Intervention de Jacques Toubon

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 21 novembre 2019 : 1ère réunion
Audition de M. Jacques Toubon défenseur des droits

Jacques Toubon, Défenseur des droits :

Je vous remercie, Monsieur le président, pour votre invitation à répondre ce matin à vos questions et éclairer l'action du Défenseur des droits dans les territoires d'outre-mer et auprès des populations d'outre-mer, que celles-ci soient dans les territoires ou en métropole.

Depuis cinq ans que j'assume cette fonction, j'ai eu à coeur que l'action qui est celle du Défenseur soit effective sur l'ensemble du territoire de la République, métropole comme outre-mer. Ceci a été l'un de mes premiers engagements et je vais détailler les diverses actions et rapports que j'ai entrepris dans cette direction.

La recherche de l'égalité dans la mise en oeuvre des droits, qui est la ligne de force du Défenseur dans sa mission constitutionnelle, est encore plus prégnante et difficile outre-mer que dans le territoire métropolitain. Nous avons le sentiment, à beaucoup d'égards, que les habitants de l'outre-mer ont un accès aux droits inférieur à ce qui est le cas en métropole.

Je prendrai ici un exemple récent. J'ai publié en janvier un rapport sur la dématérialisation des procédures administratives. Ceci crée une situation d'inégalité, 20 à 25 % des personnes ayant des difficultés en informatique ou des lacunes en matière d'équipements : le service public doit le prendre en compte. Nous nous sommes rendus compte que l'accès à internet était plus difficile outre-mer : l'abonnement coûte 40 % de plus aux Antilles par exemple ! Cela s'ajoute aux difficultés de base. Si l'on s'en donne la peine - ce qui je pense est notre cas - on voit l'ensemble des éléments objectifs de difficultés à atteindre l'objectif d'égalité. La diversité spatiale, l'éloignement, les conditions climatiques - qui sont là encore des éléments objectifs - doivent aussi être pris en compte. Vous, parlementaires, élus des territoires, le savez mieux que personne. Ces éléments ne doivent cependant pas, dans un esprit fataliste, conduire à dire qu'il ne peut y avoir d'égalité.

L'outre-mer représente une proportion importante des réclamations reçues par le Défenseur des droits. Nous avons reçu 96 000 réclamations l'an dernier et atteindrons 105 000 certainement cette année. Sur ce total, 3 200 demandes émanaient de personnes résidant outre-mer. Plus de 80 % de celles-ci concernaient les relations avec les services publics et environ 10 % des questions de discriminations.

Pour faire face à ces demandes, le siège national compte 320 personnes, juristes et experts. Cette équipe mène l'activité d'études et de promotion des droits. Mais l'essentiel est bien le réseau territorial, c'est à dire entre 510 et 515 délégués sur l'ensemble du territoire, qui font des permanences dans 870 points d'accueil, dont plus de 160 dans des lieux de détention. En ce qui concerne les outre-mer, 28 délégués sont présents, assurant des permanences dans 32 lieux - préfectures, mairies, maisons du droit - dont 12 établissements pénitentiaires. Je viens de réorganiser ce réseau avec des chefs de pôles, salariés et non bénévoles comme les délégués, qui vont impulser l'action des délégués. Nous avons une cheffe de pôle Antilles-Guyane, Christelle Cardonnet, et un chef de pôle a été nommé récemment pour l'océan Indien, Didier Lefèvre, ancien conseiller territorial à La Réunion. 12 chefs de pôles régionaux vont également être désignés sur les grandes régions métropolitaines.

Je renforce ce réseau territorial. Nous avons récemment remplacé une déléguée qui a quitté ses fonctions à Mayotte mais également désigné un délégué supplémentaire compte tenu des dossiers que nous avons à gérer. Nous souhaitons que ces délégués travaillent avec les élus et les parlementaires.

Suivant les années, les délégués traitent 80 à 85 % des dossiers. Il faut avoir à l'esprit que dans huit cas sur dix, quand on parle du Défenseur des droits, il s'agit d'une personne qui est à une dizaine de kilomètres. J'ai souhaité que nous allions plus loin dans le traitement de ces réclamations individuelles et ai voulu que nous menions des études particulières et que nous ayons des témoignages.

