Intervention de Hervé Marseille

Réunion du 11 décembre 2019 à 15h00
Quelle politique énergétique pour la france ? quelle place pour edf — Débat organisé à la demande du groupe union centriste

Photo de Hervé MarseilleHervé Marseille :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, avoir un débat sur la politique énergétique de la France et sur la place de ce fleuron national qu’est EDF, c’est aborder simultanément des sujets de politique industrielle, de sécurité nationale, de transition énergétique et de protection de l’environnement. À nos yeux, la politique énergétique d’une nation constitue l’une des principales politiques publiques transversales qu’un pays doit mener. Or, depuis plus de deux ans, il est difficile d’identifier celle que porte le Gouvernement. C’est pourquoi nous avons décidé d’inscrire ce débat dans le cadre de l’espace réservé de notre groupe.

Madame la ministre, ce débat nous donnera l’occasion de vous interroger, et il vous permettra, je l’espère, de clarifier les ambitions du Gouvernement.

L’équation à résoudre est complexe. Définir une politique énergétique, c’est fixer des priorités entre différents enjeux parfois contradictoires.

Les principaux enjeux que nous avons pu identifier – je ne vous apprendrai rien à cet égard – sont les suivants : maintenir un prix raisonnable de l’énergie, en particulier de l’électricité ; tendre vers une production d’énergie la plus décarbonée possible ; viser notre indépendance énergétique ; garantir la production et l’acheminement de l’énergie en toutes circonstances ; choisir des sources de production sûres pour la population et pour l’environnement ; enfin, préserver la qualité de nos paysages.

Tous ces objectifs sont louables, mais difficilement conciliables. Vous devez faire des choix, établir une hiérarchie des priorités.

Après le premier choc pétrolier, l’indépendance énergétique, avec le nucléaire, et la maîtrise du coût pour le consommateur final ont prévalu, et ce quasiment jusqu’à aujourd’hui. L’entreprise nationale était alors le bras armé de la Nation pour mettre en œuvre cette politique. L’État lui fixait ses priorités.

Aujourd’hui, nous sentons un flottement dans la stratégie, qui se répercute sur EDF, désormais confrontée, de surcroît, à des entreprises concurrentes sur le plan international. Nous ne savons plus si EDF répond à la politique choisie par le Gouvernement ou si elle agit en entreprise indépendante, alors que l’État en détient encore 83 %.

Il est temps de définir le positionnement des représentants de l’État au sein du conseil d’administration d’EDF et de clarifier les buts visés dans les domaines suivants : quel degré de volontarisme dans la stratégie de décarbonation et quel mix énergétique ? Quel avenir pour la filière nucléaire ? Quelle politique de prix, eu égard à la compétitivité de notre économie et à la maîtrise des charges pour les consommateurs ?

Qu’il s’agisse de la décarbonation ou du choix des sources de production d’énergie, le lien entre l’État et EDF n’est pas clarifié, et les décisions successives ne reflètent pas de vision stratégique. Il faut lever les confusions en matière de mix énergétique et affirmer la position française.

Le précédent gouvernement a imposé à EDF la fermeture de la centrale de Fessenheim, contre toute logique de sûreté ou financière. Le gouvernement auquel vous appartenez a fait le choix d’éteindre les quatre centrales à charbon.

Il y a quelques semaines, le P-DG d’EDF, M. Lévy, annonçait la construction souhaitable de six nouveaux réacteurs nucléaires en France de type EPR, alors même que celui de Flamanville a déjà pris onze ans de retard et que son coût a triplé…

Le Président de la République annonçait en 2018 la fermeture de quatorze réacteurs à l’horizon de 2035, sans préciser les éventuelles nouvelles constructions. Dans le même temps, vous avez souhaité, à juste titre, développer des sources d’énergies décarbonées.

Cet enchaînement et même ces contradictions, au moins apparentes, nuisent à la compréhension pour les parlementaires que nous sommes, mais aussi pour les salariés d’EDF.

Vous avez souhaité diminuer la part du nucléaire dans le mix énergétique à hauteur de 50 % à l’horizon de 2035. Force est de constater que, pour remplacer plus de 20 % de la production par des énergies renouvelables, sans compter les hausses de consommation à venir, il faudra un engagement plus fort dans le développement des énergies solaire, éolienne, hydraulique ou encore géothermique. Cette évolution impliquera plus de moyens, plus de volontarisme et surtout plus d’acceptation de la part des citoyens. Elle doit aussi engendrer plus de mesures d’économies d’énergie.

Quand allons-nous réellement progresser en matière d’énergie renouvelable ? Notre pays a par exemple, sans doute, le meilleur « terrain de jeu » pour le développement de l’éolien en mer. Nous restons malheureusement des nains mondiaux en la matière.

