Intervention de Catherine Fournier

Commission des affaires sociales — Réunion du 11 décembre 2019 à 9h00
Cadre juridique de l'exercice du droit de retrait — Communication

Photo de Catherine FournierCatherine Fournier, co-rapporteure :

Plusieurs observations peuvent alors être faites.

Premièrement, le caractère subjectif de l'appréciation du danger par le salarié a pour contrepartie le « privilège du préalable » dont dispose l'employeur pour apprécier le bien-fondé de l'invocation du droit de retrait. En effet, au moment du recours au droit de retrait, qui est généralement concomitant avec l'alerte donnée par le salarié, l'employeur est seul juge et peut décider de sanctionner sans en référer à aucune instance extérieure. Pour les organisations syndicales, le fait que le juge n'intervienne qu'a posteriori peut avoir un caractère dissuasif. Toutefois, ces conditions semblent nécessaires pour garantir un droit qui ne peut être qu'un droit de l'urgence : l'utilisation légitime du droit de retrait peut ainsi donner lieu à une réponse immédiate de l'employeur, ce qui semble en pratique se produire la plupart du temps et contribue également à expliquer le faible volume de contentieux sur ce motif.

Deuxièmement, le droit de retrait doit être envisagé comme un droit de dernier recours, qui s'avère par conséquent moins nécessaire dans les entreprises où les salariés sont suffisamment formés à la sécurité et quand les employeurs font le nécessaire pour prévenir les situations de danger en amont. En effet, le droit de retrait ne doit pas être considéré de manière isolée. Il s'inscrit dans une chaîne d'obligations et de droits en matière de prévention des risques professionnels. Il convient donc non seulement d'assurer l'information des salariés sur ce droit, mais surtout de le garantir en cohérence avec l'ensemble de la stratégie de prévention, qui doit associer les représentants des salariés dans l'entreprise.

Troisièmement, rien dans les textes ne s'oppose à ce que le droit de retrait soit exercé par un grand nombre de salariés en même temps : la Cour de cassation a ainsi admis l'exercice du droit de retrait pendant deux jours par 126 agents de la SNCF à la suite de deux agressions de contrôleurs à Annemasse, tant que les agresseurs n'avaient pas été arrêtés. Toutefois, il s'agit bien d'un droit individuel qui ne doit pas avoir pour objet la défense de revendications professionnelles. Il se distingue en cela clairement du droit de grève, qui repose sur l'existence de revendications professionnelles collectives dont l'employeur doit avoir connaissance au moment de l'arrêt de travail. En outre, à la différence du droit d'alerte, pour lequel la loi prévoit le rôle des représentants du personnel au comité social et économique, le droit de retrait ne fait pas intervenir les instances représentatives du personnel. Il n'en reste pas moins qu'en pratique, le droit de retrait est un élément du dialogue social qui est mobilisé par les syndicats, avec les autres outils existants, lorsque l'invocation d'un danger est en jeu.

Quatrièmement, le cas particulier de l'usage du droit de retrait dans les transports publics, notamment dans des situations de montée de l'insécurité et des incivilités, suggère que les éventuelles utilisations détournées de ce droit à des fins de négociation collective, pour s'affranchir des obligations en matière de grève, procèdent davantage de problèmes de management et de qualité du dialogue social que d'une lacune du cadre juridique. À la suite de problèmes récurrents d'insécurité sur le réseau de Saint-Etienne, Transdev a ainsi mis en place une procédure d' « alarme sociale » permettant une réaction rapide de la direction pour prévenir les recours au droit de retrait, tout en faisant usage du pouvoir disciplinaire en cas d'utilisation abusive.

Il convient enfin de relever l'absence de statistiques récentes sur le sujet qui rend difficile l'objectivation du phénomène. La seule source dont nous disposons est en effet l'enquête « Sumer » de 2010. Menée par 2 400 médecins du travail volontaires sous la direction de la DGT et de la Dares, celle-ci comprenait une question demandant aux salariés s'il leur était arrivé, au cours des douze derniers mois, « d'interrompre ou de refuser une tâche » pour préserver leur santé et leur sécurité. À cette question, 12 % des salariés interrogés avaient répondu par l'affirmative - ce qui ne permet pas de savoir quelles étaient les circonstances exactes ni s'ils avaient formellement exercé leur droit de retrait. Il pourrait toutefois être intéressant, afin de comparer ce résultat dans le temps, de poser à nouveau cette question à l'occasion de futures enquêtes.

Pour remédier à cette lacune, certaines organisations syndicales proposent de consigner, à des fins statistiques et en vue d'une information dans le document unique d'évaluation des risques, chaque invocation du droit de retrait dans un registre. Mais les salariés oseraient-ils alors utiliser ce droit lorsque c'est nécessaire ? Il ne faut pas perdre de vue le but de cet outil qui est de trouver immédiatement une solution à une situation de danger imminent. En outre, le droit de retrait peut être reconnu ex post par le juge alors qu'il était implicite.

Par ailleurs, l'idée d'une information spécifique à l'attention des intérimaires et des sous-traitants a également été proposée, ceux-ci étant moins insérés dans le collectif de travail. En pratique, d'après l'enquête Sumer de 2010, les intérimaires seraient sensiblement plus souvent amenés à refuser ou interrompre une tâche (16 %) que la moyenne des salariés.

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