Comme vous le savez, notre commission a adopté le 30 octobre dernier un rapport d'information dressant un premier bilan du titre Ier de la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Egalim) un an après son adoption et soulignant de premières tendances inquiétantes que nous connaissons tous. À ce stade, alors que le seuil de revente à perte a été revalorisé de 10 % dans la grande distribution, les agriculteurs n'en ont pas vu la couleur, car la grande distribution a adapté son modèle à la nouvelle loi. Le ruissellement ne fonctionne pas.
Tout d'abord, compte tenu de la hausse des marges des distributeurs sur les produits des grandes marques, celles-ci sont davantage mises en avant dans les linéaires au détriment des marques propres des produits de PME.
Ensuite, la guerre des prix n'a pas cessé, elle s'est déplacée vers les produits du rayon « droguerie, parfumerie, hygiène » et vers les produits sous marques de distributeur (MDD). Les fournisseurs, souvent des PME, retrouvent du volume de ventes avec ces derniers produits, mais après de très dures négociations sur les prix. De plus, ces produits gagnant des parts de marché, les produits sous marques propres sont encore dévalorisés, alors qu'ils créaient de la valeur ajoutée pour ces entreprises bien réparties dans nos territoires et créatrices d'emplois.
Enfin, la grande distribution a revu son modèle de promotion pour réduire l'effet de l'encadrement. En effet, si les produits offerts sont différents, l'encadrement des promotions ne s'applique pas. Par exemple, la grande distribution a substitué à la promotion « un cidre brut acheté, un cidre brut offert », celle consistant à proposer « un cidre brut acheté, un cidre doux offert ».
Ces premières tendances sont inquiétantes, alors que l'expérimentation doit encore durer une année avant la présentation du rapport d'évaluation à la fin de l'année 2020, qui permettra de disposer d'éléments complémentaires.
Notre rapport d'information révélait aussi trois effets néfastes concernant l'encadrement des promotions en volume, la difficile renégociation des prix pour des filières produisant des denrées à forte composante de matières premières et la potentielle remise en cause du modèle coopératif par l'ordonnance prise par le Gouvernement, cette dernière ne respectant pas le champ d'habilitation fixé par le Parlement. Notre commission a déposé une proposition de loi afin de prendre trois mesures d'urgence visant à les corriger. Cosignée par plus de 130 sénateurs de toutes tendances, elle sera examinée en séance publique le 13 janvier prochain. Il serait optimal qu'elle puisse être adoptée avant la fin des négociations commerciales qui s'ouvriront en février.
Je rappelle que notre objectif n'est pas de démanteler la loi Égalim. Toutefois, des failles sont d'ores et déjà constatées ; dès lors, pourquoi ne pas agir ? Certaines entreprises ont déjà perdu entre 30 % et 50 % de leur chiffre d'affaires depuis le début d'année à cause du seul encadrement des promotions. Dans deux ans, il sera sans doute trop tard. Enfin, certains des effets de la loi aboutissent à détruire de la valeur et donc à réduire directement le revenu des agriculteurs. Notre seule ambition est de faire en sorte que la loi Egalim soit un succès : il convient pour cela de limiter ses effets de bord.
L'article 1er de la proposition de loi prévoit un double assouplissement de l'encadrement des promotions en volume. Il tend à exclure de cet encadrement les produits à caractère saisonnier marqué, ces produits étant déterminés par l'autorité administrative compétente.
La filière cunicole nous a informés que l'encadrement des promotions exposait les producteurs de lapins à une réduction des ventes annuelles évaluée entre 10 % et 15 %. Il s'agit en effet d'un produit saisonnier : très vendu au printemps et à l'automne, il l'est beaucoup moins en été et est donc vendu en promotion à cette période. L'encadrement des promotions a conduit par conséquent les distributeurs à moins référencer ce produit durant l'été, avec le risque de ventes nulles. Les producteurs de foie gras nous ont confirmé qu'ils prévoyaient une baisse de 25 % en volume. Aucune filière ne peut endurer un tel choc sur la durée. Pour le champagne, les chiffres sont équivalents, avec une baisse de 21 % par rapport à l'année dernière. Enfin, certaines entreprises au modèle particulier pâtissent directement de cet encadrement des promotions. Ainsi, une PME produisant des produits apéritifs, très saisonniers et référencés uniquement lorsqu'ils sont susceptibles d'être vendus par beau temps, vend presque toute sa production en promotions. Avec l'encadrement, elle a constaté depuis le début d'année un recul de 12 % de son chiffre d'affaires. Nous devons donc réagir.
Je vous propose, sans toucher au dispositif de la proposition de loi, d'adopter un amendement de coordination juridique et de ne pas inscrire dans la loi la faculté accordée à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) d'exonérer certaines entreprises de l'encadrement des promotions.
L'article 2 tend à expérimenter, pour quelques filières, la mise en place d'une clause de révision automatique des prix en cas de variation des cours des matières premières. Les acteurs, à l'exception de la grande distribution, trouvent l'idée intéressante. Je vous proposerai un amendement visant à en simplifier le fonctionnement. Je rappelle que nous entendons borner l'expérimentation à un faible nombre de filières très exposées, afin d'en mesurer les résultats. Par exemple, la filière de la charcuterie et celle des pâtes alimentaires pourraient être concernées.
Enfin, l'article 3 vise à corriger une anomalie juridique. J'ai été rapporteur au Sénat de la loi Egalim, nous n'avons jamais évoqué l'engagement de la responsabilité d'une coopérative pour des prix abusivement bas. M. Moreau, rapporteur à l'Assemblée nationale, partage ce point de vue. C'est pour éviter ce type de fantaisies que nous avions convenu de circonscrire le champ d'habilitation de l'ordonnance sur les coopératives aux seules mesures annoncées.
Lorsque le Gouvernement dépasse ainsi le champ d'habilitation que lui a donné le Parlement, il y a deux manières d'agir. La première est de porter le contentieux devant le juge administratif, ce qui a été fait par Coop de France. Le juge analysera les débats parlementaires et cette proposition de loi envoie un signal fort dans le cadre de cet examen contentieux. La seconde, qui n'est pas incompatible avec la première, est de débattre du contenu de l'ordonnance devant le Parlement lors de sa ratification. Le Parlement doit exercer cette fonction de contrôle, sauf à admettre sans rien faire qu'il a été dessaisi de ses droits par le Gouvernement.
L'article 3 propose donc de ratifier l'ordonnance tout en en modifiant le contenu pour supprimer les mesures qui sortent du champ de l'habilitation.
Ces mesures d'urgence se veulent donc pragmatiques.
À mon sens, entrent dans le champ des dispositions présentant un lien direct ou indirect avec le texte les mesures suivantes, qui reprennent logiquement les différents points du texte : les mesures tendant à modifier les modalités d'application de l'ordonnance relevant le seuil de revente à perte et l'encadrement des promotions ; les mesures améliorant les dispositifs de modification des prix convenus entre les parties en cours d'année ; les mesures tendant à modifier les modalités d'application de l'ordonnance sur les coopératives.