Je suis heureux de vous remettre, avec l'ensemble des magistrats et des rapporteurs qui ont travaillé sur le sujet, le rapport sur l'ANSM dont vous nous avez passé commande. L'ANSM est un opérateur majeur dans le secteur de la santé. Elle est par ailleurs sous les feux de l'actualité judiciaire avec l'affaire du Mediator® actuellement examinée par la justice. Pour vous éclairer, nous avons cherché à comprendre comment l'agence s'était organisée après cette affaire pour mieux prendre en charge ses missions et récréer la confiance avec les professionnels de santé et le public.
Les chiffres montrent l'importance de l'ANSM. Cette agence prend près de 85 000 décisions par an, dont 22 000 autorisations ou recommandations temporaires d'utilisation (RTU), 21 000 autorisations ou modifications d'autorisations de mise sur le marché (AMM), 4 000 autorisations d'essais cliniques, 11 000 visas de publicité. Elle est l'objet de 150 000 signalements et par ailleurs 39 comités de protection des personnes (CPP) existent aujourd'hui dans notre pays. L'ANSM intervient dans le domaine des produits de santé et cosmétiques. L'agence a une mission large sur le médicament, moins large pour le sang, elle n'intervient pas sur les produits chimiques et peu sur les produits cosmétiques et les tatouages. La Cour s'interroge sur la pertinence du rôle de l'ANSM dans cette dernière catégorie.
C'est une production quasi-industrielle qui est requise pour cet opérateur. Son budget est de 126 millions d'euros en 2018 et la structure emploie 935 équivalents temps plein (ETP). Ce chiffre diminue régulièrement car le ministère de la santé paie un tribut assez lourd pour la stabilisation de l'emploi public. Toutefois, les emplois non pérennes hors plafond ont été développés ces derniers temps.
Premier point, en matière d'autorisations, l'agence a renoué récemment avec une ambition européenne. En la matière, la recherche clinique interventionnelle, la position de la France s'était dégradée dans un contexte très concurrentiel. L'ANSM est solidaire du fonctionnement des 39 CPP pour l'autorisation des essais les plus à risque. Dans le rapport, nous montrons que l'ANSM a fait de gros efforts pour se mettre en situation de conformité avec les nouveaux délais qui seront fixés par la réglementation européenne. Il reste en revanche des difficultés en matière de fonctionnement des CPP dont nous proposons une réduction du nombre. Nous pensons que 13 CPP pourraient être envisagés. Certains pays voisins ne disposent que d'un seul CPP.
Concernant les AMM des médicaments à enjeux lourds, la responsabilité relève de l'agence européenne du médicament (EMA), qui, ensuite, distribue aux différentes agences européennes l'instruction des procédures d'AMM. C'est un enjeu majeur pour la sécurité des patients, avec les affaires que nous avons connues. C'est également un enjeu scientifique et l'ANSM est en concurrence avec les autres agences européennes. Postérieurement à l'affaire du Mediator®, l'ANSM a dû évoluer : la structure a été réformée depuis 2011-2012 et son nom a changé. Face à ces changements, la structure s'est désengagée de l'instruction des médicaments innovants sous commande de l'EMA. La part de marché a donc diminué jusqu'à moins de 10 %. Néanmoins, depuis 2015, il existe une volonté de se réimpliquer dans ces procédures européennes et la part de marché a doublé.
Le contrôle représente l'aval de la chaîne de sécurité. L'amont, ce sont les procédures de validation d'accès au marché. Ces procédures sont très formalisées pour les médicaments. Elles le sont moins pour les dispositifs médicaux pour lesquels un simple et insuffisant marquage CE était requis. Le dispositif médical va du sparadrap jusqu'aux valves cardiaques. Il existe donc une opposition entre l'amont et l'aval.
En matière de vigilance, il semble à la Cour et à ses rapporteurs que l'agence réalise ses missions dans des conditions de grande efficacité. La mission vigilance est ancienne, étoffée, organisée et il existe une doctrine, dite des cas marquants, pour les signalements. Cette vigilance est donc aujourd'hui mieux organisée. Elle donne lieu à une collaboration plus étroite avec les autres agences et avec la caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM).
Les prescriptions en dehors de l'AMM sont parfois nécessaires mais elles peuvent aussi être le terrain potentiel de certaines crises. Je pense notamment à la crise du médicament Diane 35®.
