Nous continuerons à faire des ressources propres une priorité, car nous savons que c'est là que nous pouvons trouver un accord politique. C'est également important pour le futur de l'Union européenne et la répartition des compétences entre l'échelon national et l'échelon européen. Je pense que les ressources propres représentent un enjeu politique majeur et qu'elles sont la clé d'un accord sur le CFP.
Le mécanisme d'inclusion carbone aux frontières n'est pas une taxe. Une taxe ne serait pas admise par l'OMC : ce serait du protectionnisme et nous serions condamnés. Ce que nous souhaitons faire, c'est rendre effective l'application du marché ETS. Il s'agit des quotas carbone applicables à certains biens importés.
Ce mécanisme pourrait s'appliquer rapidement et efficacement, en particulier aux biens dont nous sommes certains du volume de CO2 émis pour leur production, c'est-à-dire aux biens dits basiques, acier, aluminium, ciment, papier, verre. Aujourd'hui, toutes les usines de production de ce type de biens sont cartographiées et connues. Nous connaissons exactement leur performance énergétique et le taux de CO2 qu'elles produisent.
Cette mesure est vertueuse car elle intègre, dans le prix, celui de notre tonne de carbone en Europe. Beaucoup d'experts techniques sont actuellement en train de calibrer le projet. Cela pourrait fonctionner d'autant mieux avec un prix plancher du CO2 en Europe - c'est là une autre négociation à mener. Beaucoup de think tanks étudient le sujet. Pascal Lamy, grand connaisseur de l'OMC, travaille notamment à ce que ce projet soit non pas un mécanisme protectionniste, mais vraiment un mécanisme de correction.
Concernant l'agriculture, je ne referai pas mon plaidoyer familial sur mes origines agricoles, mais je suis convaincue d'une chose : ceux qui vous disent que l'on peut faire du développement rural en donnant la priorité au deuxième pilier, et donc sans mettre d'argent dans le premier pilier, n'ont jamais vu une zone rurale ! Cela reviendrait à faire de l'agriculture sans agriculteurs. Certes, les agriculteurs sont peu nombreux, mais les champs et les forêts exploitées représentent 80 % de notre territoire. Que l'on ne vienne donc pas me dire que donner 0,3 % de notre PIB à ceux qui s'occupent de 80 % de notre espace coûte cher !
Bien sûr, les 10 milliards d'euros consentis représentent une victoire. Il ne faut donc pas porter un regard négatif sur les choix de la présidence finlandaise.
Nous devons parvenir à rééquilibrer les premier et deuxième piliers. Nous avons des flexibilités nationales et nous devons voir ce que nous pouvons faire au niveau européen.
La promesse de Didier Guillaume de conserver notre enveloppe pourra être tenue dans le cadre proposé. La PAC que nous voulons pour demain ne peut pas être identique à celle d'aujourd'hui. En effet, nous avons trop d'agriculteurs en situation de détresse économique pour maintenir le système. Nous souhaiterions donc disposer du même budget mais pour faire de l'aide à l'investissement. Les agriculteurs veulent des revenus stables. Leur métier est exposé aux risques climatiques, aux risques des marchés et aux risques de production. Lorsque ces trois risques se cumulent, cela crée un choc majeur sur les revenus.
Ce que nous faisons avec la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable (Égalim), avec le bio et la montée en gamme convient à l'agriculture vivrière de proximité. Mais il faut une stratégie différente pour l'agriculture de grandes plaines, l'agriculture céréalière, l'agriculture d'exportation. Nous devons permettre à ces agriculteurs d'avoir les capacités d'investissement suffisantes pour trouver des sources de revenus stables. Certains feront de la méthanisation, de l'élevage ; d'autres créeront des activités complémentaires. Ils pourront ainsi vivre de leur métier, avec un socle de revenus, et faire face aux mauvaises années, quand les prix de marché sont bas, quand les aléas climatiques sont importants ou que les graines n'ont pas germé.
Je défends la PAC non par corporatisme, syndicalisme ou conservatisme, mais parce qu'il y va de la souveraineté alimentaire et de la souveraineté territoriale. Aucun pays au monde ne laisserait 80 % de son espace devenir une friche. Je défends la PAC, car je connais des agriculteurs de mon âge qui s'installent, qui reprennent des fermes, qui investissent, qui innovent, qui sont prêts à faire beaucoup de choses différemment. Si nous ne leur en donnons pas les moyens, nous les mettons face à un mur d'incompréhension, face à des injonctions contradictoires.
Nous devons construire une PAC d'investissement de nature à créer des revenus. Envoyer un chèque de 450 euros par mois en leur disant « Débrouillez-vous » ne rendrait service ni à l'agriculture ni aux agriculteurs.
