Mes chers collègues, comme les années précédentes, je vous propose que notre Délégation se penche sur les dispositions concernant les entreprises et contenues dans le projet de loi de finances pour 2020, dont le Sénat se saisira à partir du 21 novembre prochain. Il ne s'agit pas, bien entendu, de doublonner le rôle de la commission des Finances, notamment dans l'examen des dispositions fiscales, mais d'évoquer certaines dispositions qui vont impacter les entreprises et principalement les PME.
En première partie, l'article 15 prévoit de réduire la taxe pour frais des chambres de commerce et d'industrie et d'en rationaliser les taux.
Outre cette baisse progressive de l'ordre de 400 M€ sur quatre ans, sur laquelle je vais revenir, l'article 15 prévoit que l'établissement CCI France devienne le seul affectataire de la taxe pour frais de chambre de commerce et d'industrie (TCCI), laquelle se décompose en une taxe additionnelle à la cotisation foncière des entreprises (TA-CFE) et une taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (TA-CVAE). Le but est de permettre à cet organisme d'exercer une réelle fonction de coordination et de pilotage du réseau des CCI et d'assurer une meilleure répartition du produit de la taxe entre les CCI de région, au plus près des besoins des territoires et des entreprises, en tenant compte des particularités locales. Ces nouvelles dispositions constituent une mesure de simplification structurante, se traduisant par la suppression d'un dispositif complexe et peu lisible de répartition de la TCCI, et par un allègement des prélèvements sur les entreprises. En effet, le Gouvernement a décidé de diminuer les ressources affectées au réseau des CCI non seulement pour contribuer à transformer leur modèle et rationnaliser leurs moyens mais également de diminuer les prélèvements obligatoires sur les entreprises. Dans cet objectif, le Gouvernement propose, pour 2020, de diminuer le taux de la taxe additionnelle à la cotisation foncière des entreprises (TA-CFE) plutôt que celui de la taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (TA-CVAE) car, du fait de l'abattement de 500 000 euros pour être assujetti à la CVAE, de nombreuses entreprises n'auraient en réalité pas bénéficié d'une baisse de taux de cette dernière taxe. La baisse programmée des taux de la TA-CFE entre 2020 et 2023, vers un taux national de 0,8 %, aurait deux effets : d'une part, la diminution des ressources du réseau des CCI ; d'autre part, la baisse des prélèvements obligatoires évaluée à environ 100 millions d'euros par an, pour les deux millions d'entreprises actuellement redevables de la taxe.
L'Assemblée nationale a adopté un amendement du Rapporteur général de la commission des Finances visant à instaurer un dispositif renforcé de péréquation à destination des CCI territoriales dont la circonscription comporte au moins 80 % de communes classées en zones de revitalisation rurale.
En deuxième partie, plusieurs dispositions impactent les entreprises.
Les articles 47 et 48 portent les préoccupations exprimées par le Sénat, à l'initiative de notre Délégation et de la D élégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, pour soutenir le commerce de proximité en zone rurale et dans les centres villes des villes moyennes.
Traduisant ces propositions, la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Elan) du 23 novembre 2018 a créé pour les élus locaux des centres villes un contrat intégrateur unique - l'opération de revitalisation de territoire (ORT) - permettant de répondre aux différents enjeux en matière de revitalisation des centres des villes moyennes. Ce dispositif est notamment destiné à adapter et à moderniser le parc de logements et de commerces ainsi que le tissu urbain existant.
Le projet de loi de finances pour 2020 donne la possibilité aux collectivités territoriales d'instaurer une exonération de cotisation foncière des entreprises (CFE), de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) au profit des petites activités commerciales (entreprises de moins de 11 salariés et de moins de 2 millions de chiffre d'affaires annuel). Cela vise les territoires ruraux (petites communes ayant moins de dix commerces et non intégrées à une aire urbaine) et les zones d'intervention des communes ayant signé une convention ORT et dont le revenu médian par unité de consommation est inférieur à la médiane nationale.
Il faut noter que si le texte initial ne prévoyait aucune compensation pour les collectivités locales qui instaureraient une telle exonération, le Premier ministre a annoncé le 20 septembre dernier devant le Congrès national de l'Association des maires ruraux de France que l'Etat les compenserait à hauteur de 33 %. On peut toutefois s'interroger sur la portée de cette mesure qui fait encore porter aux collectivités locales l'essentiel de l'effort fiscal d'une politique publique qui est pourtant d'intérêt national. C'est un peu désolant !
