Intervention de Christophe Farnaud

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 27 novembre 2019 à 9h35
Situation au moyen-orient et action de la france — Audition de M. Christophe Farnaud directeur afrique du nord et moyen-orient au ministère de l'europe et des affaires étrangères

Christophe Farnaud, directeur Afrique du Nord et Moyen-Orient au ministère de l'Europe et des affaires étrangères :

S'agissant d'Israël et de la Palestine, la situation n'est absolument pas satisfaisante. Je ne suis malheureusement pas optimiste, mais nous ne pouvons nous en satisfaire. Ce sujet reste selon moi au coeur des préoccupations de la région. Tout le montre, et je rejoins vos propos de ce point de vue.

Vous avez évoqué l'approche choisie par les États-Unis. Je reconnais que, sur ce point, la politique de Barack Obama et de Donald Trump n'est pas du tout la même. Si je les ai évoquées, c'est que, très objectivement, avec des prémices différentes, les deux ont conduit à un relatif repli américain de la région. C'est indéniable, mais je n'ai pas dit que leur politique était identique. Il est évident que notre proximité avec Barack Obama n'a rien à voir avec la relation que nous avons avec le président Trump sur l'ensemble des sujets de la région - et spécialement sur Israël et la Palestine.

L'approche américaine de « deal du siècle » est une approche économique qui n'a pas porté ses fruits, puisque les pays de la région sont hésitants. Pour nous, l'approche doit être d'abord politique.

Nous considérons la politique de colonisation comme illégale. C'est justement parce que nous souhaitons une solution politique qu'il faut être très clair sur le fait que nous maintenons notre référence au statut spécial de Jérusalem, à la création de deux États, à la prise en compte de la question des réfugiés, au caractère illégal des colonies. L'opinion internationale est lasse du conflit israélo-palestinien, mais la France ne compte pas céder. Nous nous sommes exprimés lorsque M. Netanyahou a fait son annonce - en partie électorale - à propos de l'annexion de la vallée du Jourdain. Les Européens aussi. Nous avons également pris la parole lorsque les Américains ont déclaré que la colonisation n'était pas illégale, revenant sur leur propre position. Sur ce dossier, on peut parler d'optimisme de la volonté et de pessimisme de la raison, pour reprendre la formule de Gramsci. Il faut agir, et sans aucune hésitation. D'ailleurs, la France agit politiquement et soutient les actions humanitaires en direction de la population palestinienne, particulièrement touchée en ce moment.

S'agissant de l'Iran, il ne faut sous-estimer ni l'épreuve infligée au peuple iranien ni la capacité du régime à durer malgré les sanctions. Certes, sa politique actuelle vise à obtenir la levée des sanctions, mais le régime iranien est loin d'être mis à bas. Il tient le pays dans une main de fer, et les sanctions la renforcent. C'est une des leçons que l'on peut en tirer après les manifestations des derniers jours. Ils ont su techniquement maîtriser mieux que précédemment la coupure d'Internet et le black-out sur le terrain. Par ailleurs, les pressions américaines font le jeu des durs du régime.

Dans le contexte actuel, il faut s'attendre à ce que l'Iran, qui souffre beaucoup de ces sanctions, s'en tienne néanmoins à son orientation actuelle. Le Liban a été évoqué plusieurs fois. La France est très mobilisée sur cette question. C'est une histoire ancienne. La crise est très grave. Elle est dangereuse pour la stabilité du pays, parce qu'elle est à la fois politique et économique. Sur le plan économique, la situation est plus inquiétante que par le passé. Ce n'est pas la première crise que connaît le Liban, mais c'est la plus sérieuse. Le système bancaire lui-même est touché. On a une double crise, une crise de liquidité immédiate et une crise structurelle. Cette dernière est liée au manque de compétitivité et de réformes. C'était pour remédier à cette situation que nous avons organisé la Conférence économique pour le développement du Liban par les réformes et avec les entreprises (CEDRE), l'an dernier. La France est donc très mobilisée.

La crise de liquidité immédiate est aussi liée au manque de confiance dans le système bancaire. Elle est très préoccupante parce qu'elle risque, d'ici quelques semaines, peu à peu, d'empêcher le pays de fonctionner. La France en est très consciente et fait passer le message. Le Premier ministre libanais a démissionné. Un nouvel équilibre politique n'a pas encore été trouvé et les manifestations ne cesseront pas avant un moment.

Aujourd'hui, aucun équilibre autour d'un nom pour un nouveau Premier ministre, ne se fait. Face à ce blocage, le Président de la République et le ministre m'ont demandé de me rendre au Liban afin d'y porter un message disant qu'il fallait rapidement trouver un gouvernement efficace et crédible répondant aux demandes de la population. Je l'ai relayé auprès de tout le monde. Cependant, c'est aux Libanais eux-mêmes de trouver la solution. Je pense que ce message a été entendu. Nous sommes donc en train de travailler à une mobilisation de la communauté internationale. Cela ne pourra toutefois être un chèque en blanc. Ce n'est pas possible. S'il y a soutien économique, il y aura parallèlement une exigence de réformes extrêmement forte. C'est d'ailleurs ce qu'attendent les autres bailleurs et la population libanaise elle-même.

C'est donc la France qui est à la manoeuvre. Je partage l'analyse de plusieurs d'entre vous selon laquelle un Liban déstabilisé serait préjudiciable à tous. Cela ne fait aucun doute, à tous points de vue. Le projet d'Al-Ula est en effet un projet très important et extrêmement emblématique de la vision actuellement portée par l'Arabie saoudite. C'est à la fois un projet politique, économique et culturel. Il est très réfléchi. On accepte le passé anté-islamique et on laisse venir des étrangers. Ce sont des aménagements considérables, qui assurent le développement local. Le pays se construit une identité qu'il n'avait pas jusqu'alors. Il faut l'accompagner.

Il existe certes une part d'ombre dans tout cela. L'affaire Khashoggi en est un exemple. Il faut demeurer prudents et exigeants, mais il faut concrétiser ces échanges. La visite que vous avez effectuée avec M. Bockel était fort bien venue. On a besoin de davantage de dialogue avec l'Arabie saoudite. C'est pour nous une priorité.

Concernant les chrétiens d'Orient, la France, par une longue tradition qui remonte à François 1er et aux capitulations, reste très mobilisée. Les chrétiens d'Orient ont longtemps été des interlocuteurs privilégiés de notre pays, que ce soit au Liban, en Palestine ou ailleurs. Aujourd'hui, on sait qu'ils sont parmi les premières cibles de Daech, dans une perspective d'intolérance absolue et de violence insoutenable. Nous avons lancé en 2015 une conférence pour les victimes des violences ethniques et religieuses au Moyen-Orient. Les chrétiens en font partie. Ils ne sont pas les seuls, et je pense notamment à la communauté Yazidie, mais c'est la principale communauté à laquelle nous pensons. Notre objectif est de monter en 2020 une nouvelle conférence de Paris. Nous sommes dans un dialogue permanent avec eux dans toute la région, y compris en Égypte. Ce n'est pas une coïncidence si le pape copte, qui était à Paris il y a quelques semaines, a rencontré le Président de la République en tant que chef d'une communauté religieuse, dans le cadre d'une visite équivalente à celle d'un chef d'État. Le rapport Personnaz a également été rendu en début d'année. Il fournit des propositions et des idées.

En Irak, on projette de restaurer des mosquées rasées par les mouvements jihadistes, mais aussi des églises, et ce en parfaite entente avec les autorités. Ce sujet va demeurer. La mobilisation française est très forte.

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