Intervention de Éric Morvan

Délégation aux collectivités territoriales — Réunion du 14 novembre 2019 : 1ère réunion
Audition de M. éric Morvan directeur général de la police nationale dans le cadre du cycle d'Auditions sur l'ancrage territorial de la sécurité intérieure

Éric Morvan, directeur général de la police nationale :

Je vous remercie pour votre accueil, Monsieur le président, et vais tâcher de répondre à vos interrogations.

Je retiens que les questions de sécurité ne sont pas, au sein de la délégation, le coeur de vos préoccupations, même si je note la présence de véritables spécialistes de la sécurité autour de la table, comme le sénateur Grosdidier.

Je suis accompagné de Jean-Marie Salanova, directeur central de la sécurité publique, et donc patron de la direction opérationnelle la plus importante, en nombre, de policiers. Sur les 150 000 personnels de police nationale, la sécurité publique en représente en effet plus de 60 000. Il s'agit, en quelque sorte, de la « vitrine » de la police au quotidien pour la majorité de nos compatriotes.

Je suis également accompagné de deux conseillers de mon cabinet. Ludovic Jacquinet est contrôleur général, en charge des questions de programmation et de prévention. Il est actuellement très engagé sur la réflexion autour du livre blanc sur la sécurité intérieure. En outre, Laurent Monbrun, actuellement détaché comme administrateur au sein de mon cabinet, est mon conseiller juridique.

L'ancrage territorial de la police nationale pose un certain nombre de questions, comme l'organisation et le rapport avec les autres forces de sécurité intérieure : les forces régaliennes (préfecture de police à Paris, gendarmerie nationale sur le reste du territoire), mais aussi d'autres acteurs essentiels dont le rôle s'affirme de plus en plus, comme les polices municipales. Nous nous inscrivons désormais dans ce que nous nommons le continuum de la sécurité (ou chaîne continue et solidaire) dans un partenariat très fort avec les élus. Vous avez également eu raison de citer l'éducation nationale et de rappeler que les rapports entre l'éducation nationale et la police nationale n'allaient pas de soi il y a une vingtaine d'années.

L'ancrage territorial est également un changement de pied revendiqué par la police nationale en ce qui concerne la sécurité du quotidien. La diminution des effectifs que nous avons connus a fait que la police nationale s'est transformée en une sorte de « police de l'urgence », intervenant en grande partie sur les points chauds. Dans le même temps, nous avons vu se dégrader le lien entre la police et la population, étant donné que nous intervenions majoritairement sur des situations conflictuelles et complexes, peu propices à un échange serein et apaisé.

L'ancrage territorial de la sécurité nationale, et donc de la police nationale, pose aussi la question de la répartition des rôles entre les différents acteurs. Des règles claires doivent être posées afin de tirer le meilleur de chacun d'entre eux et de gagner en efficacité. Ce serait à mon avis une erreur de vouloir absolument se ressembler et conduire les mêmes actions ; au contraire, nous avons un intérêt collectif à tirer le meilleur de chacune des forces sur les territoires qu'elles connaissent bien.

Il est également nécessaire que les rapports se réarticulent entre la préfecture de police et la police nationale, avec là aussi des principes très clairs. La Direction générale de la police nationale est une direction d'administration centrale, la préfecture de police est une administration territoriale. Nous n'exerçons pas le même métier et il ne peut y avoir de rivalité. Sur tout ce qui concerne les contentieux, la criminalité ou la délinquance très territorialisée, par exemple, il ne peut y avoir le moindre sujet de frottement possible entre la DGPN et la préfecture de police. En revanche, il est nécessaire de clarifier et d'améliorer l'efficacité de notre organisation collective pour éviter tout phénomène d'isolat de la police nationale sur des missions de police très spécialisées, telles que la police aux frontières et la criminalité organisée. Le continuum de sécurité dont je vous parlais au début de mon intervention doit être assuré. La Direction centrale de la police judiciaire doit par exemple avoir une vision exhaustive sur l'état de la menace en France, et non une vision partielle. Dans la même veine, les problèmes d'immigration illégale à Paris ne commencent pas à la barrière de Saint-Arnoult. En conclusion, l'ancrage territorial des forces doit être revu pour une meilleure efficacité collective.

Le livre blanc sur la sécurité intérieure constitue pour moi un levier de réflexion important, qui, je l'espère, permettra de dépasser quelques réflexes que l'on observe encore. Le monde change, et dans notre domaine, par exemple, la territorialisation de la délinquance et de la criminalité ont volé en éclats.

Nous faisons également face au défi de cette délinquance de proximité, et nous devons réinvestir les quartiers, la proximité, afin de regagner la confiance avec la population. C'est tout l'enjeu de la police de sécurité du quotidien. Jean-Marie Salanova vous parlera des mesures opérationnelles qu'il met en place dans ce domaine. Nous devons nous inscrire dans un partenariat opérationnel, voire contractualisé entre les différents acteurs : les collectivités locales avec la commune, au premier rang, les transporteurs et les bailleurs. Définissons des objectifs avec des modes opératoires clairs, des calendriers précis, des réunions récurrentes très opérationnelles en petit comité, sans oublier une procédure d'évaluation de l'efficacité des actions menées. Le succès de ce partenariat opérationnel est essentiel et nous ne pouvons nous contenter du seul partenariat institutionnel. À l'autre bout du spectre, notons également que le succès de l'ancrage territorial passe par des révisions de process et de méthodes de travail.

S'agissant de l'exigence d'une évaluation partagée, la police nationale évalue depuis très longtemps son action au moyen de données encore largement quantitatives (état de la délinquance, atteintes aux biens, aux personnes, délinquance économique et financière, etc.). Nous sommes équipés sur ces sujets, d'autant qu'un service statistique ministériel a été créé en 2014. La qualité et la fiabilité des chiffres produits par le service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) ne font pas débat. Par ailleurs, on ne trouve plus dans la presse de polémiques sur les chiffres de la délinquance produits par les policiers, inévitablement sujets à caution. Cela ne signifie évidemment pas que les chiffres du SSMSI rendent compte de l'intégralité de la délinquance, et nous savons que de nombreux faits échappent à notre loupe car ils ne donnent pas lieu à plainte ni procédure. Un autre outil nous permet d'éclairer ce pan qui échappe structurellement à nos radars statistiques : l'enquête annuelle de victimation conduite par l'INSEE, avec une maîtrise d'ouvrage partagée entre le ministère et l'observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale, qui nous éclaire par des sondages et des entretiens sur ce « chiffre noir » de la délinquance et ce sentiment d'insécurité difficile à quantifier.

Pour clore mon propos introductif, sachez que nous sommes en train d'affiner cette évaluation en doublant l'approche quantitative des phénomènes d'insécurité d'une démarche qualitative. Celle-ci prend la forme d'enquêtes auprès de la population sur leur appréciation des services publics ; nous sommes heureux de faire partie, avec la santé notamment, des services auxquels la population accorde une grande confiance. Nous relevons des taux de satisfaction d'environ 75 %. Si ce chiffre peut paraître élevé, nous gardons à l'esprit que 25 % des sondés disent ne pas avoir confiance dans les services de police.

De plus, nous avons mis en place une démarche avec l'Université de Savoie afin d'obtenir une analyse beaucoup plus fine sur les quartiers. Je suis persuadé que lorsque nous effectuerons l'analyse de la satisfaction à une maille territoriale plus fine, nous obtiendrons des résultats plus mesurés.

En conclusion, ce souci de l'évaluation est pour nous une véritable boussole.

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