Intervention de Emmanuelle Cortot-Boucher

Commission spéciale sur la bioéthique — Réunion du 12 décembre 2019 à 10h20
Audition de Mme Emmanuelle Cortot-boucher directrice générale de l'agence de la biomédecine

Emmanuelle Cortot-Boucher, directrice générale de l'Agence de la biomédecine :

Je vous remercie de m'avoir conviée pour évoquer le projet de loi relatif à la bioéthique. J'exerce mes fonctions depuis un mois et demi.

L'Agence de la biomédecine a été créée par la loi du 6 août 2004, dans la continuité de l'Établissement français des greffes. Ses activités se déploient dans quatre grands domaines qui ont en commun de requérir l'utilisation à des fins médicales ou scientifiques d'éléments ou de produits issus du corps humain : l'Agence de la biomédecine est ainsi compétente en matière de prélèvement et de greffe d'organes et de tissus, de prélèvement et de greffe de cellules souches hématopoïétiques - c'est-à-dire de moelle osseuse -, de procréation, d'embryologie et de génétique humaine. Ces domaines sont tous très largement régis par des dispositions issues des lois de bioéthique, et il est donc tout à fait naturel que l'Agence soit amenée à contribuer au débat en partageant l'expertise médicale, scientifique, juridique et éthique dont elle peut se prévaloir. Elle y contribue en restant fidèle au positionnement institutionnel qui est le sien : l'Agence est un établissement public administratif placé sous la tutelle du ministère de la santé ; ce statut exclut qu'elle puisse prendre position dans les débats de société, qui relèvent exclusivement de la représentation nationale ; en tant qu'organe administratif chargé d'une fonction d'expertise, l'Agence n'a pas vocation à y participer, et il est normal que, sur un certain nombre de sujets, elle choisisse délibérément de conserver une certaine neutralité.

L'Agence de la biomédecine a pris une part active au travail de préparation du projet de loi qui vous est soumis. Elle a répondu aux sollicitations des parlementaires. Elle a produit trois documents, qui ont alimenté les travaux de réflexion : un état des lieux de l'encadrement juridique international, un rapport d'information au Parlement et au Gouvernement sur l'état des connaissances et des sciences - actualisé en décembre 2017 - et un bilan de l'application des précédentes lois de bioéthique. L'Agence de la biomédecine a par ailleurs suivi de très près les débats à l'Assemblée nationale en première lecture.

Le projet de loi prévoit l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation (AMP) aux couples de femmes et aux femmes non mariées. Ce choix relève typiquement d'un débat de société dans lequel l'Agence de la biomédecine n'a pas d'observation particulière à faire valoir. Si l'évolution envisagée a lieu, l'Agence sera en mesure de soutenir sa mise en place dans les centres d'AMP et les centres de conservation des oeufs et du sperme en adaptant ses règles de bonnes pratiques. C'est le sens de l'ajout auquel les députés ont procédé au 4°bis de l'article L. 2141-1 du code de la santé publique.

Le projet de loi envisage d'instituer un droit d'accès à l'origine pour l'ensemble des enfants issus d'une AMP avec recours à un tiers donneur. Le système proposé prévoit, d'une part, la création d'une commission ad hoc placée auprès du ministre chargé de la santé qui aura pour mission de recevoir les demandes des enfants issus du don, ainsi que le cas échéant, celles des donneurs qui souhaiteraient savoir combien d'enfants ont été conçus à partir de leurs gamètes ; d'autre part, la mise en place d'un registre tenu par l'Agence de la biomédecine qui permettra, sur saisine de la commission ad hoc, d'avoir accès aux données nécessaires pour répondre à ces deux types de demandes. Pour rendre possible l'exercice de ce droit d'accès aux origines pour tous les enfants conçus avec recours à un tiers donneur, le projet de loi modifie le régime juridique du don de gamètes en prévoyant qu'il ne pourra plus être effectué que si le donneur accepte que son identité soit révélée aux enfants issus du don, s'ils en font la demande à leur majorité.

Le projet de loi prévoit donc un phasage en trois temps pour l'entrée en vigueur de ce nouveau régime : pendant une première période d'un an à compter de la promulgation de la loi, l'AMP sera élargie aux couples de femmes et aux femmes non mariées, mais continuera à se faire à partir de gamètes qui auront été recueillis sans que le donneur ait accepté le principe d'un droit d'accès à l'origine pour les enfants issus du don ; au cours d'une deuxième période, les dons ne pourront plus être effectués que si le donneur consent à ce que les enfants issus de ce don puissent, sur leur demande, avoir accès à son identité ; enfin, au cours de la troisième période, l'AMP ne pourra plus être réalisée qu'à partir de gamètes recueillis auprès de donneurs ayant consenti à la levée de l'anonymat avec la tenue d'un registre relatif aux donneurs de gamètes. C'est une nouvelle mission que le projet de loi envisage de confier à l'Agence de la biomédecine : l'outil élaboré devra être opérationnel à l'expiration d'un délai d'un an à compter de la promulgation de la loi et devra répondre à des exigences très fortes en termes de fiabilité, de résistance à l'obsolescence et de sécurité. Nos équipes ont d'ores et déjà commencé à réfléchir aux modalités pratiques de fonctionnement de ce registre en capitalisant notamment sur l'expérience acquise avec l'utilisation des autres traitements de données tenus par l'Agence de la biomédecine notamment dans le domaine de la greffe d'organes et de cellules.

