Nous sommes réunis cet après-midi pour débattre avant la prochaine réunion du Conseil européen, prévue les 12 et 13 décembre 2019. Ce Conseil européen sera le premier sous la présidence de Charles Michel, élu le 2 juillet dernier. Il marquera aussi la fin de la présidence finlandaise du Conseil. Or, pour des raisons de politique intérieure, le Premier ministre finlandais a de démissionné hier. Cette circonstance malheureuse fragilise d'emblée la réunion du Conseil européen. C'est d'autant plus regrettable qu'il s'annonçait décisif pour l'Union. En effet, il est prévu que les dirigeants de l'Union européenne y examinent le budget à long terme, qui conditionnera l'action de l'Union pour les sept prochaines années.
C'est l'heure de vérité sur le cadre financier pluriannuel. Le précédent cadre de négociation proposé par la présidence finlandaise avait fait l'unanimité contre lui ! Mardi, la présidence finlandaise a publié un nouveau cadre chiffré : elle propose une enveloppe globale de 1,07 % du revenu national brut (RNB), quand la Commission avançait 1,114 % et le Parlement européen ambitionnait 1,3 % pour financer de nouvelles politiques en matière de sécurité et de défense, d'immigration ou encore d'innovation. Évidemment, dans une enveloppe aussi réduite, il faut faire des coupes. Bonne surprise : le budget de la politique agricole commune (PAC) est revu à la hausse de 10 milliards d'euros par rapport au premier projet de la Commission. C'est un signe positif : nous commençons à être entendus, nous qui insistons depuis longtemps sur le caractère stratégique de la PAC pour la souveraineté de l'Union Européenne. Nous y voyons un premier sursaut salutaire, mais il ne saurait nous satisfaire : l'enveloppe consacrée aux paiements directs et aux mesures de marché n'est pas revue à la hausse, seul le second pilier de la PAC bénéficierait de la rallonge de 10 milliards d'euros. Or nous savons que notre pays n'est malheureusement pas le plus habile pour tirer profit des crédits dédiés au développement rural ! Ce n'est pas le deuxième mais le premier pilier que nous souhaiterions renforcer - même si une fongibilité entre les piliers est possible dans la limite de 15 %. De plus, le renforcement du deuxième pilier va impliquer des contreparties nationales.
Ce premier motif de satisfaction est donc mitigé. Il l'est d'autant plus que nous avons plusieurs motifs de déception. Le budget du Fonds européen de défense (FEDef) serait divisé par deux et ramené à 6 milliards d'euros, alors même que l'état de santé de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) prête à controverse et que les 27 commencent à entrevoir la nécessité de doter l'Union d'une autonomie stratégique. La ligne envisagée pour abonder le nouveau budget de la zone euro, que nous avons finalement obtenue afin de consolider la zone euro et sa résilience face aux chocs économiques, avec néanmoins des ambitions revues à la baisse, serait réduite d'un quart. L'enveloppe dédiée au numérique, qui est elle aussi déterminante pour notre souveraineté, comme l'a bien montré le récent rapport de notre collègue Gérard Longuet, diminuerait de 15 milliards d'euros. Les crédits de la politique de cohésion régionale seraient réduits de 7 milliards d'euros et il est difficile à ce stade d'en mesurer l'impact sur la convergence des régions en retard, notamment des régions « en transition », ce qui concerne notre pays au premier chef. Enfin, le fonds de transition juste, annoncé par la présidente de la Commission européenne comme le moyen d'accompagner la transition climatique là où elle sera la plus douloureuse, est passé sous silence - nous aurons à ce sujet probablement quelques parties de bras de fer avec nos partenaires polonais. Comment ce fonds sera-t-il financé ?
Tant que la négociation se fera dans le cadre d'une enveloppe budgétaire aussi contrainte, rien de grand ne pourra se faire en Europe et les ambitions de l'Union européenne en matière de souveraineté et d'unité resteront lettre morte.
Pourtant, les 27 semblent partager le même diagnostic sur les défis à relever et sur le cap à tenir. Ils doivent donc donner à l'Union les moyens de mener sa stratégie d'avenir. L'urgence est à présent de s'entendre sur de nouvelles ressources propres. Comme la Commission avant elle, la présidence finlandaise évoque une contribution sur les ETS (emission trading scheme - système commun d'échange de quotas d'émission), ainsi qu'une taxe sur les sacs plastiques. Il faut explorer toutes les pistes : un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières, une taxe sur le trafic aérien, une taxe sur les géants du numérique - sur laquelle nous avons eu hier confirmation que l'OCDE n'allait pas aboutir, en raison des regrettables réticences américaines -, etc. Le gouvernement français plaidera-t-il pour que le débat sur les ressources propres se tienne en priorité, avant celui sur la ventilation des dépenses entre les diverses politiques de l'Union européenne ?
La présidence envisage par ailleurs de supprimer les rabais sur le rabais, à l'occasion du départ du Royaume-Uni. Il faut saluer l'audace de cette proposition. C'est une demande française et nous pouvons nous en féliciter. Nous n'ignorons pas que cela reviendrait à doubler la contribution au budget européen de l'Allemagne, déjà premier contributeur net. Il est donc naturel que notre partenaire allemand s'en émeuve. Peut-on espérer que cette émotion légitime soit le ressort d'un rapprochement franco-allemand en faveur de la création de nouvelles ressources propres ? Cette perspective reste toutefois tributaire de la fin du rabais britannique et donc de la réalisation du Brexit. Le Conseil européen se tiendra quasiment en même temps que les élections générales au Royaume-Uni. Tant que leur résultat ne sera pas connu, et l'hypothèque du Brexit levée, peut-on raisonnablement entreprendre au Conseil européen cette discussion sur les rabais, sur les ressources propres, et donc sur le budget ? Une fois encore, le calendrier britannique interfère avec celui de l'Union. Ces dernières semaines d'incertitudes ne pourraient-elles être mises à profit par l'Union européenne pour se concentrer sérieusement sur la mise en place de ressources propres, seules à même de lui permettre de réaliser ses ambitions ?
Le leadership que l'Union revendique sur le changement climatique en dépend. C'est précisément le second thème à l'ordre du jour de ce Conseil européen : ce dernier doit convenir de la stratégie climat de l'Union européenne à long terme, qui sera soumise au secrétariat de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques début 2020. Là encore, tout est question de moyens : comment la France entend-elle rendre crédible la parole de l'Union européenne en matière climatique ?
S'agissant enfin du Brexit, le groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l'Union européenne mis en place au Sénat nous permettra de suivre la négociation de l'accord de libre-échange envisagé avec le Royaume-Uni, car il s'agit de notre principal partenaire et de notre plus proche voisin.