Merci, Madame la présidente.
Parmi les constats établis par le rapport que nous avons publié il y a six ans, je souhaiterais rappeler aujourd'hui les éléments suivants.
La prise de conscience récente de l'utilisation du viol comme arme de guerre remonte aux années 1990, quand l'opinion internationale a découvert les horreurs commises en ex-Yougoslavie et a eu connaissance des dimensions « stratégiques » du viol, utilisé de manière massive à des fins de nettoyage ethnique, pour faire porter « l'enfant de l'ennemi » à des femmes utilisées comme esclaves sexuelles.
L'objectif est, avec l'utilisation du viol comme arme de guerre, de détruire des communautés entières, notamment en infligeant aux hommes l'humiliation d'assister au viol des femmes de leur famille.
Cette barbarie concerne tous les âges, de très jeunes enfants - parfois des nourrissons de quelques mois - comme des personnes âgées. Les hommes et les jeunes garçons ne sont pas épargnés, ce qui confère une dimension singulière à cette violence dans des sociétés où elle est particulièrement taboue.
Les technologies numériques, permettant aux bourreaux de filmer ces atrocités, ont ajouté la menace permanente, pour les victimes, que ces vidéos se retrouvent en ligne et que leur déshonneur et celui de leurs proches soient connus de tous. Le rôle de l'image constitue donc une dimension nouvelle des viols de guerre, comme nous en a alerté en 2013 Souad Wheidi, présidente de l'ONG libyenne Observatory on gender in crisis.
L'une des causes de l'expansion du viol de guerre est que les conflits actuels ne sont plus limités à des champs de bataille circonscrits, mais atteignent les lieux de vie des populations civiles, qui deviennent ainsi la cible de ces violences.
L'impact de celles-ci n'est pas limité aux territoires en crise : les femmes accueillies en Europe dans le cadre d'un parcours migratoire ont, dans une proportion importante, subi des violences, tant dans leur pays d'origine que dans les camps de réfugiés.
Les conséquences sur la santé des victimes sont destructrices, sur les plans psychologique et physique. Souad Wheidi le faisait observer en 2013 : « une part de ces femmes est morte, même si elles sont apparemment vivantes. Il faut voir le regard de ces femmes : c'est un regard mort ».
À cette fragilité évidente s'ajoute la solitude absolue des victimes, souvent rejetées par leur communauté au nom de l'honneur, contraintes d'élever seules l'enfant du viol et condamnées à une précarité économique et sociale terrible. Il résulte de ces constats le besoin d'une prise en charge globale de ces femmes, comme d'ailleurs l'ont souligné les responsables de structures telles que Women Safe, que nous avons entendus dans le cadre de nos travaux sur les mutilations sexuelles en 2018.
Face aux dévastations causées par le viol sur les victimes et au nombre colossal de celles-ci, les sanctions des bourreaux sont rares et disproportionnées.
À bien des égards, les constats établis par la délégation en 2013 pour l'ex-Yougoslavie, la RDC, la Libye et la Colombie sont transposables à la Syrie, où l'utilisation massive du viol a été révélée par Annick Cojean et Manon Loizeau, dont le documentaire Syrie, le cri étouffé, auquel a d'ailleurs participé Souad Wheidi, a été très remarqué en 2017.
J'ajoute, s'agissant de la dimension historique des viols de guerre, que nous avons rencontré à deux reprises, en juin puis en décembre 2014, des représentants du Conseil coréen des « Femmes de réconfort », ces esclaves sexuelles de l'armée impériale japonaise pendant la Deuxième Guerre mondiale. De même, lors de notre colloque sur les femmes dans la Grande Guerre, en octobre 2018, nous avons évoqué la question des viols de guerre à propos des scandales survenus dans les territoires français qui ont été occupés en 1914-1918. Nous aurions pu mentionner également les viols des femmes allemandes pendant la Deuxième Guerre mondiale, qui s'élèvent à deux millions. Les historiens évoquent 100 000 viols commis rien qu'à Berlin entre avril et septembre 1945 par les Soviétiques, mais aussi par les Alliés dans le reste de l'Allemagne. Nous pourrions malheureusement étendre ce « palmarès » au reste du monde...
Pour en revenir à la situation actuelle, s'agissant enfin des réactions juridiques de la communauté internationale aux viols de guerre, notre rapport de 2013 commentait les résolutions adoptées par le Conseil de sécurité en faveur des droits des femmes et des enfants dans les conflits armés. Ce travail a commencé en octobre 2000 avec la Résolution 1325, devenue emblématique de l'engagement de l'ONU.
L'édifice juridique des résolutions Femmes, paix et sécurité constitué au cours de ces quelque vingt années peut toutefois sembler menacé, si l'on en juge par la polémique qu'a suscitée, en avril dernier, un projet de résolution appelant à une approche globale centrée sur les survivantes, à la reconnaissance des enfants nés du viol, à l'application de sanctions et à des engagements en matière de réparations pour les victimes. Le représentant de la France a vivement regretté « l'opposition de membres du Conseil de sécurité à voir réaffirmé le besoin d'accès des victimes de violences sexuelles à la santé sexuelle et reproductive », notant que les victimes ne sauraient être « sacrifiées sur l'autel des intérêts étroits et idéologies rétrogrades ». Fanny Benedetti pourra nous apporter l'éclairage d'ONU Femmes France sur ce point.
Enfin, on voit apparaître un aspect effroyable des violences faites aux femmes dans les pays en crise : il s'agit des mariages précoces, et donc forcés, dont l'augmentation est constatée dans les camps de réfugiés. Nous en avons été alertés par le Fonds des Nations Unies pour l'Enfance (UNICEF) lors de la table ronde organisée à l'occasion de la Journée internationale des filles, en octobre 2018. Une résolution du Sénat, adoptée à l'unanimité en mars dernier, a exprimé notre inquiétude face à ces pratiques d'un autre âge qui font craindre un recul considérable des droits des femmes dans les territoires concernés.
Je suis donc impatiente d'entendre les réactions de nos invités.