Intervention de Stéphane Richard

Commission des affaires économiques — Réunion du 18 décembre 2019 à 9:5
Audition de M. Stéphane Richard président-directeur général d'orange

Stéphane Richard, président-directeur général d'Orange :

J'aborderai dans mon propos quelques sujets qui me paraissent plus importants que d'autres.

Avant d'en venir à la question des réseaux en France, je veux évoquer la situation du secteur des télécoms sur le continent européen par rapport au reste du monde. Comment l'Europe a-t-elle traité ces questions d'infrastructures de télécommunications et ces marchés depuis vingt ans par rapport au reste du monde ?

Si l'on prend un panier de consommation standard dans la téléphonie mobile, à savoir un forfait avec voix et messagerie en illimité et 20 gigaoctets de données par mois - ce qui est supérieur à la consommation moyenne -, son coût moyen dans les vingt-sept pays de l'Union européenne est de quinze euros par mois, c'est-à-dire la moitié de ce que coûte une nuit de stationnement dans un parking parisien. Quinze euros par mois pour un service certes pas vital, mais essentiel dans la vie quotidienne des gens.

En Chine, au Japon et en Corée - ces deux derniers pays ayant des niveaux de développement comparables -, qui forment la plaque asiatique, le même forfait coûte trente euros par mois. Aux États-Unis, le prix moyen est de cinquante euros par mois.

En Europe, depuis vingt ans, les politiques publiques en matière de régulation et d'attribution de fréquences ont consisté prioritairement à proposer des prix aussi bas que possible au consommateur. Un moyen a été la multiplication du nombre des opérateurs - on compte à ce jour environ 140 opérateurs mobiles sur le territoire de l'Union européenne à vingt-sept, contre trois en Chine pour 1,3 milliard d'habitants, trois aux États-Unis, trois au Japon, trois en Corée. Notre industrie est totalement fragmentée.

On ne s'est pas beaucoup interrogé en Europe sur les conséquences de cette politique sur les opérateurs. Ils se sont adaptés au prix d'une réduction massive de leurs effectifs. Par exemple, en Espagne, Telefónica comptait il y a vingt ans 76 000 salariés ; ils sont aujourd'hui 18 000. Cette transformation, pour qu'elle soit socialement acceptable, a coûté 16 milliards d'euros à Telefónica.

Il faut avoir cette toile de fond à l'esprit pour comprendre comment nous pouvons essayer de relever un certain nombre de défis en Europe.

J'en viens maintenant à la question des réseaux en France, le réseau fixe d'abord.

La grande affaire du moment, c'est le déploiement de la fibre optique. La machine fonctionne à plein régime et beaucoup d'engagements ont été pris. La France a fait un choix que je salue - Orange en a été la locomotive depuis le départ -, celui de couvrir la plus grande part possible du territoire français en fibre optique jusqu'à l'abonné. Ce choix est quasiment unique, dans cette proportion, en Europe. Seule l'Espagne a aussi fait le choix de la fibre optique, et encore dans des conditions différentes, puisque, dans ce pays, on a laissé faire le marché plus qu'en France, pays de tradition plus volontariste. En Espagne, on compte deux grands acteurs : Telefónica et nous-mêmes, qui avons beaucoup investi dans la fibre. Ailleurs en Europe, la fibre optique n'est quasiment pas déployée : ni en Allemagne, avec laquelle on se compare toujours - voilà un domaine dans lequel la France a déjà une avance gigantesque et nous sommes devant un mur d'investissements -, ni au Royaume-Uni, ni en Italie, ni en Belgique, tandis qu'elle est à peine déployée dans les pays de l'Europe centrale.

Ce déploiement est certes le résultat d'une volonté politique, mais les opérateurs ont dû faire le travail, surtout Orange. Au 30 septembre 2019, sur les presque 17 millions de foyers raccordés à la fibre optique en France, toutes zones confondues - zones très denses, zones d'appel à manifestation d'intention d'investissement (AMII) et réseaux d'initiative publique (RIP) -, près de 12 millions l'ont été par Orange, soit 70 %.

Nous raccordons actuellement 10 000 logements chaque jour et nous apportons la fibre optique à un foyer français toutes les quatre secondes, essentiellement en zones AMII, zones ni tout à fait rurales ni tout à fait urbaines, mais aussi dans les RIP.

Au cours des trois dernières années, Orange a investi un peu plus de 3 milliards d'euros dans le seul déploiement physique de la fibre optique. Cet effort d'investissement se poursuivra au cours des trois prochaines années, l'objectif, dans les conditions fixées par la loi et le régulateur, étant d'assurer à hauteur de 95 % environ ce déploiement en zone moyennement dense d'ici à la fin de 2021. C'est là un chantier considérable.

Presque tous les territoires se sont dotés d'un RIP. Orange assurera environ 30 % du déploiement. Deux questions se posent : d'une part, qu'attend-on de nous s'agissant des RIP que nous opérons, selon des régimes juridiques différents ; d'autre part, qu'en est-il des RIP que nous n'opérons pas ?

S'agissant des RIP que nous opérons, nous essaierons de tenir nos engagements. Le chantier est gigantesque et il faut bien comprendre que nous pouvons faire face à des aléas de production.

S'agissant des RIP que nous n'opérons pas, nous avons clairement dit que nous en serions les clients. La raison en est simple : nos clients actuels qui utilisent le cuivre veulent passer sur la fibre quand elle est disponible, le cas échéant à travers ces RIP tiers. Nous avons commencé à acheter de la fibre via ces RIP, dont nous sommes, et de loin, le premier client. Dans le passé, il a pu y avoir une ambiguïté, mais elle n'a plus lieu d'être.

