Intervention de Fanny Benedetti

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 28 novembre 2019 : 1ère réunion
Table ronde sur les violences faites aux femmes dans les territoires en crise et les zones de conflits

Fanny Benedetti, directrice exécutive d'ONU Femmes France :

Merci, Madame la présidente. Je remercie la délégation de cette invitation et de votre intérêt continu pour ce sujet important.

Je souhaiterais tout d'abord rebondir sur les propos de Justine Masika Bihamba au sujet de l'autonomisation économique des femmes comme vecteur de reconstruction, sur laquelle ONU Femmes travaille également. Au-delà du soutien médical et psychologique, la perspective de se reconstruire à travers un soutien à l'autonomisation économique est déterminante.

En préambule, je précise que l'ONU n'est pas un monolithe ; elle apporte une grande diversité de réponses complémentaires. En conséquence, l'analyse qu'elle délivre, réalisée par différentes entités, n'est pas forcément unanime. Le bilan officiel sur la mise en oeuvre des résolutions est en cours d'élaboration et sera publié l'année prochaine à l'occasion de l'anniversaire des vingt ans de la Résolution 1325. La tenue de cette table ronde est appropriée puisqu'elle permettra de nourrir ce bilan.

Parallèlement, le secrétaire général de l'ONU a publié il y a un mois un rapport sur la mise en oeuvre de la résolution du dispositif Femmes, paix et sécurité du Conseil de sécurité. Ce bilan n'est pas positif et même « très contrasté », selon ses mots. Je traduis ses propos : « Le contraste entre la rhétorique et la réalité est frappant. Là où il y a eu des engagements préalables, ceux-ci n'ont pas été assortis de mesures concrètes. Les efforts visant à soutenir et à accompagner les femmes de manière à leur permettre de prendre toute leur part dans la vie de leur famille et de leur communauté ont été insuffisants ». Il plaide pour « que soit mis au coeur de l'effort onusien au sens large la promotion de la participation des femmes à la vie civile et à l'éducation, les organisations de la société civile, les artisans de la paix et les défenseurs des droits humains en tant qu'acteurs politiques, clés du maintien de la paix et de la sécurité internationale ». Le secrétaire général parle en son nom à travers ce rapport, à la différence du bilan global qui émanera de diverses entités de l'ONU, comme le Département des opérations de maintien de la paix ou le Conseil de sécurité. Son rapport concerne la mise en oeuvre d'opérations ou de recommandations par les agences de l'ONU elles-mêmes.

Les premiers résultats d'évaluation issus de ce rapport, que vous pourrez consulter en détail, dressent un état des lieux des trente recommandations adressées à l'ONU sur le sujet.

- 50 % ont été mises en oeuvre ou sont en progrès ;

- 40 % sont incomplètes et des progrès importants sont nécessaires pour que leur réalisation soit satisfaisante ;

- 10 % ont fait marche arrière ou n'ont pas progressé.

Les facteurs déterminants du succès de la mise en oeuvre de ces recommandations adressées à l'ONU dans le cadre des résolutions 1325 et suivantes sont :

- la priorité accordée au financement ;

- la présence ou pas d'une obligation de rendre compte (« redevabilité ») et la mise en place de mécanismes de suivi et de surveillance ;

- la présence ou non d'une expertise en matière de genre, en l'espèce insuffisante.

Quels sont les principaux constats de ce rapport ?

Le premier constat, généraliste et politique, souligne le niveau aujourd'hui particulièrement élevé de violences politiques ciblant les femmes, incluant des assassinats, des enlèvements, des violences sexuelles, des agressions sexuelles, des violences collectives et des disparitions forcées. Le contexte global est également marqué par la montée du discours misogyne et homophobe de la classe politique, ayant contribué à l'augmentation des violences faites aux femmes au sens large, ainsi qu'aux Lesbiennes Gay Bi Trans Queer Intersexes, et aux défenseurs des droits humains.

Selon le bilan spécifique de la mise en oeuvre de l'ensemble des résolutions du Conseil de sécurité pour l'année 2018, moins de 20 % de résolutions contiennent des références spécifiques à la nécessité de garantir les droits et libertés pour la société civile au sens large, et surtout les droits des femmes. Selon un bilan établi par le Conseil de sécurité pour l'année 2018, 72 % de toutes les décisions adoptées contiennent des références explicites à l'agenda Femmes, paix et sécurité.