J'ai lancé un appel à témoignages outre-mer parce que je voulais savoir comment les ultramarins se situaient par rapport aux services publics et à l'accès aux services publics. Je n'ai pas, faute de moyens budgétaires, réalisé une « enquête » mais un appel à témoignages. Celui-ci n'a bien entendu pas de valeur scientifique : à proprement parler, répondent ceux qui veulent bien répondre. Il donne cependant, dans plusieurs cas, de précieuses indications. Ces appels à témoignages peuvent être d'utiles outils. L'appel à témoignage mené à l'époque par Dominique Baudis en 2013 sur les cantines scolaires a montré sa pertinence avec les suites législatives qui ont notamment été apportées.

J'ai également mené des opérations appelées « place aux droits » avec des experts et juristes qui se déplacent, sur des places publiques. Nous l'avons fait à Toulouse, à Lille, en octobre 2018 en Martinique et en Guadeloupe et récemment, il y a un mois, à La Réunion et à Mayotte. Je n'ai malheureusement pas pu être présent dans l'océan Indien, nous rendions alors hommage à Paris au président Jacques Chirac. Mon adjointe, Défenseure des enfants, Geneviève Avenard, et la déléguée générale, Constance Rivière, m'ont représenté.

J'ai également effectué des études sur des sujets préoccupants en outre-mer. À Mayotte, nous nous sommes particulièrement intéressés aux mineurs isolés. J'ai consacré aux enfants d'outre-mer un chapitre entier du rapport 2017 sur les droits de l'enfant. En 2016-2017, j'ai moi-même réalisé une mission en Guyane dont nous avons tiré un rapport. Tout ceci, ce n'est pas pour produire des documents : chaque fois, nous avons travaillé avec la ministre des outre-mer et avons formulé des propositions. Je pense à l'allongement à cinq jours du délai de déclaration à l'état civil des naissances : c'est la traduction du terrain. Ce n'est pas une cogitation de juristes mais bien la réponse à la situation de la Guyane avec nombre d'enfants non déclarés à l'état civil.

Je vous présente mon action, mais je ne la détaillerai pas outre mesure car nous pourrions y consacrer la matinée ! Aussi, ne l'oublions pas, l'outre-mer, c'est la France : les territoires sont intégrés à l'ensemble des problématiques que nous traitons. Je ferai donc avec mon équipe une traduction écrite et plus précise de nos travaux, que nous vous transmettrons.

Le premier travail, sur place, est d'identifier les situations de rupture. Une fois objectivées, il s'agit de traiter ces situations sur le registre de la prévention. Ensuite, il faut établir des recommandations appropriées.

Je commencerai par les situations de rupture. Les services ont conduit une mission en 2016 en Guyane où je me suis moi-même rendu. Nous avons publié au début de 2017 un rapport sur le droit et l'accès aux services publics en Guyane. La situation de ce département est particulière. La protection des droits fondamentaux n'y est pas à un niveau garanti suffisant quand on compare à la métropole. Toutes nos études montrent les inégalités en matière de développement, de qualité de vie, d'équipement, les failles en matière énergétique, les questions de santé, ainsi que celles qui concernent les populations du fleuve. Dans le cadre de cette maison a été produit un rapport sur le suicide des jeunes Amérindiens. J'ai fait un certain nombre de recommandations pour que l'accès aux services publics et l'accès aux droits par les services publics soient effectifs. On ne peut pas, par exemple, admettre que les personnels du centre hospitalier de Cayenne fassent seulement un an avant de s'en aller. Il ne s'agit pas pour le Défenseur de définir les politiques publiques et se substituer à l'État ou à la collectivité unique aux nombreuses compétences.

Lorsque je me suis rendu en Guyane, la fusion des collectivités venait de s'opérer : les compétences du département et notamment l'aide à l'enfance se retrouvaient absorbées par la région qui n'en maîtrisait pas la gestion. L'État avait alors apporté une aide financière. Je tiens à préciser que si cela concerne ici la Guyane, cela témoigne de la situation générale sur le territoire de la République.

À l'occasion de l'opération « place aux droits » réalisée aux Antilles il y a un an, j'ai lancé cet appel à témoignages dont nous parlions. Il s'est déroulé de novembre 2018 à mai 2019. Nous avons recueilli près de 1 000 témoignages que nous avons complétés par une enquête téléphonique sur les départements de La Réunion, la Guadeloupe et la Martinique. Un rapport a été publié à l'issue de cet appel en septembre 2019, à l'occasion du déplacement dans l'océan Indien. Quels en sont les enseignements ? La persistance de fortes inégalités socio-économiques entre les outre-mer et la métropole, ainsi qu'entre les territoires ultramarins.

