Il y a près d'un an et demi, nous examinions le projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire. Nous avions, à l'époque, fortement critiqué le recours excessif aux ordonnances prévu par ce texte. Même si le Sénat l'avait enrichi et complété, plusieurs sujets d'importance ont été renvoyés à des ordonnances, parmi lesquels figurait, notamment, la transformation du groupe public ferroviaire SNCF composé d'établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) en un groupe public unifié composé de sociétés anonymes.
Le rapporteur du texte, Gérard Cornu, avait alors précisé que l'examen des mesures de ratification des ordonnances devrait s'accompagner d'un débat de fond sur les choix retenus. La gouvernance du futur groupe public unifié constitue en effet un sujet de grande vigilance dans la mesure où le choix de maintenir une structure verticalement intégrée impose, notamment, la mise en place d'importantes garanties d'indépendance vis-à-vis du gestionnaire d'infrastructure, SNCF Réseau.
Néanmoins, l'ordonnance relative à la gouvernance du groupe public unifié, publiée en juin 2019, a été rédigée et publiée sans que le législateur soit associé aux choix retenus. De surcroît, l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer), devenue l'Autorité de régulation des transports (ART), avait émis de sérieuses réserves au sujet de cette ordonnance. Selon elle, les dispositions prévues ne permettaient pas de garantir une indépendance suffisante du gestionnaire d'infrastructure.
En outre, si le projet de loi de ratification de cette ordonnance a été déposé en août 2019 sur le bureau de l'Assemblée nationale, aucun calendrier de ratification ne m'a été communiqué, alors que la nouvelle gouvernance du groupe public unifié doit entrer en vigueur au 1er janvier 2020.
Les projets de loi organique et ordinaire que nous examinons aujourd'hui, et dont notre commission s'est saisie pour avis, prévoient de tirer les conséquences de cette ordonnance, alors même que celle-ci fait l'objet de sérieuses inquiétudes et que le Parlement n'a pas eu l'occasion de se prononcer sur son contenu ni d'en débattre en amont.
Le projet de loi organique porte, pour ce qui concerne la SNCF, sur l'actualisation des fonctions pour lesquelles, en raison de leur importance pour la vie économique et sociale de la Nation, la nomination par le Président de la République ne peut avoir lieu qu'après l'avis des commissions permanentes compétentes, en application de l'article 13 de la Constitution.
En 2010, le législateur organique avait décidé de soumettre à cette procédure les fonctions de président du conseil d'administration de la SNCF et de président du conseil d'administration de Réseau ferré de France. En 2014, lors de l'examen du projet de loi de réforme ferroviaire, les députés avaient déposé une proposition de loi organique relative à la nomination des dirigeants de la SNCF qui confortait le contrôle parlementaire sur ces nominations.
D'après l'exposé des motifs de cette proposition de loi, « il est impératif que les processus de nomination des dirigeants du futur groupe public ferroviaire continuent de se dérouler sous le regard des parlementaires. Nul ne comprendrait ni n'admettrait que la réforme soit l'occasion de soustraire ces personnalités à un contrôle qui constitue une avancée unanimement reconnue de la démocratie ».
Il me semble que ce constat est toujours d'actualité, et plus encore dans la perspective d'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire national de voyageurs.
Ainsi, depuis 2014, trois auditions sont prévues pour la SNCF, à savoir celle du président du conseil de surveillance ; celle du président du directoire, qui est également le président du conseil d'administration de SNCF Mobilités ; et, enfin, celle du président délégué du directoire, qui est également le président du conseil d'administration de SNCF Réseau.
Pourtant, le projet de loi organique que nous examinons aujourd'hui prévoit de substituer à ces trois auditions une unique audition, celle du directeur général de la société nationale SNCF, c'est-à-dire la « maison mère ».
Or, si la loi pour un nouveau pacte ferroviaire et les dispositions prévues par ordonnance emportent, de fait, des évolutions en matière de gouvernance du groupe, une telle modification traduit un affaiblissement injustifié du contrôle parlementaire.