Concernant les dispositifs médicaux, l'amont est moins réglementé malgré un renforcement de l'obligation de traçabilité. L'organisation de la matériovigilance est plus récente, plus difficile et nous considérons que les centres régionaux de matériovigilance doivent encore être renforcés, étoffés. Il reste des progrès à faire dans le domaine des systèmes d'information dans un contexte budgétaire contraint.
Dans un premier temps, les rapporteurs avaient envisagé de transférer les produits cosmétiques et de tatouage à l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Ansés) mais celle-ci y semble peu favorable. On peut également imaginer que la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) s'implique dans cette chaîne. Il s'agit de produits qui comportent des enjeux pour la santé mais qui ne sont pas des produits de santé. Par ailleurs, les moyens alloués à l'ANSM pour cette compétence sont limités. Nous excluons donc le maintien de l'existant sans moyens supplémentaires.
Des structures nouvelles, comme le centre d'appui aux situations d'urgence, aux alertes sanitaires et à la gestion des risques (Casar), ont été mises en place. Il faut continuer à faire des efforts en matière de communication à l'égard des prescripteurs et des patients.
Il a été décidé que l'ANSM serait financée presque totalement sur fonds publics, pour assurer son indépendance. Les crédits correspondants sont prévus dans la mission « Santé » du budget de l'État. La Cour est défavorable à la fiscalité affectée, et attachée au principe d'universalité, ce qui plaide pour un financement budgétaire. Entre 2012 et 2017, l'évolution des ressources fut assez erratique, car tributaire d'arbitrages annuels - comme pour d'autres politiques publiques ou d'autres opérateurs. Les baisses, parfois décidées en cours d'année, ont été compensées depuis 2018. Le contrat d'objectifs et de performances (COP) parle bien des missions, mais pas des moyens, par respect pour le principe d'annualité. L'évolution de ceux-ci n'est donc pas corrélée à celle de la charge de travail, ce qui ne facilite pas la modernisation des structures. Le fonds de roulement a diminué au cours de la période, du coup. Ce sont surtout les dépenses réversibles qui ont été baissées, quand les frais de fonctionnement et la masse salariale sont restés stables. Bref, une visibilité pluriannuelle est nécessaire.
Les opérateurs du ministère de la santé, financés pour la plupart à la fois par l'État et la sécurité sociale, ont fait l'objet d'un chantier de remise en ordre, pour éviter les financements croisés. Le dernier PLFSS transfère le financement l'ANSM à la sécurité sociale. Le Parlement doit continuer à pouvoir contrôler son financement, toutefois. Malgré les objections qui pourraient naître du fait du rôle régalien de l'ANSM, ce transfert est une opportunité car la sécurité sociale a la capacité de mener des discussions contractuelles, ce qui répond aux besoins de l'ANSM. Les conventions d'objectifs et de gestion (COG), de plus, prévoient une évaluation à mi-parcours.
Ce nouveau dialogue doit permettre de prioriser certaines dépenses à déploiement plus long, comme les investissements, et de réduire celles de gestion courante - peut-être pas de 5 % par an. La rigueur salariale ne doit pas empêcher l'agence de mobiliser des compétences rares - tout en prenant garde aux conflits d'intérêts - en s'affranchissant au besoin des grilles de la fonction publique. À l'ANSM, les nouveaux recrutements coûtent plus cher que les anciens : l'effet de noria est négatif, ce qui est assez rare.
Nous plaidons pour un resserrement de la gouvernance, dans un secteur marqué par la démocratie sanitaire, avec des conseils d'administration très lourds, ce qui est moins réactif. Cela aiderait le conseil scientifique à trouver sa place. Lors de la constitution de l'agence en 2011, le fonctionnement matriciel était à la mode. La direction générale a fait évoluer la matrice pour donner de la fluidité et améliorer le climat social au sein de l'ANSM.
Nous veillons au respect des règles déontologiques, car c'est un des secteurs les plus exposés - et le législateur s'est emparé plusieurs fois de la question. Certes, le gestionnaire doit pouvoir mobiliser des compétences rares, et les experts doivent connaître les produits. Pour autant, il faut prévenir les conflits d'intérêts.
Sur nos huit recommandations, deux touchent à la gouvernance, quatre à la gestion et aux finances, et trois aux missions - notamment sur les CPP, et sur la nécessité de renforcer la matériovigilance.