Mes chers collègues, le 4 juillet dernier, notre Délégation a adopté le rapport présenté par Mme Pascale Gruny « Accompagnement de la transition numérique des PME : comment la France peut-elle rattraper son retard ? ». Notre collègue, après avoir rappelé l'enjeu vital de la numérisation pour les petites et moyennes entreprises, y a mis en évidence les différentes difficultés auxquelles les entreprises sont confrontées, qu'elles soient structurelles ou conjoncturelles. Au rang de ces obstacles figurent l'insuffisante couverture du territoire et son corollaire : la fracture numérique, ainsi que les conséquences, pour un accès efficient à la fibre, des « stratégies nocives » de grands opérateurs de télécommunication.
Nous avons, à cette occasion, évoqué la fibre FTTH (Fiber to the home), initialement prévue pour le marché résidentiel, comme étant une réponse aux attentes des PME et TPE. En effet, la FTTH permet de tirer profit du déploiement des boucles locales pour les particuliers afin de mutualiser les coûts et d'offrir un niveau de prix abordable pour les entreprises les plus petites. Toutefois, les opérateurs intégrés historiques, Orange et SFR, n'ont pas joué le jeu jusqu'à l'arrivée d'un nouvel opérateur neutre sur le marché de gros des entreprises, la société Kosc. Cette société est née à la suite de la décision de l'Autorité de la concurrence, en 2014, d'autoriser le rachat de SFR par le groupe ALTICE à la condition que SFR cède son réseau DSL de Completel. Ainsi encouragée par les autorités publiques décidées à oeuvrer pour garantir « une concurrence effective », Kosc est née avec l'engagement de SFR de céder son réseau au 31 mars 2017, sur la base d'un pacte d'actionnaires réunissant principalement le fondateur, Yann de Prince, et ses associés (qui détiennent 30 % du capital), le groupe OVH (devenu depuis OVH Cloud), qui en contrepartie d'un apport de 2 millions d'euros mais surtout de l'engagement d'être client de Kosc, a reçu 40 % du capital, et enfin Bpifrance, 3ème actionnaire avec 15 % du capital, lequel était donc bien structuré. Une filiale appelée « Kosc infrastructures » a ensuite été créée, ayant notamment pour actionnaire la Banque des Territoires à hauteur de 24 %.
Après bien des difficultés liées à l'effectivité du transfert du réseau Completel pendant plus d'un an, Kosc a pu enfin démarrer son activité, ce qui a été extrêmement bien perçu par les sociétés de services numériques servant d'intermédiaires avec les PME. « Une véritable opportunité », « une aubaine sans précédent » comparée à l'avancée liée à la création des réseaux d'initiative publique (RIP) : c'est ainsi que la société Kosc a été perçue par ses clients, en comparaison avec les opérateurs historiques. Les acteurs du numérique qui fournissent des services aux PME saluent sa réactivité, sa compréhension des enjeux des entreprises et surtout des tarifs enfin raisonnables qui ont révolutionné les possibilités d'offres aux PME.
Toutefois deux décisions récentes, quasi-concomitantes, nous ont interpelés au début du mois de septembre car elles ont placé la société Kosc dans une situation délicate et nous y avons perçu un risque de retour en arrière pour la numérisation des PME dans les territoires. En effet, d'une part, l'Autorité de la concurrence a clôturé son auto-saisine, estimant qu'aucun élément n'était de nature à prouver que SFR n'avait pas respecté ses engagements. D'autre part, alors qu'un nouveau tour de table des actionnaires était prévu pour accompagner le développement de Kosc dans une augmentation de capital, la Banque des Territoires a pris la décision de ne pas renouveler son investissement. Ces décisions sont intervenues dans un contexte très particulier de contentieux entre SFR et Kosc devant le Tribunal de commerce, dans lequel le groupe historique réclamait 20 millions d'euros à Kosc pour le transfert du réseau que le second ne cessait de réclamer, le jugeant inopérant pendant près de 18 mois, et refusant logiquement de payer pour un service non rendu.
