Merci, Madame la présidente, de me donner l'opportunité d'évoquer une nouvelle fois mon combat.
Je remercie également les intervenants qui se sont déjà exprimés sur ce sujet depuis le début de cette réunion.
Il est parfois difficile d'aborder la situation des victimes des violences sexuelles. Comme l'a dit Louis Guinamard, je suis présidente de l'ONG Synergie des femmes pour les victimes de violences sexuelles, plateforme réunissant trente-cinq organisations. Nous nous sommes rassemblées pour réfléchir ensemble à l'aide à apporter à nos soeurs abusées sexuellement. Comme cela a été dit précédemment, les femmes et les enfants qui subissent ces sévices sont en fait victimes deux fois. En effet, au lieu de les considérer comme telles, ils sont rejetés et n'ont pas accès aux soins dont ils auraient besoin. Nous nous sommes demandé ce que nous pouvions faire. Nous avons alors constaté que travailler individuellement était trop compliqué et qu'il était indispensable de se rassembler. Nous faisons de notre mieux pour que les victimes aient accès aux soins médicaux. À ce propos, je remercie Henri-Jean Philippe et Sophie Martinez d'être venus nous aider. Je crois d'ailleurs qu'un médecin du Nord-Kivu participe à vos formations. En outre, nous assurons la prise en charge médicale et adressons les victimes de violences sexuelles à certaines structures, notamment à Goma. Des conseillères délivrent un véritable accompagnement psychosocial en prodiguant des conseils aux victimes.
De plus, nous favorisons la réinsertion socio-économique, sur laquelle je vais mettre l'accent. L'autonomisation de la femme est effectivement très importante, d'autant plus quand les viols sont accompagnés d'enfants non désirés. La prise en charge de ces enfants peut devenir un problème, la seule vue de ces enfants rappelant aux mères le drame qu'elles ont vécu. Toutefois, si la mère a des moyens suffisants pour subvenir aux besoins de l'enfant, celui-ci est à moitié accepté. Même la communauté fait preuve de méchanceté à l'égard des victimes, appelant les enfants par le nom des agresseurs. Aussi, nous tentons, avec le peu de moyens dont nous disposons, de faire de ces femmes des cheffes d'entreprise. Mais pas au sens où vous l'entendez ! Une femme qui cuisine et vend des beignets devant chez elle est cheffe d'entreprise, puisqu'elle peut engager quelqu'un pour l'aider dans son commerce. Nous regroupons également les femmes exerçant les mêmes activités, afin qu'elles mutualisent leur travail et puissent épargner. L'argent économisé peut être prêté à d'autres membres du groupe et les intérêts accumulés partagés en fin d'année. Cette organisation leur permet de faire des projets, par exemple l'achat d'un matelas avec les intérêts annuels, et cela fonctionne très bien.
Après avoir également travaillé sur les conséquences du viol, avec les victimes, il nous a paru nécessaire de nous concentrer sur les causes, dont les quatre suivantes nous semblent saillantes :
- l'exploitation illégale des ressources naturelles qui alimente les conflits ;
- l'impunité, en lien avec d'importantes difficultés en RDC dans le domaine de la justice ;
- la non-réforme du système de sécurité, avec de nombreux groupes armés congolais et étrangers présents sur le territoire, qui commettent des violations graves des droits humains et sèment la désolation ;
- les coutumes et traditions maintenant la femme en position d'infériorité par rapport à l'homme.
Nous rencontrons ces problèmes quotidiennement et tentons de contribuer à leur éradication. Les actions que nous menons sur le terrain, au niveau provincial, ne sont pas suffisantes et nous devons nous aider du réseau national, voire international, pour trouver des solutions à ces problèmes. Notre force sur le terrain est que les femmes nous acceptent. La confiance qu'elles nous accordent nous permet de leur apporter l'aide dont elles ont besoin. En outre, un second atout est que les femmes que nous avons accompagnées agissent en relais dans leurs communautés en orientant les victimes vers notre association.
Nous rencontrons des difficultés à l'échelle nationale en raison de l'immensité du territoire de la RDC. Par exemple, les problématiques diffèrent entre le Nord-Kivu et le Sud-Kivu et la configuration géographique rend la communication difficile. Aussi nous n'avons pas de vision globale des difficultés rencontrées et des actions menées dans chaque région du pays.
Nous travaillons en lien avec les autorités aux niveaux local, national et international, mais elles ne nous écoutent pas systématiquement. En RDC, les autorités considèrent le viol comme un problème international qui ne serait pas de leur ressort, bien qu'une conseillère spéciale du chef de l'État en matière de lutte contre les violences sexuelles et le recrutement d'enfants ait été nommée. Suite à notre plaidoyer, une ligne budgétaire a été ajoutée pour les fonds de réparation des victimes, qui constitue un défi majeur. Nous ne savons malheureusement pas si ces fonds sont attribués, car jamais une victime n'en a bénéficié.
Nous saluons donc le lancement du Fonds mondial de réparation pour les victimes des violences sexuelles dans les conflits, créé à New York, qui nous l'espérons permettra aux victimes de percevoir au moins 80 % des fonds mobilisés et donc de voir leur situation évoluer significativement. À titre de comparaison, aujourd'hui, 60 % de la somme versée revient à l'administration des organisations internationales afin de payer les primes de risque, les salaires ou encore le logement sur place des personnels dans des conditions sécurisées. Ensuite, une partie rembourse les frais de logistique des agents de l'ONU travaillant avec ces organisations internationales. Enfin, les organisations locales prennent une part pour couvrir leur frais de fonctionnement. In fine, la victime ne touche que 5 % de la somme initialement allouée.
Concernant les procédures judiciaires, je vais revenir sur les propos de Céline Bardet. Nous constatons des avancées, y compris en RDC, mais elles restent toutefois insuffisantes. Ainsi, un chef rebelle a été condamné dans le Sud-Kivu et le procès de grands chefs rebelles est en cours dans le Nord-Kivu. De plus, à l'échelle internationale, Bosco Ntaganda a été condamné à trente ans. Cette peine est trop faible à mon sens ; elle ne l'empêchera pas de commettre de nouvelles violations graves des droits humains à sa sortie de prison. Des progrès restent à faire et les efforts doivent se poursuivre malgré les difficultés. La loi sur la répression des violences sexuelles entrée en vigueur en 2006 est le fruit de notre plaidoyer, qui a commencé en 2002. La Déclaration de Kampala a également institué une tolérance zéro vis-à-vis des violences sexuelles.
En conclusion, je vous demanderai : quelles vont être les suites de notre discussion de ce jour ?