Vous m'avez interrogée sur le FEDef. Il nous manque 7 milliards d'euros. Il y a un paramètre technique dans la construction du budget qui, aujourd'hui, ne nous convient pas : c'est le déflateur. Ce budget est en effet construit comme s'il y avait 2 % d'inflation. Si tel était le cas, Mme Lagarde et M. Draghi pourraient être sereins, car ils n'auraient plus rien à faire ! Les objectifs seraient atteints. C'est malhonnête de construire un budget européen avec 2 % d'inflation dans le monde d'aujourd'hui, alors que les économistes de marché prédisent plutôt 1,7 %, voire 1,8 %, maximum. La correction du déflateur que nous proposons conduit à extraire 14 milliards du budget qui pourraient être réalloués à de nouvelles politiques. Nous pourrions alors financer les projets du FEDef, de l'espace, des pays et territoires d'outre-mer.
Nous sommes au lendemain de la signature entre les États membres d'un accord de financement à hauteur de 14 milliards d'euros de l'Agence spatiale européenne. Il ne serait pas logique de couper en parallèle les financements de l'Union européenne au moment où, bilatéralement, les États membres s'engagent.
Concernant la 5G, le but n'est pas de faire de l'européen pour faire de l'européen. Il y a deux sujets. D'abord, les enjeux commerciaux : lorsque les grands acteurs des télécoms en France achètent des antennes pour des usages classiques, cela favorise l'activité économique. Les communications stratégiques sont un autre sujet. Le Président de la République l'a souligné, nous devons avoir la maîtrise de ces équipements lorsqu'ils sont liés à un usage souverain. L'investissement dans ce domaine est nécessaire pour maîtriser les coeurs de réseaux et créer des alternatives. C'est la raison pour laquelle l'Assemblée nationale et le Sénat ont eu à se prononcer. L'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) peut avoir des critères très élevés qui ne pourront pas être remplis par des équipementiers étrangers dans certains cas, dès lors que notre souveraineté peut être mise en danger. La 5G est devenue un sujet symbolique. Je me méfie beaucoup de la politique quand on est dans le signal et dans le symbole. On peut symboliquement prendre une excellente décision, mais qui n'a aucun sens dans la réalité. Nous devons établir des principes que nous pouvons tenir et être plus pragmatiques dans certains cas.
Vous avez parlé de la réciprocité en matière commerciale et des droits de l'Homme en Iran. Sur ce sujet particulier, l'Union européenne dispose d'un cadre de sanctions très spécifique, lesquelles sont en train d'être révisées. Hier, à l'Assemblée nationale, j'ai condamné la répression des manifestations en Iran. Le respect des droits de l'Homme est une question primordiale : on ne tire pas à balles réelles sur les manifestants. Nous intégrons aussi des clauses climatiques et environnementales dans les accords commerciaux.
Sur les droits des citoyens britanniques, il ne peut y avoir de discrimination avant la sortie. Tant qu'il n'y a pas eu de sortie, il n'y a pas de sortie ! Pour la suite, la protection des droits et donc la confiance dans le système et sa stabilité sont importantes. Christophe Castaner a d'ailleurs interrogé son homologue lorsqu'elle est venue à Paris il y a quelques semaines sur ces sujets. Notre vigilance est absolue.
J'ai été interrogée sur le calendrier du CFP. Je crois que Charles Michel aimerait avoir conclu d'ici au mois de mars 2020. Sur ce sujet, nous avons besoin d'un accord en amont afin que les acteurs de terrain ne soient pas pris de court et que les accords de partenariat puissent s'organiser. Nous avons un intérêt collectif à une signature rapide.
Sur le climat, la palette d'actions a trait au budget, mais aussi au verdissement de toutes les politiques. Ainsi, 10 % du budget de l'Union européenne est dédié à la lutte contre la pollution et à la préservation de la biodiversité. L'Agence européenne de l'environnement a publié aujourd'hui un état des lieux pour cette année : nous pouvons faire beaucoup mieux. La biodiversité n'est pas un sujet fantaisiste. Elle permet de maintenir en état le système agricole, et la pollinisation est essentielle.
Sur le Brexit, je ne dirai rien sur les élections : ce n'est pas mon rôle. Nous souhaitons rester dans un cadre clair. Nous voulons avoir avant le 31 janvier prochain un « oui » ou un « non » clair sur cette deuxième version de l'accord. Nous travaillons avec Michel Barnier sur cette question et réfléchissons au mandat de négociation pour la relation future. C'est la question clé de cette affaire. Si nous ne sommes plus sur les bases de l'Union européenne, comment gérons-nous nos relations ? Comment tenons-nous la convergence des normes ? Si nous voulons zéro tarif, zéro quota, zéro dumping, comment faisons-nous ?
Madame Jouve, vous avez dit que nous aurons à faire un long chemin avec les pays d'Europe centrale et orientale pour trouver un accord sur le climat. C'est pour cette raison que j'étais à Prague la semaine dernière. À la veille du Conseil européen, il me semblait important que la France, qui est considérée comme l'un des pays moteurs sur ce sujet, rencontre les pays vus comme les plus réticents. Notre objectif était d'écrire ensemble nos points de convergence pour avancer. La profondeur de cette déclaration commune que nous avons écrite ensemble montre qu'il ne s'agit pas d'une position idéologique. Ces pays ont des attentes légitimes et demandent à être accompagnés pragmatiquement. En réalité, nous mélangeons tout : les investissements privés que feront volontairement les entreprises, les projets financés par l'argent public national et les soutiens européens. Des chiffres impressionnants circulent, mais on ne différencie pas les acteurs.
