Intervention de François Geleznikoff

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 27 novembre 2019 à 9h35
Audition de M. François Geleznikoff directeur des applications militaires du commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives cea-dam

François Geleznikoff :

Sur les réseaux de surveillance, la contribution française consiste à mettre 24 stations à disposition de l'OTICE. C'est déjà fait. Mais nous sommes en train d'en changer une pour la mettre à un autre endroit. Donc, à la fin de l'année 2019, nous serons encore le premier pays à avoir rempli nos obligations vis-à-vis de l'OTICE.

À part la Corée du Nord et l'Iran, le ministère des Armées nous demande de surveiller un certain nombre d'autres pays, mais nous n'avons pas tendance à surveiller nos alliés. La Turquie fait encore partie de l'OTAN et Israël est un allié naturel dans la durée, mais cela ne nous empêche pas de regarder de par le monde tout ce qui peut se faire, en regardant même des pays un peu au-delà mais sans regarder trop précisément comme on le fait sur des pays d'intérêt qu'on nous demande de regarder. Par exemple, dans la région de l'Iran, certains pays comme l'Arabie Saoudite ou l'Egypte se sont déclarés volontaires pour se doter d'armements nucléaires, au cas où l'Iran s'armerait, nous avons donc une attention sur ce genre de pays.

Concernant notre relation avec l'AIEA, l'OTICE dépend de l'ONU, comme l'AIEA. Le président actuel de cette instance a eu le soutien de la France pour son élection. Nous travaillons avec ces organismes, ne serait-ce que pour défendre une position française de conformité des engagements de notre pays envers le TNP et le TICE. Chacun peut vérifier que nous ne procédons plus à des essais nucléaires. Le passage au programme Simulation fait que les expérimentations que l'on fait dans des quantités infimes ne sont pas en contradiction avec notre engagement dans ces traités. En ce qui concerne le traité de non-prolifération, nous avons sensiblement réduit le nombre de têtes et de missiles. Les présidents de la République successifs ont indiqué que notre pays a moins de 300 têtes nucléaires, selon un principe de juste suffisance. Nous sommes aussi le premier pays à avoir arrêté de fabriquer des matières nucléaires fissiles pour ses armes (nous sommes quasiment le seul pays dans ce cas-là) et nous sommes le seul pays n'ayant plus de champ de tir nucléaire pour reprendre les essais, celui du Pacifique ayant été démantelé. Ce sont aussi des arguments que l'on peut faire valoir dans les instances internationales et qui seront d'ailleurs sans doute repris lors de la rediscussion qui se tiendra aux Nations unies sur le TNP en 2020.

Sur notre relation nucléaire avec l'OTAN, vous savez que la France ne participe pas au plan de frappes OTAN. Cela n'empêche pas notre pays d'avoir des négociations avec ses alliés sur ce que représente la dissuasion française pour la protection des pays européens, sans qu'on puisse parler de parapluie de ce côté-là.

Pour revenir à votre question Madame, sur les dommages, le Président de la République a rappelé que l'objectif de la dissuasion était de faire en sorte qu'elle fonctionne, et donc de ne pas utiliser les armes nucléaires. En cas d'attaque contre ses intérêts vitaux, la France pourrait riposter en créant des « dommages inacceptables », et ce terme est réservé au Président de la République. C'est lui qui choisit ce que signifie cette expression et comme la notion d'« intérêts vitaux », elle n'est pas précisée ouvertement.

Sur la propulsion du porte-avions, les deux options sont à l'étude et aucune décision n'a été prise à ce stade. Il y a une option classique et une option nucléaire. Nous travaillons sur l'option nucléaire avec pour objectifs de montrer que nous sommes capables dans les délais et pour les performances de propulsion, de le faire conformément à ce qui nous est demandé, aux spécifications. Nous regardons également, ce sera une des conséquences, la problématique du coût par rapport à un porte-avions classique. Nous devrions en principe rendre notre copie en cohérence avec le ministère des Armées, à la Ministre des Armées au début de l'année 2020. La décision lui appartiendra avec sans doute l'accord de l'autorité suprême de notre pays.