L'article 49 diminue le taux utilisé pour le calcul des frais de fonctionnement rentrant dans la base du crédit d'impôt recherche (et du crédit impôt innovation), actuellement estimés, de façon forfaitaire, à 50 % des frais de personnel de recherche auxquels s'ajoutent 75 % des dotations aux amortissements. Ce taux de 50 % serait baissé à 43 %, comme l'a préconisé la Cour des comptes dans son rapport de juillet 2013, au plus près des charges de fonctionnement réellement supportées par les entreprises. La part des frais de fonctionnement basée sur les amortissements resterait inchangée, ce qui permettrait la prise en compte de la situation des secteurs industriels qui connaissent, par rapport aux secteurs des services, des frais de fonctionnement plus significatifs liés à l'importance de leurs installations scientifiques.
L'État compte ainsi économiser environ 230 M€ à compter de 2021. Hier, durant son audition, le ministre de l'Économie, M. Bruno Le Maire, a rappelé que cette réforme avait été préconisée par la Cour des comptes et s'est engagé à simplifier le montage des dossiers du CIR. En effet, le seuil de « l'assujettissement à l'obligation documentaire », c'est-à-dire le niveau de dépenses de R&D à partir duquel une entreprise doit fournir des informations à l'administration, avait été, par un amendement parlementaire dans la loi de finances pour 2019, drastiquement abaissé de 100 millions d'euros à 2 millions. Or, une instruction fiscale contenue dans le BOFIP (bulletin officiel des finances publiques) est allée à l'encontre de cette disposition pourtant votée par le Parlement. Un an après, le Gouvernement propose de rétablir ce seuil d'obligation documentaire à son niveau antérieur de 100 millions. Il ne concernerait à nouveau qu'une vingtaine de très grandes entreprises, ne permettant plus de savoir comment les PME utilisent le CIR. Le rapporteur général de la commission des Finances de l'Assemblée nationale a donc proposé un seuil de 10 millions. Pour ma part, afin d'interpeller le Gouvernement sur cette double instabilité fiscale, concernant à la fois l'assiette du CIR et les obligations déclaratives des entreprises, je vous proposerai un amendement de suppression.
L'article 50 réforme à nouveau le régime fiscal du mécénat des entreprises. Déjà, dans la loi de finances pour 2019, l'État avait encouragé les TPE-PME à pratiquer le mécénat en créant, dans cette intention, une franchise de 10 000 euros de versement ouvrant droit à une réduction d'impôt. C'était une bonne mesure car il n'y a pas de petit mécénat et toutes les entreprises sont concernées. Pourtant, après cet encouragement, vient, de façon incohérente, le découragement.
Depuis la loi Aillagon de 2003, 77 000 entreprises ont utilisé ce dispositif en 2018, contre seulement 6 500 en 2005. La France comptait 2 364 fondations en 2017, contre seulement 1 109 en 2001, et compte désormais près de 2 500 fonds de dotation alors qu'il n'en existait aucun il y a quinze ans. La dépense fiscale, certes élevée est stable et diminue même depuis 3 ans, passant de 930 millions en 2016 à 817 millions en 2018. Par ailleurs, le régime fiscal actuel est neutre selon les montants des dons avec une simple limitation globale de la réduction d'impôt à 0,5 pour mille du chiffre d'affaires ou à 10 000 euros, qui est suffisante pour éviter toute dérive budgétaire. Le régime fiscal actuel est également neutre selon les différentes causes financées : la seule exigence est que les entreprises financent des causes d'intérêt général.
Le Gouvernement entend différencier l'avantage fiscal en fonction des montants des dons et en fonction des causes aidées. Or, diminuer de moitié le taux de la réduction d'impôt pour les dons au-dessus d'un « plafond » de 2 millions d'euros reviendrait à dissuader les entreprises mécènes de consacrer un effort plus important au mécénat. L'État oublie que le mécénat d'entreprise n'est pas qu'une dépense fiscale mais qu'il permet de modérer ses crédits budgétaires en apportant une ressource extra-budgétaire à des partenaires de l'État qui reçoivent de moins en moins de ressources financières publiques.
