Intervention de Marie-Claude Picardat

Commission spéciale sur la bioéthique — Réunion du 19 décembre 2019 à 10h20
Audition commune d'associations

Marie-Claude Picardat :

En effet, nous souhaitons que la présente loi reflète l'esprit de notre République, c'est-à-dire qu'elle nous donne la liberté, l'égalité et qu'elle repose sur des principes de fraternité. Malheureusement, nous ne sommes pas tout à fait engagés dans cette direction. Or, quand la loi n'est pas tout à fait égalitaire, mais crée des sous-catégories de citoyens, elle suscite des souffrances. Nous l'avions expérimenté avec le Pacs, qui n'était pas un dispositif suffisant puisque les homosexuels étaient privés du mariage et de la filiation. Quant au mariage pour tous, s'il est égalitaire du point de vue de la conjugalité, il ne l'est pas sur le plan de la filiation.

Nous avions averti le législateur, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, qu'une loi insuffisante pour établir la filiation dans le cadre du mariage entraînerait des souffrances. Ainsi, les premières familles à s'être présentées devant les tribunaux n'ont pas été traitées de manière égalitaire.

Nous sommes certes satisfaits que la PMA et le principe de son ouverture à toutes les femmes - seules ou en couple -, aient été adoptés. Nous apprécions aussi que le sujet de la filiation ait été pris en compte, y compris pour les homosexuels en dehors du mariage, ce qui a mis fin à une rupture d'égalité. Nous nous réjouissons que la sécurité sociale prenne en charge la PMA pour toutes les femmes, même si nous avons des questions à poser sur les modalités de cette prise en charge ; peut-être le législateur pourra-t-il nous éclairer et nous rassurer à cet égard ?

Nous approuvons, enfin, la possibilité qui est donnée d'accéder à des éléments de connaissance relatifs aux donneurs. Pour ma part, je récuse le terme « origines », parce que les origines d'un enfant ne se trouvent pas dans un matériel génétique, mais bien plutôt dans son histoire, qui lui est racontée par ses parents. Même si sa vie découle de ce capital génétique, celui-ci ne résume ni son histoire ni ses origines.

Nous savons que certains enfants demandent l'accès à ces éléments de connaissance, et il serait dommage de leur barrer la route. Le simple fait de donner cette possibilité suffit souvent à apaiser leur curiosité, et ils n'ont pas forcément besoin d'aller au-delà, comme nous l'apprennent certains retours d'expérience venus de pays étrangers.

Nous sommes dépités et étonnés, en revanche, que le législateur ait fait en sorte que nos revendications aient des conséquences négatives pour les couples hétérosexuels ayant recours à la PMA : ils « sortent du cadre » du présent texte, alors qu'ils n'avaient rien demandé et qu'ils étaient à l'abri de la loi française depuis des décennies. Nous avons en effet perçu comme une menace le fait d'inscrire le mode de conception sur l'état civil des enfants. Nous avons toujours été opposés à ce principe, qui n'a rien d'égalitaire selon nous. Par ailleurs, depuis sa mise en place, le dispositif de PMA pour les personnes hétérosexuelles a toujours bien fonctionné et n'a jamais donné lieu à contestations, notamment en termes de filiation. Pourquoi donc sortir ces personnes du droit commun ?

Notre revendication est républicaine, elle va dans le sens de l'égalité. Nous voulons pouvoir bénéficier, dans la plus large mesure, et si possible dans sa totalité, du droit commun de la filiation.

De manière inattendue, est imposé avec ce texte un mode d'établissement de la filiation qui serait réservé aux femmes homosexuelles et viendrait accoler les deux mères dans un même mouvement d'établissement de la filiation, comme si chacune ne pouvait pas l'établir indépendamment de l'autre. Au nom d'une prétendue avancée des droits, ce système prive la mère qui va accoucher de la possibilité de faire établir le lien de filiation avec son enfant par l'accouchement, comme peut le faire toute autre femme. Nous y sommes absolument opposés !

L'engagement dans la PMA n'est pas du tout équivalent à l'établissement de la filiation. Si la PMA engage les deux femmes de manière équivalente, leurs droits ne sont pas exactement les mêmes puisqu'elles n'établiront pas la filiation de façon identique. Nous avons des modèles à l'étranger, mais aussi en France : les femmes hétérosexuelles qui recourent à la PMA peuvent établir leur filiation par l'accouchement ; et pour les pères hétérosexuels qui n'ont pas de lien biologique avec l'enfant, l'établissement de la filiation est garanti par leur acceptation du principe de la PMA. Nous souhaitons bénéficier des mêmes droits.

Lorsque l'on crée des « petits » droits spécifiques, on est toujours obligé d'y revenir, mais entretemps sont survenus des souffrances et des dégâts dans les familles, sur le dos de nos enfants. C'est une façon pour le législateur d'introduire dans la loi des discriminations. En effet, en quoi la sexualité de la mère doit-elle induire une privation de droits qui sont ouverts aux autres femmes ? En créant autant de droits et de régimes qu'il y a de situations spécifiques, on met les personnes dans des tiroirs et des catégories, et tout le monde s'y perd.

Le plus simple est d'ouvrir à tous les portes de notre grande maison républicaine, sans discrimination. Les personnes homosexuelles sont des citoyens à part entière et participent à l'effort national en travaillant, en faisant des enfants, en cotisant à la sécurité sociale, mais elles ne bénéficient pas pour le moment d'une entière égalité de droits. La deuxième mère, par exemple, doit pouvoir établir la filiation de manière simple, par un processus de reconnaissance reposant sur le fait qu'elle s'est engagée dans un processus de PMA, ce qui lui ouvre des droits et des devoirs. Nous ne voulons pas d'un droit qui ouvre d'autres formes d'exclusion.

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