Intervention de Sophie Martinez

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 28 novembre 2019 : 1ère réunion
Table ronde sur les violences faites aux femmes dans les territoires en crise et les zones de conflits

Sophie Martinez, sage-femme, responsable de la mission d'ASF en République démocratique du Congo :

Bonjour à tous. Cette mission a été mise en place en 2016 et se compose de deux versants. Le versant obstétrical initial vise la prise en charge des patientes au moyen d'un transfert de connaissances et d'expérience, avec un travail en étroite collaboration avec les soignants sur place. Cette démarche est essentielle et a particulièrement bien fonctionné à Panzi. L'objectif est de sécuriser les conditions d'accouchement et d'accueil néo-natal, la mortalité per et post partum étant particulièrement élevée dans ces régions où les conditions économiques et géopolitiques sont compliquées. Outre la prise en charge habituelle, adaptée aux conditions locales, nous accompagnons physiquement et psychologiquement des patientes avec des grossesses non désirées, issues de viols. L'avortement n'est pas autorisé par la loi dans ces pays, ni forcément envisagé par les patientes, et elles mènent donc à terme la grossesse résultant des horreurs qu'elles ont subies, qui requiert une prise en charge très particulière de la part des soignants.

Le versant chirurgical, plus récent, touche à la thématique de la réparation et de la reconnaissance évoquée précédemment. En tant que soignants, nous agissons sur la réparation physique, complémentaire de la réparation psychologique. Les victimes de ces exactions terribles sont physiquement très abîmées. Dans le cadre des missions d'accompagnement, un enseignement universitaire est dispensé en amont, notamment par le professeur Philippe, complété par un accompagnement en bloc opératoire lors duquel sont transmises des techniques spécifiques, dont peu de chirurgiens ont la pratique. Ces patientes, dans une situation de délabrement physique parfois extrêmement important, ont profondément besoin d'être réparées par des experts, qui enseignent ensuite leurs techniques afin que celles-ci soient transmises par la suite.

Professeur Henri-Jean Philippe. - Je voudrais évoquer la reconstruction : Denis Mukwege a acquis une expertise et une expérience de chirurgien gynécologue peu communes, dont nous avons bénéficié en travaillant à ses côtés. Nous essayons de lui apporter en retour l'expertise de chirurgiens plasticiens réparateurs. En effet, bien que les blessures au niveau du périnée soient parfaitement prises en charge, il nous est apparu que certaines techniques chirurgicales spécifiques devaient impérativement être enseignées et nécessitaient d'être pratiquées par des chirurgiens plasticiens. D'autres traumatismes, tels que les brûlures, les plaies ou les non-traitements corrects, à l'origine de séquelles importantes, relèvent également de l'expertise des plasticiens. Nous tentons de créer avec Denis Mukwege à Panzi des diplômes universitaires de chirurgie réparatrice afin d'étendre cette expertise et de proposer une prise en charge plus fonctionnelle. Comme cela a été dit précédemment, ces femmes violées sont d'abord exclues, notamment du système de santé.

Je partage l'avis de Céline Bardet au sujet de l'estimation du nombre de viols. Il est impossible d'en connaître les chiffres, en France comme à l'étranger. À titre d'exemple, sollicités par Bernard Kouchner au moment du conflit au Kosovo pour prendre en charge, aux niveaux médical et psychologique, les femmes violées dans les camps, nous avons constaté à notre arrivée qu'il n'y avait pas de femmes violées : c'est inconcevable pour les Kosovars, une femme devant se battre jusqu'à la mort si l'on tente de la violer. Identifier une augmentation ou une diminution des violences sexuelles est donc extrêmement ardue, ce phénomène étant souvent tu pour des raisons personnelles, culturelles ou coutumières.

Vous disiez également que les viols pendant les conflits avaient toujours existé et qu'ils restent négligés, considérés comme un fait habituel. Mais le terme de « viol comme arme de guerre » est apparu lors de la guerre en RDC ; il apporte une connotation tout à fait différente. Nous qui ne sommes pas experts du viol saisissons ainsi mieux son atrocité et le sens de ce crime. Il ne s'agit en effet pas seulement de crimes sexuels, déjà terribles, mais de viols organisés pour détruire des populations. L'usage du terme de viol de guerre est donc important.

Enfin, vous évoquiez les besoins de ces femmes. Comme l'a expliqué Céline Bardet, elles ont d'abord besoin d'être reconnues pour pouvoir agir par la suite sur le plan médical, social et juridique. L'exclusion des femmes dans ces pays est comparable à celle des femmes ayant des fistules obstétricales. Au Burundi, elles sont ainsi surnommées « les femmes de l'arrière-cour », ce qui signifie qu'elles sont mises dehors et deviennent inexistantes, y compris vis-à-vis du système de santé. À mon sens, le besoin primordial de ces femmes demeure d'ordre médical.

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