En matière d’éolien terrestre, nous observons une schizophrénie bien française : on alterne entre volonté de développer une énergie propre et refus de la voir s’installer sur son territoire. Ce manque d’acceptation de la part des habitants illustre parfaitement un syndrome assez répandu : le « pas dans mon jardin », en bon français not in my backyard.

Pourtant, il faudra parfois faire des choix entre la préservation des paysages et le développement des modes de production renouvelables.

Comment dépasser certains blocages ? Peut-être en présentant le coût complet, financier et environnemental, des différentes sources d’énergie.

En outre, la production locale, voire l’autoproduction sont des thématiques qui se développent. Quel équilibre voyez-vous entre ce type de ressources et les grandes productions nationales ?

Augmenter le nombre de points de création d’énergie peut rapprocher la production des territoires, voire leur assurer une certaine autonomie, mais nécessite des compromis, notamment environnementaux.

Le deuxième positionnement que l’on pourrait attendre du Gouvernement vis-à-vis d’EDF concerne l’avenir de la filière nucléaire.

Avec cinquante-huit réacteurs, la France produisait en 2017 près des trois quarts de son électricité grâce au nucléaire. À titre de comparaison, aux États-Unis, seulement 20 % de l’électricité provient du nucléaire, contre 11, 6 % en Allemagne et 4 % en Chine. Ces chiffres résultent des choix forts et ambitieux, depuis soixante-dix ans, d’une forme de stratégie gaullienne de souveraineté énergétique.

L’énergie d’origine nucléaire nous permet par ailleurs de produire peu de gaz à effet de serre. Nous estimons qu’il est important de conserver notre spécificité pour atteindre les objectifs fixés dans l’accord de Paris.

Je le disais plus tôt, les annonces en matière de nucléaire sont contradictoires et les choix du passé pèsent sur la santé d’EDF.

Aujourd’hui, le nucléaire français vacille, fragilisé par le poids de la dette et par le montant exceptionnel des investissements nécessaires pour rénover le parc et les nombreux retards de chantier : retards sur l’EPR de Flamanville et sur l’EPR finlandais, risques pesant sur les investissements et la rentabilité du projet d’Hinkley Point.

Tout cela pèse sur notre électricien, aujourd’hui endetté à près de 37 milliards d’euros – ce montant dépasse même le double si l’on y ajoute les emprunts obligataires –, soit trois fois plus qu’il y a dix ans, sans compter les investissements obligatoires, comme celui du grand carénage, qui devrait atteindre 100 milliards d’euros d’ici à 2030.

Outre la mauvaise santé financière d’EDF, dont son actionnaire ultra-majoritaire ne peut se désintéresser, vous devez forcément garder à l’esprit une préoccupation humaine et technique : il s’agit d’associer les salariés et les agents, de les motiver et de mettre en avant leurs savoir-faire.

Il faut accompagner ces changements, y compris pour préserver les connaissances technologiques nécessaires pour préparer l’avenir. Il ne faut pas non plus, pour sauver les apparences, démanteler et séparer les activités d’EDF, comme le projet Hercule pourrait le laisser penser.

Le troisième et dernier positionnement stratégique que je souhaite aborder a trait au prix de l’énergie.

À ce titre, la France est encore bien en dessous des autres pays en Europe et dans le monde, malgré une augmentation continue depuis treize ans – la hausse cumulée atteint ainsi 40 %. Ces tarifs sont l’un des rares avantages comparatifs dont bénéficient nos entreprises. La hausse des prix de gros sur les marchés de l’électricité a conduit les fournisseurs alternatifs à se reporter sur l’Arenh.

Le débat autour de cet accès régulé a eu lieu lors de l’examen du projet de loi relatif à l’énergie et au climat.

On pressent que ce modèle atteint ses limites. EDF continue d’investir et prend des risques, tandis que ses concurrents alternatifs font des choix d’opportunité entre le marché mondial et le marché protégé. Ce modèle amortit les hausses pour le consommateur final, mais ne reflète pas le véritable coût de l’électricité.

Face à la crise des « gilets jaunes » et aux demandes en matière de pouvoir d’achat, M. le Premier ministre annonçait, en décembre 2018, le gel des tarifs de l’électricité et du gaz jusqu’en mai 2019. Cette mesure n’a pas empêché une hausse en juin 2019, la plus forte depuis la libéralisation du marché en 2007, suivie d’une autre au mois d’août, due à l’augmentation des coûts de distribution.

Plusieurs questions se posent donc désormais. Quelle est la stratégie du Gouvernement en matière de prix de l’électricité ? Faut-il faire payer le prix réel au consommateur ? Allez-vous revoir le rapport entre EDF et ses concurrents, qui fait peser sur la seule entreprise historique le coût moindre de l’énergie en France ?

Madame la ministre, vous le constatez, nos questions sont nombreuses.

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