Le secrétaire général indique que seul 0,2 % du total de l'aide bilatérale consacrée aux situations fragiles dans les contextes de conflits et post-crise est revenu aux associations de femmes, ce qui rejoint plusieurs constats partagés ce matin.

Les données chiffrées sont sujettes à beaucoup de réserves, en raison de leur faible nombre et de la difficulté à récolter ces données. L'ONU estime qu'une femme déplacée ou réfugiée sur cinq est ou a été victime de violences sexuelles, cette statistique étant mesurée auprès des camps de réfugiés où l'ONU est présente. En outre, neuf pays sur dix ayant les taux les plus élevés de mariages d'enfants se caractérisent par un contexte fragile.

Ensuite, la participation des femmes aux délégations chargées des négociations de paix stagne, alors que la Résolution 1325 appelle à une meilleure association des femmes à ces négociations. Toutefois, on observe un léger progrès en 2018, puisque 14 des 19 délégations comptaient des femmes, dans le cadre des six missions actives dirigées ou codirigées par l'ONU, avec un pourcentage néanmoins très faible.

Je vous communique des chiffres bruts, en l'absence de données consolidées. Seuls 19,7 % des accords et traités conclus entre 1990 et 2018 en vue de favoriser la fin des conflits contenaient des dispositions spécifiques aux droits des femmes et des filles en général. En 2018, ce chiffre est limité à 7,7 %.

Le personnel militaire des missions de maintien de la paix de l'ONU comprend 4,2 % de femmes. Un progrès significatif est relevé au sein du Département des opérations de maintien de la paix en 2018. En effet, dix des quinze missions disposent d'unités spéciales dédiées à l'égalité femmes-hommes (gender experts), en général du personnel civil.

Le rapport souligne le chiffre honorable de 41 % des États membres ayant adopté des plans d'actions nationaux Femmes, paix et sécurité, comme l'exige la Résolution 1325. En revanche, seulement 22 % de ces plans prévoient des mesures de financement, la plupart d'entre eux se limitant donc à des dispositifs préexistants.

Je citerai à présent des actions onusiennes plus concrètes, en particulier les réalisations intéressantes de l'équipe d'experts des violences sexuelles auprès de la représentante spéciale du secrétaire général sur les violences sexuelles dans les conflits armés, en collaboration avec les opérations de maintien de la paix dans les situations de crise.

En 2018, en République centrafricaine, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique (MINUSCA) a travaillé, avec l'appui du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), avec la police et la gendarmerie sur la question de la conduite des enquêtes. Cette collaboration a abouti à la création d'une unité mixte d'intervention rapide et de répression des violences sexuelles faites aux femmes et aux enfants (l'UMIRR).

La mise en place du même type de protocoles en Côte d'Ivoire, menée avec les forces ivoiriennes de défense et de sécurité, s'est révélée utile et efficace, avec un impact significatif sur le nombre de violations attribuables aux forces militaires.

En RDC, l'équipe d'experts a facilité la condamnation à perpétuité de Frédéric Batumike, dirigeant provincial inculpé de viols systématiques d'enfants à Kavumu, dans le Sud-Kivu, en 2010 et 2011. L'équipe assiste également l'investigation en cours sur Ntabo Ntaberi Sheka et ses co-défendants pour un viol de masse de 387 personnes dans le territoire de Walikale en 2010. Nous nous rendons ainsi compte du temps que prennent ces enquêtes et ces procès, qui débutent parfois dix ans après les faits incriminés, et qui peuvent aussi être ralentis par des annulations de procédure, à l'instar des enquêtes menées par la Cour pénale internationale.

Dans le même objectif de lutte contre l'impunité, l'équipe de l'ONU en Guinée-Conakry a contribué à la mise en accusation de quinze militaires haut gradés, dont le président Moussa Dadis Camara, pour l'assassinat de 157 personnes et des violences sexuelles commises sur au moins 109 femmes et filles en 2009.

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