutefois, en vertu du principe de précaution, nous ne sommes généralement pas en mesure de les accepter au titre du don, car ces patients sont porteurs d'une pathologie maligne induisant un risque potentiel de susceptibilité génétique.

La question peut se poser si nous évoluons vers une conservation pour des indications non médicales. Un argument consiste à affirmer qu'au cas où certaines personnes ne souhaitant plus utiliser les gamètes conservés, cela bénéficiera au don de gamètes. Nous serions alors dans une situation de don de seconde intention. Actuellement, lorsqu'une personne souhaite une conservation de gamètes pour elle-même, un certain nombre d'examens sont nécessaires à la constitution du dossier.

Les candidats au don, pour leur part, doivent réaliser des examens supplémentaires, notamment un caryotype. Lorsqu'une personne souhaite après de nombreuses années que ses gamètes conservés servent dans le cadre du don, elle peut signer un consentement en ce sens, mais cela ne peut suffire. Cette personne doit accepter d'effectuer des tests supplémentaires. En pratique, lorsque les embryons sont conservés dans le cadre d'une AMP intraconjugale et qu'un souhait de don est exprimé de nombreuses années plus tard, certaines personnes y renoncent, car elles n'ont pas envie d'effectuer ces examens supplémentaires. Nous pensons donc que le don de seconde intention peut être un leurre.

De plus, certaines sérologies ne font pas partie du bilan d'autoconservation, mais sont obligatoires pour le don. Prenons le cas d'une personne ayant conservé des ovocytes décide ultérieurement de les donner et si les examens de sérologie montrent qu'elle a été en contact avec le CMV. Nous ne pourrons pas connaître la date de sa mise en contact avec le virus. Il est parfois possible de tester les gamètes conservés, mais cela implique de détruire les paillettes. La réalisation immédiate d'un bilan biologique plus large pour l'ensemble des conservations apportait une réponse à cette problématique. Toutefois, la mise en oeuvre systématique d'un caryotype ne serait pas forcément simple.

Docteur Patrice Clément. - L'argument selon lequel les centres privés ne pourront pas procéder à l'autoconservation dans le cadre de l'article L. 2141-12 en raison de cette finalité de don a été avancé lors des discussions à l'Assemblée nationale. En pratique, cet argument est erroné. Nous réalisons déjà ce type d'activité et menons des échanges avec les centres publics pour l'accueil d'embryons. La problématique serait donc gérable. Cependant, le don de seconde intention serait, comme cela vient d'être souligné, compliqué.

Professeur Nelly Achour-Frydman. - Je pense que la sensibilisation des femmes pourrait intervenir lors de l'autoconservation. Pour autant, cette gestion serait complexe, particulièrement si les patientes sont perdues de vue et ne peuvent pas revenir pour la réalisation des examens. La prescription des examens à toutes les femmes semble peu probable. Je soutiens d'ailleurs les propos du Docteur Clément. Il est possible de conclure des accords avec les laboratoires privés qui conservent des gamètes pour réorienter les éventuelles donneuses d'ovocytes vers les centres agréés pour le don.

Professeur Rachel Levy. - Vous nous avez interrogés sur les dispositions relatives à la recherche du consentement pour la conservation des embryons et leur utilisation à d'autres fins qu'un projet parental, et notamment sur la confirmation à trois mois. Celle-ci est extrêmement lourde pour les couples et chronophage pour les équipes des centres, compte tenu du manque de réponses et de la nécessité d'envoyer des lettres recommandées aux personnes concernées.

Lorsque nous obtenons cette confirmation à trois mois, nous constatons une concordance quasiment totale des réponses avec le choix initial. En cas de non-réponse à la confirmation à trois mois alors que nous avions obtenu une réponse lors de la première relance, les embryons sont considérés comme perdus de vue et seront détruits dans un délai de cinq ans. Cela soulève une question éthique puisque, dans certains cas, la volonté initiale du couple n'est pas respectée ou reportée à cinq ans. Cette relance à trois mois nous paraît donc inutile. Nous proposons sa suppression.

Le deuxième point concerne les capacités de stockage des centres d'AMP, qui est déjà mise à mal. En termes de surface disponible, de nombreux centres n'ont pas la capacité d'assurer à la fois la conservation des prélèvements déjà confiés et ceux qui vont l'être dans le cadre de la loi de bioéthique. Malgré des investissements conséquents, nous arrivons à un seuil de saturation. Il est envisageable de lever l'obligation de conservation sur le site où a été effectuée la congélation. La conservation serait placée sous la responsabilité de l'équipe, mais à distance.

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