S'agissant des RIP que nous opérons, nous avons effectivement décidé de créer au sein d'Orange une entité baptisée Orange Concessions afin d'y placer les quatorze RIP dont nous avons été attributaires sur l'ensemble du territoire. Cette entité portera nos investissements dans ces RIP, à savoir un peu plus de 1,5 milliard d'euros. L'objectif est aussi qu'un ou plusieurs partenaires financiers se joignent à nous pour apporter des fonds et soulager un peu notre effort d'investissement, compte tenu des autres investissements que nous devons faire - déploiement de la fibre, de la 5G... Comme toute entreprise, nous essayons d'optimiser l'allocation de nos ressources. À l'échelle du groupe, nos investissements se montent à presque 8 milliards d'euros par an.

Ce mécanisme ne remet pas en cause les engagements pris à l'égard des collectivités. Au contraire, il nous permettra, avec l'appui de partenaires que nous sélectionnerons - pas des fonds spéculatifs américains ! -, de sécuriser nos opérations.

J'en viens au cuivre, qui soulève deux questions : l'entretien du réseau cuivre, sujet récurrent, et l'avenir de ce réseau. Chacun doit comprendre qu'on ne pourra conserver indéfiniment deux réseaux fixes en France : un réseau de fibre optique et un réseau de cuivre. La perspective qui s'offre à nous, c'est celle du « décommissionnement » du cuivre, c'est-à-dire son retrait. Ce processus a déjà démarré : au cours des quatre dernières années, 80 000 tonnes de cuivre ont déjà été retirées de nos réseaux en France, en particulier dans les zones très denses, où la fibre a été largement déployée.

Nous estimons qu'une dizaine d'années seront nécessaires pour mener à son terme ce processus, soit à l'horizon de 2030. Les opérations de « décommissionnement » débuteront réellement en 2023. Le délai fixé par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) est de cinq ans entre le moment où est annoncée la sortie du cuivre et le moment où celle-ci est effective afin de permettre aux utilisateurs et aux collectivités de gérer correctement cette transition. Nous pensons d'ailleurs que ce délai de cinq ans est trop long, et c'est la raison pour laquelle nous avons demandé à l'Arcep de raccourcir ce délai de façon que l'on puisse s'engager plus nettement dans un processus de disparition du cuivre.

En attendant, le réseau cuivre rend encore beaucoup de services et il subit malheureusement aussi de nombreux chocs, notamment des chocs météorologiques. Se pose également la question du service universel.

Ce réseau cuivre est vulnérable aux incidents météorologiques comme les tempêtes ou aux tremblements de terre. Comme Enedis avec son réseau de distribution de l'électricité, nous avons été très affectés ces derniers temps par tout ce qui s'est passé en Aquitaine et en Drôme-Ardèche. D'ailleurs, on n'a pas forcément mesuré à leur juste mesure les dégâts causés par ces chutes de neige sur les infrastructures. Pour Enedis, le coût de cette séquence météo très précoce dans l'année n'avait jamais été atteint ces dernières années. Pour notre part, nous avons dû faire appel à plus de 750 techniciens venus en renfort de toute la France pour procéder au plus vite aux réparations nécessaires. Tout n'est pas encore réglé, et j'écoutais d'ailleurs à la radio ce matin un reportage dans lequel un habitant d'un petit village de l'Ardèche se plaignait que sa ligne, depuis le 14 novembre, n'avait toujours pas été rétablie. Mais les travaux à mener sont considérables, sachant que plusieurs milliers de poteaux ont été mis à terre. Surtout, il ne suffit pas de redresser un poteau pour que la ligne passe de nouveau : nous avons eu beaucoup de dégâts dans nos installations fixes, qui nécessitent des travaux beaucoup plus longs.

Sachez en tout cas que nous avons engagé un plan spécifique pour consacrer davantage de moyens au traitement de la boucle locale cuivre. Nous avons ainsi recruté 500 personnes de plus que ce qui était prévu, augmenté en 2019 de 17 % le budget de maintenance et de réparation par ligne de cuivre, et mis en place une sorte de task force centralisée qu'on déploie quand survient un problème météorologique.

Les indicateurs Arcep du service universel sont respectés, il n'y aura pas matière à sanction. Le service universel est un peu surréaliste : personne ne peut le faire, et personne ne veut être candidat. Nous étions le seul candidat, et s'il n'y avait eu personne, nous aurions été contraints de le faire... Le service universel ne rapporte que des coûts et des ennuis ; en cas de dysfonctionnement, nous risquons d'énormes sanctions économiques. Néanmoins, nous sommes heureux d'être l'opérateur du service universel, nous mettons les moyens nécessaires et nous serons au rendez-vous des indicateurs de suivi.

Nous avons plusieurs chantiers sur la téléphonie mobile. Nous déployons la 4G. Le « New Deal » entre les opérateurs et l'État prévoit 5 000 sites supplémentaires pour améliorer - enfin ! - la couverture des zones blanches - les résorber totalement serait compliqué... C'est énorme, sachant qu'Orange a 22 000 sites. Cela changera totalement la donne. En contrepartie, l'État nous a attribué plus longtemps les fréquences de téléphonie mobile sans coût supplémentaire. Certes, on trouve toujours le temps trop long, car les délais s'empilent entre les différents acteurs, mais le plus souvent ce n'est pas la faute des opérateurs. En France, construire une antenne prend en moyenne deux ans entre l'identification du site et la mise en service, contre huit mois en Allemagne...

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