D'une part, la nomination du dirigeant du gestionnaire d'infrastructure par le Président de la République sur avis des commissions compétentes existe depuis 2010 et a été réaffirmée en 2014. Aussi, dans la mesure où le choix a été fait de maintenir une structure verticale intégrée, il est fondamental d'encadrer la nomination des dirigeants de SNCF Réseau, de surcroît dans la perspective de l'ouverture à la concurrence. Le gestionnaire d'infrastructure joue en effet un rôle central en matière d'accès à l'infrastructure ferroviaire, mais aussi de choix d'investissements. Ses décisions emportent, en outre, d'importantes conséquences en termes d'aménagement du territoire. Il me semble donc nécessaire de maintenir le droit de regard du Parlement sur les nominations du dirigeant de la société SNCF Réseau.
D'autre part, il semble que les conseils d'administration de la société mère, mais aussi de la société SNCF Réseau pourront choisir de confier la direction générale soit au président du conseil d'administration, soit à une autre personne physique. Aussi, dans les cas où les fonctions de directeur général et de président du conseil d'administration seraient dissociées, les textes ne prévoient pas de soumettre le président du conseil d'administration à la procédure prévue par l'article 13 de la Constitution.
Or le président du conseil d'administration sera vraisemblablement amené à jouer un rôle important dans la gouvernance de la société anonyme. Il serait chargé d'organiser et de diriger les travaux de celui-ci ; il rendrait compte des travaux du conseil d'administration à l'assemblée générale et il aurait, enfin, voix prépondérante en cas de partage des voix - c'est dire son importance. À ce titre, il me semble nécessaire de soumettre les présidents du conseil d'administration de la société nationale SNCF, mais aussi de SNCF Réseau à ladite procédure.
C'est pourquoi je vous propose un amendement au projet de loi organique visant à ajouter les fonctions de directeur général de SNCF Réseau, d'une part, et de président du conseil d'administration de la société nationale SNCF et de SNCF Réseau, d'autre part, à la liste des fonctions soumises à la procédure prévue par l'article 13 de la Constitution. Dans le cas où la direction générale et la présidence du conseil d'administration de chacune de ces sociétés anonymes seraient assurées par la même personne, seules deux auditions seraient organisées.
Deux autres amendements sont de nature à apporter des coordinations au niveau de la loi ordinaire : le premier précise que ces auditions seront effectuées par la commission compétente en matière de transport, tandis que le second procède à des coordinations dans l'ordonnance de juin 2019 sur la gouvernance du groupe public unifié.
Le contrôle parlementaire sur la nomination des dirigeants de la SNCF est d'autant plus nécessaire que l'indépendance de SNCF Réseau fait l'objet de vives inquiétudes, exprimées tant par l'Arafer que par les nouveaux entrants.
Le rapporteur Gérard Cornu avait souligné, en juin 2018, que, dans une structure verticalement intégrée, « l'indépendance du gestionnaire de réseau est sujette à caution ». L'Arafer avait émis plusieurs réserves quant à l'indépendance du gestionnaire d'infrastructure à l'occasion de la table ronde organisée par notre commission en juillet dernier. Les nouveaux entrants, que j'ai eu l'occasion d'auditionner, partagent également ces craintes.
L'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire suppose d'envoyer un signal fort aux nouveaux entrants, et non de les dissuader d'entrer sur le marché. Les choix en matière de gouvernance et les modalités de nomination des dirigeants de SNCF contribuent, au moins en partie, à refléter le degré d'indépendance du gestionnaire d'infrastructure vis-à-vis de la maison mère et de la filiale Voyageurs du groupe. C'est pourquoi je vous propose un amendement prévoyant un avis conforme de l'ART sur la nomination, le renouvellement ou la révocation du président du conseil d'administration de la société SNCF Réseau. L'ordonnance ne prévoit cette procédure que pour le directeur général ou, le cas échéant, le président-directeur général.
Ces amendements, si nous les adoptons, seront présentés demain matin devant la commission des lois. Ils permettent un renforcement du contrôle parlementaire et du contrôle opéré par le régulateur sur les nominations des dirigeants du groupe public unifié, ce qui me paraît indispensable pour réussir l'ouverture à la concurrence.