Pour des raisons de délais et de coûts, nous resterons dans la continuité. Nous apporterons des gains sur ce qui concerne la problématique de la sûreté (même si on a déjà quelque chose d'extrêmement sûr) et sur la problématique de la réduction des bruits des chaufferies, qui permet de rendre les sous-marins indétectables. Nous entendons également gagner en disponibilité tout en réduisant les moments où l'on a besoin de changer les coeurs des chaufferies nucléaires pour donner de la disponibilité dans la durée au bateau. Ce sont les trois points majeurs qu'on va apporter sur les chaufferies. Donc document pour décision début 2020. Ce dossier est suivi au plus haut niveau, par le ministère des Armées.

Concernant la recherche sur le quantique, il faut se méfier des annonces. En effet, des ordinateurs peuvent être réputés très puissants, mais selon l'opération à réaliser (dissuasion, cryptage ou calcul industriel), ils peuvent s'avérer décevants. Le CEA, indépendamment de la DAM, travaille sur des composants pour les calculateurs quantiques, toujours en collaboration avec Bull. Nous entendons prévoir à l'avance les gains de performance des codes de calculs pour la dissuasion qui pourraient être apportés par ces calculateurs quantiques. Nous avons acquis chez Bull un prototype qui n'est pas quantique, mais qui va fonctionner comme un calculateur quantique, et qui va nous permettre en avance de phase de voir si ce type de calculateur dans le futur sera plus performant que les calculateurs classiques que l'on a aujourd'hui pour les programmes de dissuasion. Nous travaillons également avec ces matériels sur d'autres applications, dans les domaines de la recherche et de l'industrie. Vu les coûts de développement, nous aurons sans doute besoin d'un appui de Bruxelles sur ces sujets-là. Nous aurons, avec la nomination de M. Thierry Breton à la Commission européenne, un interlocuteur parfaitement informé de ces questions, même s'il aura peut-être un devoir de réserve.

Sur les compétences, pour les armes et la propulsion, nous sommes autant attachés au travail mené au CEA que chez nos partenaires industriels. Au CEA, une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences nous permet de suivre les compétences à l'unité près dans une vision de long terme. Nous étudions aussi les compétences industrielles de nos grands groupes et de nos PME partenaires, qui sont parfois très pointues, pour éviter les pertes dans la durée. Nous initions ainsi des petits programmes relais, pour éviter d'un système à un autre, toute perte de compétences. C'est vraiment un souci majeur. Nous n'avons pas besoin que des grands instruments, nous avons aussi besoin en priorité d'avoir ces compétences. Aujourd'hui, le nucléaire civil est peut-être moins flamboyant que par le passé, ce qui pose effectivement des questions en matière de conservation des compétences pour préserver la dualité entre nucléaire civil et nucléaire défense. Un audit a été demandé à Yannick d'Escatha sur ce sujet et des pistes vont être mises en application. En ce qui concerne les compétences relatives au réacteur nucléaire, nous avons effectivement besoin d'une autre conception de réacteur sur le futur porte-avions pour régénérer ces compétences de conception pour les chaufferies nucléaires embarquées du futur.

Vous m'avez en outre posé une question qui relève sans doute davantage de la compétence du chef d'état-major de la Marine. L'utilisation d'un porte-avions nucléaire plutôt que d'un porte-avions conventionnel relève selon moi d'un critère opérationnel. L'Amiral Prazuck vous a en partie répondu et je dirai donc la même chose que lui sur ce sujet.

Je reviens maintenant sur l'hyper-vélocité. Nous avons travaillé sur ce thème, pour nous prémunir d'armes adverses hyper-véloces qui auraient pour mission d'intercepter nos têtes, et aussi, il y a un peu plus de dix ans, pour voir comment on était capable de mettre en place ce type de concept. Ces sujets sont donc étudiés. Nos objets sont furtifs et indétectables aux radars. De plus, les têtes nucléaires sont hyper-véloces par nature, leur vitesse excède déjà celle des missiles du futur. Cette hyper-vélocité naturelle des têtes participe, en complément de la furtivité, de leurs capacités de pénétration des défenses. Avec l'EMA et la DGA, en avance de phase, nous travaillons pour être toujours avec des systèmes d'armes qui ont l'efficacité voulue.

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