La première préoccupation est la lutte contre le chômage, avec une dégradation de la situation à La Réunion, où le chômage s'élève à 24 % en 2018. L'accès aux soins, à la santé, la protection de l'environnement et l'éducation sont les sujets qui viennent ensuite, cités par 4 résidents sur 10. Il y a également des difficultés d'accès aux services publics de santé, hôpitaux, PMI, de protection sociale, - c'est-à-dire la caisse d'allocations familiales et caisse générale de sécurité sociale. 61 % des personnes interrogées par l'enquête téléphonique et 83 % des participants de l'appel à témoignage considèrent que les services publics fonctionnent moins bien qu'en métropole. Ceux qui déclarent le plus de difficultés dans les démarches administratives sont les habitants de Mayotte et de la Guyane. Le troisième sujet est celui des discriminations dont les habitants des outre-mer sont victimes, dans l'accès à l'emploi, mais aussi au travail, ou dans les relations avec les administrations ou les services publics. 76 % des personnes déclarent avoir été témoins d'un traitement défavorable ou d'une discrimination et près de 65 % en avoir été eux-mêmes victimes. 62 % des personnes de l'enquête téléphonique citent le critère de l'origine ou de la couleur de peau, loin devant le critère de l'orientation sexuelle, de l'état de santé ou de celui du handicap.

Les opérations « place aux droits » sont une réponse apportée sur place par le Défenseur des droits. Aux Antilles, nous avons permis deux jours et demi de guichets urbains ouverts. J'ai aussi eu l'occasion d'intervenir dans des conférences avec des associations notamment. J'y ai par exemple évoqué les discriminations liées à l'orientation sexuelle, particulièrement en milieu scolaire. Nous avons signé une convention avec le recteur de l'Académie de la Martinique, à Fort-de-France.

Dans l'opération « place aux droits » réalisée à Mayotte et La Réunion, une quinzaine de juristes venus de Paris ainsi que les délégués du Défenseur des droits ont fait des permanences dans quatre communes. À la suite de cela, Geneviève Avenard et Constance Rivière se sont rendues à Mayotte cette année. À l'occasion du trentième anniversaire de la Convention des droits de l'enfant, les travaux du Défenseur ont été axés sur les droits des enfants. C'est une préoccupation qui n'est pas nouvelle : Dominique Baudis s'était rendu en 2013 à Mayotte. Nous le savons, la situation d'une immigration massive illégale pèse sur le fonctionnement des services publics - notamment la préfecture - et rend très difficile la mise en oeuvre des droits fondamentaux et ceux des enfants, parmi lesquels un droit essentiel qu'est le droit à l'éducation. Nous préparons un compte rendu sur ce déplacement, dont votre délégation sera destinataire.

Comment traiter ces situations sur le registre de la prévention et de la promotion ? Il faut rétablir les droits quand ils ne sont pas respectés. Mais l'action la plus profonde que nous devons mener - Gouvernement, Parlement, pouvoirs publics... - est celle de prévenir les atteintes aux droits, d'éviter que des systèmes soient à l'oeuvre pour provoquer les discriminations. J'ai eu à coeur de mettre au point des outils et documents, destinés à faire connaître les droits, diffusés par les délégués sur l'ensemble du territoire. Je cite un guide sur le recrutement sans discrimination, un dépliant « agir contre les refus de soins », une fiche pratique à destination des employeurs et employeuses sur le harcèlement discriminatoire au travail, un dépliant sur le harcèlement sexuel au travail, un guide de l'aménagement raisonnable, un dépliant de découverte des principaux droits pour apprendre à les faire respecter, un dépliant de défense des usagers du service public, sur l'intérêt supérieur des droits de l'enfant...