Je note qu'une trentaine de députés de la majorité ont proposé la suppression de cette disposition, considérant, je cite : « qu'adopter l'article en l'état servira seulement à déstabiliser les entreprises qui s'engagent auprès de nos associations dans une période où notre pays a besoin de solidarité et de lien social ». Je ne peux que souscrire à cette appréciation et vous proposerai donc de cosigner un amendement de suppression de cette disposition.
Sur un autre sujet, tout aussi conflictuel avec les entreprises, l'article 51 créé un système de bonus-malus pour lutter contre les contrats courts pour les entreprises de plus de 11 salariés. Cette mesure est censée contribuer à désendetter l'Unedic, mais je note que le produit attendu ne s'élève, selon la commission des finances de l'Assemblée nationale, qu'à 50 millions d'euros, ce qui n'est pas grand-chose pour une usine à gaz. Vous vous en souvenez, en janvier 2019, le Medef et la CPME avaient annoncé leur retrait des négociations sur l'assurance-chômage pour protester contre le projet d'instaurer un bonus-malus sur les contrats courts. Le Gouvernement persiste. Là encore, un débat va s'instaurer.
Plus le nombre de salariés qui s'inscrivent à Pôle emploi après avoir travaillé pour une entreprise est important par rapport à son effectif, plus elle paiera de cotisations employeur à l'assurance chômage ; plus ce nombre est faible, moins elle paiera de cotisations. Les CDD d'usage (CDDU) se voient appliquer une taxe forfaitaire de 10 euros pour limiter l'usage de contrats très courts. À noter que le dossier de presse du budget évoquait « 7 secteurs, dans un premier temps », tout comme Mme Muriel Pénicaud, ministre du Travail, mais que le texte du projet de loi de finances (PLF) pour 2020 ne reprend pas cette disposition et s'applique à tous les contrats d'usage excepté trois secteurs : les intermittents du spectacle, les dockers occasionnels et le travail d'insertion par l'activité économique. Nous attendons donc des éclairages.
Cette taxation est d'autant plus incohérente qu'une quinzaine de secteurs sont considérés comme éligibles au CDDU à la suite d'accords entre les partenaires sociaux. De deux choses l'une, soit il faut interdire aux conventions collectives d'y recourir, mais ils répondent à un besoin économique, soit il faut maintenir statu quo. Le rapporteur général de l'Assemblée nationale proposera en séance, aujourd'hui ou demain, un amendement exonérant de cette taxe forfaitaire les secteurs qui ont déjà prévu par accord de limiter le recours abusif à ce type de contrat, en encadrant leur utilisation par l'instauration d'une durée minimale de contrat et par l'obligation de transformation des CDDU en CDI au terme d'une durée de travail effectif en CDDU déterminé par l'accord. Je vous propose pour ma part une mesure plus radicale avec un amendement de suppression de cet article 51. Dès le début, la majorité du Sénat s'est opposée à tout système de taxation des contrats courts. On pénalise des filières entières qui ne peuvent faire autrement que d'y recourir au prétexte qu'il existerait quelques contrats de deux heures. Où est la simplification ?
Enfin, j'attire votre attention sur l'article 80. Le succès croissant du statut de la micro-entreprise amène le Gouvernement à proposer de recentrer le dispositif d'exonérations de cotisations et contributions sociales des créateurs et repreneurs d'entreprises sur le public initialement visé, c'est-à-dire les créateurs et repreneurs d'entreprise développant une activité économique nouvelle. Cette disposition vise à rétablir une égalité fiscale avec les travailleurs indépendants, fortement demandée par les artisans. Par ailleurs, le bénéficie de l'aide aux créateurs et repreneurs d'entreprise (ACRE) serait étendu au conjoint collaborateur afin que la déclaration de l'activité du conjoint ne soit pas un frein à la création d'activité du fait du coût des cotisations sociales à acquitter.
Pour l'essentiel, ces dispositions, qui se situent en seconde partie du PLF, sont en cours de discussion à l'Assemblée nationale. Je vous propose, en fonction de l'évolution du texte, de vous informer directement, en dehors des réunions de la Délégation, et de vous proposer, le cas échéant, de réagir rapidement en cosignant certains amendements.
En outre, avec Michel Vaspart et Claude Nougein, nous envisageons de redéposer certains des amendements relatifs au « Pacte Dutreil » relatif à la transmission d'entreprise, puisque nos propositions qui avaient été adoptées au Sénat n'ont pas toutes été reprises par l'Assemblée. Je pense notamment à la possibilité de prévoir une transmission interne à des salariés, en supprimant l'obligation de filiation.