C'est la raison pour laquelle, non pour être les avocats de la société Kosc mais compte tenu du risque afférent pour la numérisation des PME, nous avons décidé de nous saisir du sujet en organisant des auditions conjointes avec le groupe d'étude sur le numérique, présidé par notre collègue Patrick Chaize. Notre objectif a été de mieux comprendre la situation et de réagir pour que la sortie de crise de ne fasse pas au détriment des PME, bien trop souvent oubliées par les acteurs « classiques » des télécoms. Puisque l'hypothèse d'une disparition de Kosc n'était pas écartée -et ne l'est toujours pas - il nous est apparu de notre devoir de nous préoccuper de la situation pour les PME qui bénéficient aujourd'hui, indirectement, des offres de cet opérateur neutre.
Au cours de ces auditions, auxquelles certains d'entre vous ont assisté, nous avons entendu, outre les représentants de la société Kosc : la présidente de l'Autorité de la concurrence ; le président de l'ARCEP, autorité de régulation du secteur des télécommunications ; des dirigeants de sociétés appartenant à l'écosystème des services numériques aux entreprises ; la Banque des Territoires ; Bpifrance ; OVH Cloud ; les mandataires de contrôle agréé auprès de l'Autorité de la Concurrence et de SFR ; sans oublier le Directeur général des entreprises, qui a bien voulu répondre à nos questions, à défaut d'avoir pu obtenir une audition de Mme Agnès Pannier-Runacher, Secrétaire d'État auprès du ministre de l'Économie et des Finances, qui nous a fait savoir que l'audition du Directeur général des entreprises suffisait...
Nous vous proposons ce matin d'autoriser la publication de tous les comptes rendus de ces auditions sous forme de rapport, assorti d'un avant-propos, afin de contribuer utilement à la réflexion qui doit absolument accompagner le constat de la situation que je viens de vous décrire.
Nous avons travaillé en étroite collaboration avec Patrick Chaize pour mener ces auditions qui nous ont frappés à plusieurs titres.
Tout d'abord, nous avons été marqués par le manque de dialogue entre les actionnaires publics et privés de Kosc ayant pourtant fait initialement le pari d'une meilleure concurrence au service de l'accompagnement de la digitalisation des PME. Les arguments et analyses avancés par les uns sont contestés par les autres, comme si chacun n'avait pas vécu la même histoire. Incompréhension de la réaction des positions des uns et des autres, lectures différentes de la situation... un tel dialogue de sourd ne peut être que préjudiciable à une société surtout lorsqu'il s'agit de gérer un risque, en l'occurrence le contentieux avec SFR. L'un des exemples que vous pourrez constater en lisant les comptes rendus est la question du changement de stratégie du groupe OVH, que ce dernier nie totalement comme s'il s'agissait d'une incongruité. Un tel manque de dialogue ne peut que déboucher sur des dysfonctionnements préjudiciables en termes de gouvernance.
Le deuxième élément marquant que nous avons relevé est relatif au rôle des autorités de régulation. L'Autorité de la concurrence a fait le choix délibéré de ne pas avoir recours à l'Arcep dans le cadre de son auto-saisine alors qu'elle en avait le pouvoir. Cette décision nous est apparue bien étrange compte tenu à la fois du caractère très technique du dossier et de l'enjeu pour le marché de gros à destination des entreprises. l'ADLC a préféré se limiter à une analyse purement juridique de la question du respect des engagements de transfert de SFR, ne tenant pas compte de l'effectivité ou non du transfert et de l'activation du réseau, des conséquences économiques ni de l'impact en termes de concurrence, compte tenu de ses règles de fonctionnement. Elle aurait pourtant pu confier à l'Arcep une mission de surveillance de l'obligation de transfert. En outre, dans le cadre de son auto-saisine, elle avait le pouvoir de saisir l'Arcep pour avis, mais ne l'a pas fait. Nous estimons avec Patrick Chaize qu'une meilleure articulation entre le droit à la concurrence et la régulation sectorielle est absolument nécessaire et nous pensons, pour le secteur des télécoms, présenter une proposition de loi pour obliger les autorités à se coordonner dès que cela est utile au traitement du dossier. Il semble que cela manque au plan législatif ...