Je pense que le travail que je fais mériterait d'être mieux diffusé et connu. C'est pour cela que je souhaite y faire intervenir des présences humaines. C'est aussi pour cela que nous avons mis en place il y a 13 ans, pour lutter contre la banalisation des stéréotypes, prévenir la discrimination, et faire connaître les droits - en particulier ceux de l'enfant -, un projet porté par la Défenseure des enfants : un programme de jeunes ambassadeurs des droits pour l'égalité, les « JADE », créés en 2007. Ce dispositif concerne des volontaires du service civique qui s'engagent pour une durée de neuf mois à aller au contact des lycéens et apprentis pour promouvoir le rôle et les engagements du Défenseur, les droits de l'enfant et égalité. 94 JADE sont déployés dans 21 départements. Le budget limité du Défenseur des droits ne permet pas de financer la généralisation de ce dispositif : il faut des départements et métropoles pour financer les associations qui prennent en charge ces JADE. 425 000 jeunes ont été sensibilisés. Ce programme JADE est aussi déployé en outre-mer : cette année, il y a 12 JADE à La Réunion, 6 à Mayotte et 6 en Guyane. Nous envisageons 4 JADE en Guadeloupe et 6 à la Martinique à la prochaine rentrée scolaire.

J'ai assisté à une séance dans un collège. Nous avons discuté avec l'enseignant et la principale à la fin. Il s'avère qu'à la fin d'une intervention du JADE, une enfant a raconté au JADE et à l'enseignant tout ce dont elle était victime chez elle.

Cela montre que le Défenseur des droits, ce n'est pas un juriste qui travaille dans son bureau, derrière ses codes, avec ses experts : il mène ses actions sur le terrain, au coeur de la réalité sociale et humaine. Ma mission de veiller au respect des libertés et droits fondamentaux : ce n'est pas une mission juridique mais bien prendre à bras le corps les problèmes de la vie quotidienne. Je prends pour exemple le droit à l'éducation, ou encore le droit à la protection - je cite ici l'article 19 de la Convention des droits de l'enfant qui prévoit que les États parties font tout ce qui est en leur pouvoir pour prévenir la violence.

Un autre programme s'adresse aux collégiens et écoliers : Educadroit. Il n'est pas encore déployé outre-mer, j'aimerais qu'il le soit. Il s'agit de ressources, programmes pédagogiques et documents pour les 6-11 ans et les plus de 11 ans, pour sensibiliser les enfants et les élèves. Nous expliquons par exemple qui fait la loi, comment participer à une manifestation.... Il s'agit de faire comprendre que le levier du droit n'est pas seulement entre les mains des professionnels du droit et que tous doivent faire un usage critique du droit, qui peut leur être utile à eux et à leur famille.

Sur les réclamations individuelles, je voudrais donner des exemples de cette inégalité réelle qui se voit dans l'accès aux services publics. Je le dis cependant, le tableau des réclamations individuelles ne dresse pas un tableau de la situation ni de l'état des discriminations. Il y a pour diverses raisons des réticences à déclarer les discriminations, à s'en plaindre. Et, dans les îles ou territoires plus confinés, il y a une crainte que les choses se sachent, une peur de rétorsion. Tout le monde constate une réalité sociologique de discriminations mais peu de réclamations. C'est pour cela que j'avais par exemple été en Martinique et avais passé la convention que j'évoquais avec le recteur de Fort-de-France.

Je vais maintenant aborder des exemples illustrant la situation en Guyane. Sur la question de l'accès aux services publics et aux droits, j'ai traité les défauts de versements, par l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM), de l'aide à la continuité territoriale. Des enquêtes sont réalisées actuellement sur la situation de LADOM. J'ai considéré que les défaillances de versements de LADOM constituaient une discrimination à l'encontre des résidents d'outre-mer.

En Guyane, le recours aux droits est extrêmement faible. Je l'ai dit dans une enquête récente, un des problèmes d'accès aux droits est le non-recours. Toute une série de personnes ne sollicitent pas les droits auxquelles elles sont éligibles et, en cas de difficulté administrative, s'inclinent devant le refus. La Guyane est typique à cet égard. On voit bien qu'à cause de l'éloignement des centres administratifs, des coûts de transports, de la tenue aléatoire des permanences administratives, l'accès au droit est très complexe. La question géographique est prépondérante. J'ai présenté en 2017 des propositions visant à accélérer les décisions et procédures permettant de réaliser les travaux nécessaires à l'équilibre de la desserte du service public sur le territoire. Il est très clair que sur le territoire de la Guyane, il y a un littoral et le reste.