L'Agence de la biomédecine se prépare aussi, dès à présent, à assurer la promotion du don de gamètes dans le contexte où il y aurait lieu de reconstituer un stock de gamètes recueillis sous l'empire du nouveau régime juridique. Si les dispositions envisagées sont adoptées, il s'agira sans aucun doute d'un changement de paradigme pour l'Agence, justifiant de repenser les méthodes de communication et les publics visés.

Dans le domaine du prélèvement et de la greffe d'organes, le projet de loi apporte des modifications importantes pour développer le don croisé, qui reste de faible importance en France. Il prévoit de faire disparaître la règle actuelle, qui limite à deux le nombre de paires donneur-receveur susceptibles d'être mises en relation, et de renvoyer au décret le soin de fixer un nombre plus élevé. Les chaînes ainsi constituées pourront en outre faire intervenir des donneurs décédés et les équipes de prélèvement et de greffe ne seront plus soumises à l'obligation de réaliser l'ensemble des opérations de manière simultanée, mais dans un délai de 24 heures. Par ailleurs, le projet de loi introduit des dispositions visant à faciliter le fonctionnement des comités d'experts chargés d'autoriser le prélèvement. Ces mesures sont cohérentes avec l'objectif du troisième plan Greffe adopté en 2017.

Dans le domaine du prélèvement et de la greffe de cellules souches hématopoïétiques, le projet de loi vise à tenir compte du développement de la greffe semi-compatible qui intervient dans un contexte familial et donne de bons résultats. L'Agence de la biomédecine doit suivre les donneurs de cellules, y compris lorsqu'ils sont apparentés. Tel est l'objet des dispositions introduites par le projet de loi à l'article L. 1418-1 du code de la santé publique. Le projet de loi ouvre aussi la possibilité pour un mineur de procéder à un don de moelle osseuse au profit de son père ou de sa mère. Compte tenu des risques inhérents à un tel don, un encadrement fort est prévu avec l'intervention d'un administrateur ad hoc qui représentera les intérêts propres du mineur, la saisine du président du tribunal de grande instance aux fins de recueillir le consentement de l'intéressé et l'obligation de vérifier avant de recourir à cette faculté, qu'elle est la seule option thérapeutique envisageable pour le père ou la mère de l'enfant.

Pour la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines (CSEh), le projet de loi prévoit de passer d'un régime d'autorisation à un régime de déclaration. Cette évolution, qui avait été suggérée par l'Agence de la biomédecine dans le rapport relatif à l'application de la précédente loi de bioéthique, tire les conséquences du fait que le travail sur ces cellules n'implique pas nécessairement la destruction d'un embryon et ne présente donc pas les mêmes risques sur le plan éthique que la recherche sur l'embryon lui-même. Le projet de loi propose toutefois une garantie : l'Agence de la biomédecine dispose d'un pouvoir d'opposition dont elle ne peut faire usage que sur le fondement d'un avis, rendu public, de son conseil d'orientation. Ces mesures visent à soutenir la recherche française sur les CSEh dont les très bons résultats doivent être consolidés : les équipes installées en France ont démontré leur capacité à mener des travaux de haut niveau et à publier dans des revues scientifiques à fort impact ; elles ont aussi fait la preuve de leur capacité à conduire des essais cliniques à partir de ces travaux. Les bénéfices concrets, pour les patients, des recherches qui sont conduites sur les CSEh paraissent désormais à portée de main.

En ce qui concerne la recherche sur l'embryon lui-même, le projet de loi maintient le principe d'une autorisation soumise à des conditions précises, notamment au respect de plusieurs principes éthiques. Il apporte en outre une précision nouvelle portant sur la durée de développement de l'embryon, fixée à quatorze jours, conformément au consensus international en la matière. Enfin, il clarifie la portée de l'interdiction, déjà présente dans la loi, de constituer un embryon chimérique : conformément à l'interprétation donnée par le Conseil d'État, le projet de loi précise que cette interdiction ne fait pas obstacle à l'introduction de CSEh dans un embryon animal, même si, d'un strict point de vue scientifique, une telle opération aboutit bien à la création d'une chimère.

Dans le domaine de la génétique, le projet de loi s'efforce de définir un cadre juridique conciliant deux exigences : tenir compte de l'évolution des techniques et protéger les personnes contre les risques que les tests génétiques peuvent leur faire courir si leurs résultats sont mal interprétés. En effet, les résultats des tests génétiques ont un caractère éminemment personnel, mais aussi une forte valeur prédictive - parfois à tort - et ils peuvent orienter les comportements individuels. Le projet de loi choisit de maintenir le principe de leur interdiction sauf à des fins scientifiques, médicales ou judiciaires et d'imposer le recours à un professionnel pour en interpréter les résultats. Pour rendre néanmoins tangibles les bénéfices issus des progrès de la génétique, le projet de loi précise les modalités d'information du patient et de sa parentèle en cas de découverte incidente faite à l'occasion d'un examen de génétique somatique. Il autorise aussi la réalisation d'examens génétiques sur une personne décédée ou une personne qui n'est pas en capacité de donner son consentement lorsqu'elle ne s'y est pas formellement opposée auparavant et organise les modalités d'information de la parentèle.

Dans ce projet de loi, l'Agence retrouve de nombreuses préoccupations exprimées par les professionnels avec lesquels elle est en contact régulier. L'Agence sera prête à mettre son expertise pour la mise en oeuvre des dispositions qui seront votées dans le cadre de la future loi de bioéthique.

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