Intervention de Laurène Chesnel

Commission spéciale sur la bioéthique — Réunion du 19 décembre 2019 à 10h20
Audition commune d'associations

Laurène Chesnel, déléguée Familles de l'Inter-LGBT :

Je suis maman de deux petites filles conçues par PMA à l'hôpital universitaire de Bruxelles.

L'Inter-LGBT regroupe 70 associations de tous les domaines de la vie LGBT et plus largement des droits humains. Nous sommes organisateurs, chaque année, de la marche des fiertés de Paris et du Printemps des associations. Je regrette que l'association Les enfants d'Arc en ciel, qui accompagne chaque année des centaines de couples de femmes en PMA, n'ait pas été autorisée à venir à cette audition, cela aurait pourtant été très enrichissant.

Le projet de loi comporte de nombreux points positifs. Tout d'abord, l'ouverture de l'AMP aux couples de femmes, qui met fin à une situation cynique. Cette situation était financièrement inégale - une insémination coûte 1 000 euros et une FIV jusqu'à 8 000 euros par tentative. Elle engendre du stress, des problèmes de santé - le lien entre médecins, français et étranger, se fait difficilement -, mais aussi des difficultés dans le milieu professionnel en raison d'absences difficiles à justifier. Je me félicite de la clause de non-discrimination introduite par l'Assemblée nationale.

Les travaux de Susan Golombok sur le bien-être des enfants nés dans des couples de femmes ou chez des femmes célibataires montrent que nos enfants vont tout aussi bien que les autres.

L'ouverture de la PMA aux femmes célibataires est aussi une avancée. Celles-ci sont dans des situations très différentes ; leur profil socio-économique est aussi très différent ; elles sont très entourées et soutenues par leur famille et elles peuvent rencontrer un père par la suite. En effet, la fenêtre pour fonder une famille est étroite : le premier contrat à durée indéterminée est décroché vers 29 ans et, dès 35-38 ans, la fertilité diminue.

La question du remboursement est très importante. C'est conforme au principe de solidarité de notre système de santé et, s'il n'avait pas été prévu, cela aurait constitué une nouvelle discrimination. Le double don et l'accès aux origines constituent aussi des avancées. Mais le projet de loi souffre aussi de plusieurs manques. Tout d'abord, la situation des veuves nous semble cruelle : elles ne pourront faire de PMA qu'avec un tiers donneur et non avec les gamètes de leur conjoint décédé. Les personnes transsexuelles et intersexes n'ont pas accès à l'autoconservation des gamètes même si elles suivent un traitement stérilisant, alors que la loi le leur permet en principe.

Nous attendons aussi des avancées sur les pratiques médicales, comme la méthode ROPA (réception d'ovocytes de la partenaire). À l'Assemblée nationale, il y a eu une confusion avec la notion de don. Il ne s'agit pas d'un don, puisque la génitrice deviendra bien mère. Dans un contexte de pénurie d'ovocytes, il est ridicule de faire attendre une personne sur une liste d'attente de plus de trois ans, alors qu'il y a des gamètes disponibles dans le couple.

Le dépistage des aneuploïdies est aujourd'hui proposé à la femme au 3e mois de grossesse depuis 2009, mais il faudrait le proposer dès le stade de l'embryon en cas de FIV, car 40 % des FIV se soldent par un échec - embryons non viables ou interruption médicale de grossesse (IMG). Les femmes qui ne souhaiteraient pas faire ce dépistage ne le feraient pas. Cela a été présenté comme une grande nouveauté, mais cela ne l'est pas. Ce sera plus confortable pour les femmes.

Sur les donneurs et donneuses rares en raison de leurs caractéristiques ethniques, le registre national devrait être consultable par les médecins opérant des AMP afin de faire venir des gamètes d'un autre centre. Mais il faut aussi offrir la possibilité aux couples qui le souhaitent de refuser tout appariement basé sur leurs caractéristiques physiques.

Nous sommes en faveur d'une filiation de droit commun, identique à celles des couples hétérosexuels non mariés, avec la reconnaissance et la possibilité de déclarer judiciairement la parentalité. Il suffirait d'apporter à l'officier d'état civil le consentement devant notaire.

Les enfants des couples séparés avant l'adoption de l'enfant du conjoint sont actuellement dans une situation dramatique, sans aucune possibilité d'établissement de leur filiation. Notre piste préférée serait l'ouverture de la possession d'État. La voie belge serait également envisageable, avec l'adoption de l'enfant de l'ex-conjoint, ex-partenaire ou ex-concubin ; si la femme qui a l'autorité parentale refuse, le juge tranchera.

Nous n'avons pas de position particulière sur la gestation pour autrui (GPA) à l'étranger, sauf s'agissant de la régularisation de l'état civil des enfants. La Cour de cassation a modifié hier sa jurisprudence et permis la transcription des deux parents : peut-être faudrait-il l'entériner dans la loi ?

Nous avons aussi quelques autres préoccupations : le traitement algorithmique des données des personnes sans le consentement des personnes prévu à l'article 11 ; le statut de l'embryon à l'article 14 ; la nouvelle clause de conscience sur l'IMG à l'article 21 au lieu de renvoyer à la clause de conscience existante sur l'IVG ; la question des mineurs intersexes qui a connu une avancée notable à l'Assemblée nationale, mais il faudrait que la France se conforme à ses propres engagements et interdise les opérations non consenties par les enfants concernés.

En conclusion, je voudrais partager avec vous le témoignage d'une jeune femme, née en 1995 et membre de l'association Les enfants d'Arc en ciel : « Ai-je souffert de la situation de mes parents dans ma vie ? Non, j'ai une certitude que tout le monde n'a pas la chance d'avoir : je sais que mes parents m'ont ardemment désirée et que j'existe parce qu'elles se sont battues pour ça, cela a donné un premier sens à ma vie. Je n'ai pas souffert de l'homosexualité de mes parents, j'ai souffert de l'homophobie de notre société. La seconde question qu'on me pose : ai-je manqué d'un père ? La réponse est encore non. J'ai eu l'amour de deux femmes, j'ai eu des hommes dans mon entourage - mon parrain, mon grand-père, mes oncles, les pères de mes amis. Mais qu'est-ce qu'un père apporte de si spécifique qu'une mère ne peut apporter ? L'autorité ? Le goût pour le sport ? L'idée selon laquelle le père est indispensable sous-entend que l'homme est fondamentalement différent de la femme, au point qu'il apporterait par sa seule masculinité quelque chose de distinct. Mon expérience démontre que cette idée est fausse. Je vous demande, mesdames et messieurs les sénateurs de voter cet article du projet de loi : vivre dans un État qui ne reconnaît pas ma famille est une souffrance et voir de jeunes homosexuelles de mon âge douter de leurs capacités à être de bonnes mères à cause de l'homophobie ambiante est insupportable. Nos familles existent déjà par milliers. »

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