En matière d'éducation, il y a le problème de l'absence de lycée à Saint-Georges de l'Oyapock. À la fin de la 3e, il faut aller à Cayenne, dans des conditions difficiles, parfois en famille d'accueil. La République ne peut-elle pas prévoir que les habitants du fleuve qui sépare du Brésil puissent, sur place, avoir un accueil dans l'enseignement jusqu'au bout du secondaire ? Il faut remettre à niveau les équipements de toute nature dans ce département. Il faut mettre des effectifs dans l'accueil des services publics et déployer des maisons de services publics : le programme « France services » doit s'appliquer en Guyane avec tous les effectifs nécessaires. Il faut renforcer les missions administratives itinérantes sur les fleuves. Il faut élaborer des procédures simplifiées d'accès à l'information, en prenant en compte la fracture numérique et les populations éloignées des services publics. Il faut améliorer l'adressage et la distribution du courrier. Il faut enfin s'occuper des personnes de la fonction publique qui ont le courage de s'engager dans des postes isolés, difficiles : il n'y a pas assez d'accompagnement et d'initiation aux particularités culturelles, à la diversité linguistique. On voit des enseignants missionnés en haut des fleuves qui ne restent pas : ils n'ont pas été suffisamment bien prévenus, formés et, en quelque sort, acculturés. On ne peut prendre un poste dans le haut du Maroni comme on prend un poste dans l'Indre ou le Finistère. Mais cela veut dire un investissement, un temps de formation... Il faut un investissement supplémentaire de la collectivité nationale ou locale.

Nous avons également abordé les opérations de police à Mayotte, notamment lors des opérations de décasage. J'ai déclaré que cela était illégal et contraire aux droits fondamentaux. Nous avons dénoncé l'appel aux étrangers à quitter le territoire, ou l'appel aux opérations de décasage des étrangers. Nous ne faisons pas la police ou la gendarmerie, mais nous sommes vigilants. Des questions se posent dans la prise en charge du centre de rétention administrative et dans les services d'accueil des étrangers à Mayotte. Nous avons saisi le ministre de l'intérieur en mai 2018 sur le déploiement des forces de sécurité. Celui-ci a augmenté les moyens, à savoir une antenne du GIGN, une brigade d'intervention et une brigade de prévention de la délinquance juvénile. Sur les rapports avec la police et la gendarmerie, il y a beaucoup de difficultés. Toutefois, Mayotte est un département et doit être traité comme tel, quelle que soit la difficulté pour l'État français de traiter de manière diplomatique l'immigration en provenance des Comores.

Je souhaite enfin parler des discriminations des ultramarins en métropole, question souvent évoquée dans mes échanges avec les parlementaires. Nous traitons notamment les refus d'embauche. Une entreprise revendiquait de ne pas prendre de personnes d'origine africaine ou ultramarine. Nous avions pu mener une action, l'enquête ayant démontré la réalité de la discrimination. C'est une action de fond qu'il faut mener.

Il y a également des problèmes d'accès à la location avec des refus de caution quand la personne vient d'outre-mer ou que le compte bancaire de paiement du loyer est domicilié outre-mer. Nous avons traité ces réclamations qui sont des discriminations pures et simples. Nous avons veillé auprès de la fédération française des banques et groupements professionnels pour que des instructions soient données. La situation s'est améliorée depuis 2014 même si certains établissements ne font pas leur travail. Il y a également des difficultés dans l'accès au paiement et prêts bancaires lorsque le compte bancaire est domicilié en outre-mer. Je cite un cas d'un père de famille venant acheter un ordinateur à son fils s'installant à Bordeaux. Le paiement en trois fois qui lui était proposé à la caisse, associé à une carte de fidélité adossée à un crédit renouvelable, lui a été refusé sous prétexte de son lieu de résidence. Je pense également au cas d'une banque en ligne qui refusait l'ouverture d'un compte à une personne domiciliée outre-mer. L'entreprise a par la suite modifié sa convention générale avec interdiction de discrimination sur le lieu de résidence. Je parle de discriminations ici en métropole.

En outre-mer, les discriminations raciales sont importantes ; je le disais plus tôt, l'origine et la couleur de peau sont le premier critère cité. Le plus grand nombre de discriminations relevées, et c'est inquiétant, sont dans les administrations ou dans les relations avec les services publics, dans le travail, dans la recherche d'emploi, et dans les contrôles de police également avec des contrôles au faciès. En Guyane, nous avons un cas particulier des barrages routiers au Nord de Cayenne avec une situation de séparation, de discrimination à l'égard des populations de Saint-Laurent. J'avais dénoncé la situation des malades du VIH-SIDA qui, lorsqu'ils viennent chercher leurs médicaments, se retrouvent parfois empêchées par la fermeture du barrage. Il faut que la question soit posée : comment peut-on concevoir sur le territoire de la République, de tels barrages ?

