Intervention de Olivier Cadic

Commission des affaires européennes — Réunion du 4 décembre 2019 à 13h35
Institutions européennes — Débat préalable au conseil européen des 12 et 13 décembre 2019 en présence de mme amélie de montchalin secrétaire d'état auprès du ministre de l'europe et des affaires étrangères chargée des affaires européennes

Photo de Olivier CadicOlivier Cadic :

Le Conseil européen de la semaine prochaine sera chargé, les sujets importants ne manquant pas. Je vous remercie des éclaircissements et des précisions que vous nous avez déjà donnés.

Je reviendrai sur trois points : le déploiement de la 5G, la réciprocité en matière commerciale et le droit des citoyens européens au Royaume-Uni.

Notre nouveau commissaire européen, Thierry Breton, a déclaré il y a quelques jours qu'il était indispensable que l'Europe retrouve l'intégralité de sa souveraineté technologique, y compris dans les technologies clés que sont la 5G, l'intelligence artificielle, les supercalculateurs et tout ce qui fondera notre économie de demain.

Hier, réunis à Bruxelles, les ministres européens chargés des télécommunications sont convenus de prendre en considération le régime politique dans lequel évoluent les fournisseurs originaires de pays tiers, afin d'atténuer les risques sur la sécurité liée au développement de la 5G en Europe. Même s'ils n'ont évidemment désigné aucun pays dans leur déclaration, chacun comprend que ces ministres des 28 pays membres pointent les activités du géant chinois des télécoms, Huawei, concurrent de nos deux équipementiers européens dans le domaine, à savoir le suédois Ericsson et le finlandais Nokia, qui a racheté le franco-américain Alcatel-Lucent.

Les États-Unis ont exclu le fournisseur Huawei du déploiement de la technologie 5G sur leur sol, invoquant des risques d'espionnage pour le compte de Pékin et de sabotage des réseaux occidentaux. La prise de position des ministres européens a le mérite de la clarté : sans souveraineté numérique, c'est notre souveraineté dans tous les autres domaines qui est menacée. Des mesures vont-elles être adoptées à l'issue du Conseil, pour garantir le déploiement de la 5G en Europe, exclusivement au travers de nos deux équipementiers européens, Ericsson et Nokia ?

Par ailleurs, les États-Unis viennent de déclarer qu'ils imposeraient aux produits français des droits de douane supplémentaires, pouvant aller jusqu'à 100 %, si nous maintenons notre projet de taxe sur les géants du numérique. Les importateurs de vins français sont catastrophés face à cette perspective. Ce sujet sera-t-il traité par le Conseil européen ?

L'Europe a le poids nécessaire pour parler d'égal à égal avec Washington, comme avec Pékin. Margrethe Vestager a déjà agi, avec succès, contre les excès des firmes du numérique, et aujourd'hui Thierry Breton les met une nouvelle fois en garde : le non-respect des règles européennes, notamment en matière de concurrence, les expose à des sanctions. Et d'ajouter : « Nous sommes pour la concurrence, mais pour le respect des règles et la réciprocité. » La réciprocité est le maître mot, car si nous sommes favorables à un espace numérique libre, il ne doit pas se faire sans règle. L'Union européenne est bâtie sur des normes, et nous devons les faire respecter.

En cas de dissensions trop grandes, les tentations seraient fortes de nous retrancher derrière des barrières, limitant l'ouverture de nos espaces numériques. Malheureusement, nous constatons à ce propos que des risques de fragmentation de l'espace numérique émergent déjà de manière croissante, à rebours de notre idéal d'un réseau ouvert. Ainsi, la Chine, l'Iran et la Turquie ont, par exemple, bloqué l'accès aux grands réseaux sociaux, tandis que la Corée du Nord et Cuba ont développé des intranets locaux, distincts du réseau mondial. La Russie souhaite, quant à elle, se doter d'un réseau capable de fonctionner en autonomie complète, après avoir déjà contraint les entreprises traitant les données de ses citoyens à les stocker sur le territoire national.

Dans cet environnement de plus en plus fracturé, l'Union européenne devrait faire figure d'exemple et proposer un espace digital unifié, respectueux des libertés publiques et moteur de la croissance économique. Que va faire l'Union européenne pour promouvoir ses principes ?

Dans le même registre, nous avons assisté au récent blocage des réseaux de communication iraniens pour couvrir une répression féroce lors des manifestations populaires. Alors que le Conseil européen doit aborder les relations extérieures de l'Union, cette question va-t-elle être soulevée ? Quelles conséquences cela aura-t-il sur le soutien européen à l'Accord de Vienne sur le nucléaire iranien ? Numérique, souveraineté, sécurité, tout est lié.

Nous ne devons pas, par ailleurs, oublier la question des droits de l'Homme. Pour rester dans le thème des relations internationales, j'aborderai la question lancinante des Ouïghours. Je reviens des Nations unies où l'ambassadeur chinois m'a affirmé que la politique d'enfermement des populations menée par Pékin, au motif que celles-ci sont de religion musulmane, avait pour unique but la lutte contre le terrorisme. Le régime chinois s'enorgueillit officiellement de ne plus avoir subi d'attentat terroriste depuis lors.

Nous sommes nous-mêmes confrontés à une menace terroriste très forte, comme les événements de London Bridge et de La Haye sont venus nous le rappeler, la semaine dernière. Fort heureusement, l'Union européenne n'envisage pas d'employer les mêmes dispositifs liberticides et contraires aux droits de l'Homme.

Madame la secrétaire d'État, l'Europe va-t-elle prendre les mêmes mesures de pression commerciale à l'égard de la Chine, du fait de son non-respect des droits de l'Homme, que ce qu'elle envisage actuellement à l'endroit du Cambodge qui ne respecte pas un certain nombre de principes démocratiques par ses élections ?

S'agissant du respect des droits fondamentaux, la question se pose également au sein de l'Union européenne, en particulier au Royaume-Uni, qui fait toujours partie de l'Union. Le feuilleton du Brexit entre dans sa troisième saison, après deux reports de sortie. Lors de la campagne de 2016, les partisans du Brexit s'étaient engagés, après la sortie de l'Union, à garantir aux Européens du Royaume-Uni l'obtention automatique d'un permis de résident permanent. Le Gouvernement britannique a rompu cette promesse. Il a créé un titre de séjour baptisé Settled Status, avec une procédure d'obtention qui se révèle sans automaticité d'attribution. Actuellement, un demi-million de personnes sont toujours dans l'attente, à la suite de leur demande.

Divers témoignages me sont remontés, selon lesquels des propriétaires, des employeurs, voire des directeurs d'école, auraient demandé à des Européens de justifier de leur Settled Status, comme s'il s'agissait d'un sésame. Serait-il possible d'envisager, durant le Conseil européen, de rappeler au gouvernement britannique que toute discrimination à l'égard des Européens est illégale, tant que le Royaume-Uni fait partie de l'Union ? Ensuite, les droits des Européens devront être garantis.

Par ailleurs, en cas d'octroi du settled status, cela se matérialise par un simple courriel contenant la mention « cela n'est pas une preuve », avec un lien vers le site internet du Home Office. De ce fait, les Européens ne disposent d'aucun document physique pour justifier de leur statut leur permettant de demeurer sur le sol britannique. Le Conseil européen va-t-il exiger des Britanniques une matérialisation de leurs droits acquis à travers le Settled Status ?

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