Intervention de Jean-Christophe Niel

Commission d'enquête Incendie de l'usine Lubrizol — Réunion du 11 décembre 2019 à 16h30
Audition de Mm. Bernard Doroszczuk président et olivier gupta directeur général de l'autorité de sûreté nucléaire asn et de jean-christophe niel directeur général de l'institut de radioprotection et de sûreté nucléaire irsn

Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) :

L'IRSN est l'organisme public d'expertise du risque radiologique et nucléaire sous toutes ses formes : nous intervenons dans les domaines de la sûreté nucléaire pour prévenir les accidents de la sécurité nucléaire, pour lutter contre les actes de malveillance, ou de la protection contre les rayonnements ionisants. Nous publions des avis que nous remettons à un grand nombre d'autorités, au premier rang desquelles l'ASN, et qui sont publics. Outre l'expertise, notre second métier est celui de la recherche : il s'agit d'une recherche finalisée pour disposer de la meilleure expertise possible. L'IRSN compte 1 800 personnes. En 2001, comme pour les agences sanitaires, le choix a été fait de séparer la décision de l'expertise, en séparant les autorités qui prennent les décisions, qui sont gestionnaires du risque, et l'IRSN, qui est l'évaluateur du risque.

J'en viens maintenant à l'expertise en cas de crise. Dans ce cas, nous apportons un appui aux autorités : à l'Autorité de sûreté nucléaire, à l'Autorité de sûreté nucléaire défense, aux ministères de la santé ou du travail, ou aux préfets à l'échelon territorial. Nous disposons d'un centre technique de crise qui regroupe des moyens de communication avec les autres acteurs, ainsi que des moyens de calcul permettant de calculer la thermohydraulique accidentelle, dans le cas des accidents de réacteurs, d'évaluer les rejets ou la dispersion dans différents milieux, etc. Il rassemble entre 25 et 30 personnes. Ces moyens sont complétés par des moyens mobiles que nous pouvons projeter sur place à la demande des autorités : dix véhicules permettant de mesurer la contamination des personnes et dix véhicules permettant de mesurer la contamination de l'environnement. Ce système est complété par un réseau de mesure du rayonnement ambiant, le réseau Téléray, constitué de 440 balises, dont les données sont consultables en temps réel sur téléphone portable par le biais d'une application. L'IRSN participe aussi, en cas de crise, à la commission interministérielle de crise. Nous nous appuyons sur les données météo ou les données qui nous sont transmises par l'exploitant volontairement. Il existe aussi un système de connexion automatique pour les réacteurs EDF ou le réacteur à haut flux de Grenoble, destiné à la recherche : l'IRSN est directement destinataire, sans intermédiaire, des informations relatives, par exemple, à la pression, la température, etc. À la suite de l'accident de Fukushima, l'ASN a demandé aux opérateurs d'étendre ce dispositif de connexion automatique permettant d'avoir accès à l'information directement. En cas de crise, nous appliquons la méthode dite « 3P-3D » : « D » pour diagnostic, « P » pour pronostic. Notre rôle consiste à d'abord comprendre ce qui se passe dans l'installation, c'est le diagnostic, puis à anticiper ce qui va se passer, c'est le pronostic, afin, évidemment, de prendre les bonnes décisions. Le chiffre « 3 » provient du principe de sûreté des installations nucléaires qui repose sur trois barrières. Ainsi, entre le combustible nucléaire et l'environnement, on trouve trois barrières dans un réacteur : la gaine du combustible, la cuve du réacteur et l'enceinte de confinement. Cette méthode, qui a été reprise par l'AIEA, structure notre dialogue et nos discussions techniques avec les opérateurs. Nous travaillons en interaction très forte avec les opérateurs. Les autorités nous demandent de leur fournir des recommandations sur les actions à engager et sur les délais puisque les accidents dont on parle pour les réacteurs n'ont pas forcément d'effets immédiats, contrairement à un incendie ou une explosion dans une ICPE. Nous entretenons aussi un dispositif d'alerte : l'IRSN a des équipes d'astreinte, avec 32 personnes susceptibles en permanence de rejoindre le centre de crise en moins d'une heure. Ces experts appartiennent à un vivier de 400 experts qualifiés, qui ont suivi une formation et ont participé à des exercices de crise. Comme l'a précisé le président de l'ASN, nous effectuons un certain nombre d'exercices de ce type tous les ans : 12 à 15 par an, en ce qui concerne l'IRSN. On essaie de progresser en tirant les leçons des incidents ou des exercices. Notre centre de crise a ainsi tiré les enseignements de l'accident de Fukushima. Nous faisons aussi de la recherche sur les situations de crise et sur les aspects techniques : nous avons, par exemple, développé des modèles de modélisation inverse, qui permettent de remonter à la source de la contamination à partir de la contamination constatée et de la météo. C'est ainsi qu'en 2017 nous avons pu identifier l'origine de la contamination au ruthénium 106 qui avait été constatée en Europe. Nous avons aussi développé des méthodes de mesure rapide de l'uranium. Notre recherche concerne aussi les dimensions humaines et organisationnelles de la gestion de crise : la préparation à la crise, la gestion post-accidentelle, les interactions entre experts et décideurs, le retour des personnes évacuées, etc.

Il faut souligner l'importance de l'implication des parties prenantes et des populations. L'IRSN réalise tous les ans un baromètre sur la perception des risques et de la sécurité par les Français : 80 % des Français plébiscitent les structures pluralistes. L'IRSN a, comme l'ASN, des relations proches avec les CLI et l'Anccli, avec laquelle nous avons développé un simulateur intitulé « outil de sensibilisation aux problématiques post-accidentelles à destination des acteurs locaux » (OPAL) pour appréhender les accidents.

En ce qui concerne l'accident de l'usine Lubrizol, nous avons eu une action limitée en raison de la présence de sources d'eau. L'IRSN gère la base de données des sources radioactives en France. Au moment de l'accident, nous avons constaté la présence de huit sources radioactives de césium 137 sur ce site ; nous avons informé l'ASN, la préfecture, le service d'incendie et de secours qui nous a indiqué très rapidement que ces sources n'étaient pas concernées par l'événement. Une des 440 balises du réseau Téléray se trouvait située dans le panache et nous avons pu constater l'absence de variation du bruit de fond. Ces données ont été confirmées par nos calculs. Cet événement, bien que de nature chimique, devra être porteur d'enseignements, y compris dans le domaine du nucléaire, et nous participerons avec les autres acteurs au retour d'expérience.

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