J'ai également relevé de nombreuses discriminations à l'égard des personnes LGBTI, l'appel à témoignages en a relevé. Il faut que des chercheurs puissent travailler sur ce sujet pour objectiver ces situations. Nous avons observé des réticences à porter plainte, à dénoncer des attitudes stigmatisantes, y compris lorsque celles-ci viennent de forces de l'ordre. Le nombre de saisines est faible mais celles-ci sont significatives. Je cite le cas d'une fonctionnaire souhaitant rejoindre sa compagne à La Réunion : on lui a opposé l'absence de poste disponible quand d'autres personnes hétérosexuelles ont pu avoir des postes similaires pour rapprochement de conjoint. Ce travail doit pouvoir être engagé à l'initiative du Parlement.

J'en viens enfin à mes recommandations aux pouvoirs publics.

Je commencerai par celles sur les droits de l'enfant. J'ai particulièrement alerté sur la protection des droits maternels et infantiles. Il y a, partout en France, un désarroi sur ce secteur qui vient de faire l'objet d'un rapport d'une députée missionnée par le Premier ministre. Le taux de mortalité infantile est deux fois supérieur dans les départements d'outre-mer à la moyenne nationale - nous n'avons pas de statistique à Mayotte. Le cas de la maternité de Mamoudzou et les évacuations nécessaires à La Réunion a fait l'objet de rapports : des parents en situation irrégulière ne peuvent suivre leur enfant hospitalisé longuement vers La Réunion. La situation des enfants handicapés est également préoccupante avec une insuffisance de structures adaptées. Cela a été relevé dans l'appel à témoignages et dans mon rapport de 2017. Je signale également la situation des adolescents. Une cellule de crise a été mise en place face au phénomène suicidaire des jeunes Amérindiens, je ne sais pas ce qu'elle a donné.

J'ai également attiré l'attention des pouvoirs publics sur la situation des jeunes filles : violences sexuelles, risques de grossesse précoce, ainsi que risque de mortalité plus élevé en couches. Nous avons constaté un taux de recours à l'IVG pour les mineures plus fort outre-mer, preuve des difficultés d'accès à la contraception. Il faut des enseignements sur les droits sexuels et reproductifs, sur le consentement et sur l'égalité entre les femmes et les hommes, entre les filles et les garçons. J'ai demandé à Mayotte le développement de la présence des équipes PMI. J'ai demandé à l'éducation nationale de veiller à ce que les bilans de santé en école élémentaire soient réalisés - ce qui signifie qu'ils ne le sont pas aujourd'hui ; cela est d'autant plus important avec la scolarisation dès 3 ans.

Les dispositifs d'aide sociale à l'enfance sont largement sous-dimensionnés. Ils n'arrivent pas à faire face à la situation des mineurs non accompagnés, particulièrement à Mayotte. Quels que soient les efforts des gouvernements successifs, ceux de MM. Valls et Cazeneuve notamment, qui ont mis en oeuvre des moyens européens et nationaux, nous sommes encore très loin du compte à Mayotte, alors même que le département a essayé de faire des efforts. Ils se heurtent en effet au poids de l'immigration irrégulière.

J'en termine enfin avec la question des dématérialisations administratives. Je souhaite souligner combien la numérisation des procédures administratives qui doit aboutir d'ici 2022, soit dans deux ans et demi, peut renforcer des inégalités à l'égard de nombreux usagers vulnérables que je signalais au début de mon intervention : les accès à internet sont plus difficiles en outre-mer avec des offres aux tarifs élevés et des offres low-cost non développées. Le Gouvernement semble entendre notre préoccupation, j'espère qu'il y aura des mesures concrètes à l'égard des personnes vulnérables.

Je vous remercie pour cette occasion donnée aujourd'hui de montrer combien le Défenseur des droits s'attache à exercer sa mission dans l'ensemble des territoires. Nous accordons toute notre attention aux problématiques outre-mer, qui ont leurs spécificités, dans ce qui est notre mission : garantir l'accès aux droits fondamentaux à travers les services publics, et nous réaffirmons notre volonté de travailler avec les élus et les sénateurs de la délégation.

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