Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette année encore est marquée par d’importants dérapages en matière de maintien de l’ordre ; et ces derniers montrent, une fois de plus, l’importance de la mission « Sécurités ».
Les forces de l’ordre évoluent dans un climat particulièrement dégradé. À preuve, les suicides de policiers ont atteint un triste record en 2019 : à cette heure, leur nombre s’élève à cinquante-quatre.
L’année 2019 est également marquée par l’émergence d’un malaise particulièrement fort. Ce dernier s’est exprimé au cours de la grève intersyndicale du 2 octobre dernier, dont l’ampleur s’est révélée inédite : c’est la première fois depuis vingt ans que toutes les organisations syndicales ont manifesté ensemble.
C’est dans ce contexte que nous abordons l’examen du budget 2020, qui n’est pas à la hauteur des enjeux.
Pourtant, le Gouvernement nous soumet un budget en hausse : les crédits de paiement demandés pour les programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale » sont en augmentation de 1, 91 %, tandis que les autorisations d’engagement progressent de 1, 84 %.
Si l’on tenait compte de la réalité des modifications de périmètre, la hausse des crédits serait même plus soutenue : elle s’élèverait à 4, 22 % en autorisations d’engagement et à 5, 35 % en crédits de paiement pour le programme « Police nationale », à 3, 51 % en autorisations d’engagement et à 2, 35 % en crédits de paiement pour le programme « Gendarmerie nationale ».
Pour autant, depuis plusieurs années maintenant, je dénonce l’augmentation constante de la part des dépenses de personnel dans l’ensemble des dépenses des deux forces.
Ce budget connaît les mêmes travers que ceux des années précédentes, et ce de manière particulièrement aggravée : la part des dépenses de personnel dans le total des dépenses va dépasser 90 % pour la police nationale et 85 % pour la gendarmerie nationale. Je vous rappelle qu’il y a quatorze ans la part des dépenses de personnel dans le total des crédits était encore inférieure à 80 %.
Cette évolution ne me semble ni soutenable ni maîtrisée. Elle procède à mon sens d’une vision purement politique, visant à mener les recrutements annoncés coûte que coûte, au détriment de la capacité opérationnelle des forces, laquelle ne peut être restaurée sans dépenses de fonctionnement et d’investissement dignes de ce nom.
En dix ans, les dépenses de personnel ont ainsi augmenté trois fois plus rapidement que les dépenses de fonctionnement et d’investissement : le taux d’évolution des dépenses de titre 2 avoisine 25 % depuis 2010 et les autres dépenses n’ont suivi que de près de 9 %.
Ce budget traduit donc une hausse importante des dépenses de personnel, en augmentation de 3, 6 % pour la police nationale et de 2, 5 % pour la gendarmerie nationale.
Cette hausse s’explique principalement par le fort niveau des recrutements et par l’ampleur des mesures indemnitaires. Une augmentation de 1 398 emplois à périmètre constant est prévue pour la police nationale en 2020, contre 1 735 en 2019. Pour la gendarmerie nationale, l’évolution des emplois devrait être de 490 équivalents temps plein, ou ETP, contre 643 l’an dernier. Ces augmentations sont conformes aux annonces présidentielles du début de quinquennat.
Le coût de ces recrutements, pour 2019 et 2020, devrait s’élever dans le prochain budget à 47, 45 millions d’euros pour la police nationale et à 16, 36 millions d’euros pour la gendarmerie nationale. L’année 2020 devrait également être marquée par le poids budgétaire des mesures catégorielles prises en faveur des policiers et des gendarmes, en particulier avec la prime « gilets jaunes » du 27 décembre 2019. Ces dernières s’élèveront à 192 millions d’euros pour les premiers et à 91 millions d’euros pour les seconds.
De manière parfaitement prévisible, et, comme ce fut le cas l’an dernier, la mission « Sécurités » dépassera de nouveau largement la trajectoire fixée par la loi de programmation des finances publiques : elle l’excédera d’environ 500 millions d’euros, ce qui représente près de 4 % des crédits de paiement exprimés en norme pilotable. Elle fait ainsi partie des six missions présentant le plus fort dépassement par rapport à la loi de programmation des finances publiques. Ce dépassement résulte presque intégralement de l’absence de maîtrise des dépenses liées au personnel.
Les dépenses d’investissement et de fonctionnement ont, quant à elles, atteint un niveau plancher. Cette situation traduit l’absence totale de marge de manœuvre résultant du dérapage des dépenses de personnel que je viens d’exposer.
Pour la gendarmerie nationale, à périmètre constant, les dépenses d’investissement et de fonctionnement seront pour ainsi dire stables en crédits de paiement et connaîtront une hausse de plus de 6 % en autorisations d’engagement. Pour la police nationale, les dépenses de fonctionnement et d’investissement reculent de 8, 8 % en autorisations d’engagement et de 0, 8 % en crédits de paiement par rapport à l’an dernier.
Les crédits affectés au renouvellement des véhicules, qui constituent à mes yeux un bon indicateur de la volonté de restaurer la capacité opérationnelle des forces de l’ordre, paraissent très insuffisants cette année. Au total, 40 millions d’euros supplémentaires auraient été nécessaires pour empêcher le vieillissement ou la réduction du parc des deux forces.
Or ces véhicules sont d’ores et déjà dans un état préoccupant, alors même qu’ils constituent l’un des principaux outils des agents, notamment dans la gendarmerie nationale. Le budget d’acquisition de véhicules des deux forces représente seulement le tiers des mesures de revalorisation salariale octroyées aux forces de l’ordre en 2020.
Avant de conclure, je tiens à mentionner quelques évolutions importantes en matière d’organisation. Des efforts notables de rationalisation sont entrepris, avec la création d’une direction du numérique et d’un service d’achat unifiés au sein du ministère. Sur le plan opérationnel, je salue la création de l’office anti-stupéfiants (Ofast). Sans préjuger de l’avenir de cette nouvelle entité, j’estime qu’il s’agit là d’une création bienvenue : depuis plusieurs années, la lutte contre les stupéfiants n’était plus érigée en priorité par le ministère de l’intérieur.
L’année 2019 est également marquée par l’abandon de la vacation forte. Comme je l’annonçais depuis 2016, ce renoncement était inévitable. Il est donc regrettable que les difficultés liées à ce nouveau cycle de travail aient fait perdre trois années à l’institution policière, suscitant des espoirs et faisant naître des crispations entre les unités bénéficiant de ce cycle et les autres.
Cette perte de temps est d’autant plus déplorable que, du fait de son caractère insoutenable, résultant de son coût en effectifs, la vacation forte était condamnée avant même son expérimentation.