J'en viens au nucléaire, ce qui se cache derrière ce que l'on appelle en jargon bruxellois la « neutralité technologique ». Si l'objectif est d'arriver à la neutralité carbone en 2050, nous devons alors laisser la liberté à chaque pays de définir son mix énergétique. Nous ne pouvons pas imposer aux Polonais d'installer des éoliennes s'il n'y a pas de vent ou aux Slovaques de construire des barrages s'il n'y a pas de montagnes.
Concernant la défense, il me semble inexact de parler de solitude de la France au Sahel. Nous devons renforcer nos outils et les rendre cohérents. Les Estoniens sont au Mali. Les Britanniques sont avec nous. Les Danois participent à l'opération Barkhane. Nous avons beaucoup de partenaires. Ce ne serait pas honnête de dire que nous sommes seuls. En revanche, nous pouvons être plus nombreux, avoir des moyens mieux ciblés, travailler mieux avec les partenaires africains - c'est pour cette raison que le Président de la République avait lancé un partenariat pour la sécurité et la stabilité du Sahel.
Si nous voulons des finances privées au service de la transition climatique, la taxonomie est un bon modèle pour inciter l'épargne privée à financer des besoins de transition.
Concernant le parquet européen, j'ai rencontré il y a quelques jours Laura Kovesi, la nouvelle procureure générale. Nous avons eu un échange très intéressant : la confiance à restaurer dans l'État de droit dépend en partie de la Cour de justice de l'Union européenne, en partie de discussions politiques, dont celles que nous menons dans le cadre de l'article 7 au sein du conseil Affaires générales, et en partie des procédures judiciaires, notamment dans le cadre du parquet. L'État de droit doit reposer sur du droit.
Vous m'avez aussi interrogée sur l'indépendance du parquet en France. Effectivement, la Cour de justice de l'Union européenne a rendu des arrêts sur les parquets allemands et lituaniens qui portaient sur un système reposant sur des instructions individuelles. Cependant, il n'existe pas d'arrêt invalidant la possibilité pour un parquet soumis à des instructions générales d'émettre des mandats d'arrêt européens. C'est le régime que nous avons en France. Les questions préjudicielles en cours portent sur un système reposant sur des instructions générales. Nous devons donc attendre la fin de la procédure, mais il nous semble que notre position sur ce sujet peut être retenue. Nous avons défendu notre modèle considérant qu'il n'était pas similaire à ceux d'autres pays.
C'est une chance d'avoir un Parlement européen qui ne fonctionne plus avec une majorité « prédatée » au moment de l'élection. Cela oblige à avoir des majorités, projet par projet, sujet par sujet. Chacun, même s'il appartient à un groupe, vote en conscience plutôt que dans un cadre de coalition préétabli.
Sur l'élargissement, la proposition française vise à rendre cette procédure utile à la région. La Serbie et le Monténégro négocient depuis six et huit ans avec l'Union européenne. Le sentiment européen décline ; les influences étrangères augmentent. Aujourd'hui, nous ne sommes pas satisfaits du travail que nous faisons avec ces pays. La France est prête à ouvrir des négociations avec l'Albanie et la Macédoine du Nord. Il y a des enjeux migratoires, sécuritaires, industriels et d'interconnectivité. Il serait logique que ces pays rejoignent la famille européenne, selon les procédures que nous connaissons mais pas dans les mêmes conditions qu'avec la Serbie et le Monténégro. En effet, lorsque nous avions ouvert les négociations avec la Serbie, nous n'avions pas imaginé qu'elle signerait un accord d'association avec la zone eurasienne. L'Union européenne doit faire une offre plus intéressante. Nous proposons une organisation par blocs de politiques permettant de faire des réformes plus cohérentes. La réversibilité, dans notre esprit, ne signifie pas être candidat un jour et ne plus l'être le lendemain. Cela permet, d'avancer par séquences successives avec un intérêt collectif à poursuivre les négociations. Nous verrons ce que propose la Commission. Déjà, vingt-deux pays ont apporté une forme de soutien lors du conseil Affaires générales à l'idée que la Commission puisse travailler sur un nouveau cadre de négociations. La France est très soutenue dans cette dynamique pour un nouveau processus d'élargissement plus crédible et plus réactif.
Concernant la politique de cohésion, il nous semble que préserver le qualificatif régions « en transition » permet de conserver une bonne partie des enveloppes françaises, même avec des coupes au niveau européen. Nous devons affiner, mais nous n'avons pas d'inquiétudes sur le sujet et nous sommes confiants sur les enveloppes qui reviendront à la France.