Intervention de Éric Morvan

Délégation aux collectivités territoriales — Réunion du 14 novembre 2019 : 1ère réunion
Audition de M. éric Morvan directeur général de la police nationale dans le cadre du cycle d'Auditions sur l'ancrage territorial de la sécurité intérieure

Éric Morvan, directeur général de la police nationale :

Merci pour ces questions, auxquelles je vais essayer de répondre.

En premier lieu, la forme très contemporaine du terrorisme a profondément changé la donne. Rappelons que la réforme de 2008 a fait exploser les renseignements généraux et la direction de la surveillance du territoire. Cette dernière a été transformée en Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), tandis que les missions dévolues aux renseignements généraux ont été réparties :

- une partie - le haut du spectre - sur les menaces, y compris identitaires, régionalistes et islamistes, a été transférée à la DCRI ;

- le reste - la portion congrue - (hooliganisme, violences urbaines et autres conflits sociaux) a été confié à la Sous-direction de l'information générale (SDIG), nouvelle appellation donnée aux renseignements généraux. Cet organisme disposait de peu de moyens, et n'avait accès ni aux fichiers de police ni aux techniques spéciales de renseignement.

En avril 2014, la DCRI est devenue la DGSI - Direction générale de la sécurité intérieure - qui a consacré la scission de la Direction générale de la police nationale, la DGPN. La période 2012-2016, marquée par plusieurs attentats de grande ampleur, a révélé que la DGSI ne disposait pas des capteurs nécessaires ni de la surface en effectif pour appréhender l'ensemble de la menace sur la totalité du territoire.

On s'est ainsi aperçu que certaines informations nous échappaient. Décision a donc été prise de réformer cette SDIG, d'en augmenter massivement les effectifs, de lui confier un spectre de missions élargi et de la doter d'une organisation plus performante et efficace. En outre, l'accès aux fichiers qui lui sont nécessaires pour une action pertinente et aux techniques de renseignements lui a été garanti. Cette SDIG est devenue le Service central du renseignement territorial (SCRT), un véritable service du renseignement, administrativement rattaché au directeur central de la sécurité publique.

En conclusion, nous avons réarmé depuis 2014 une structure en termes de renseignement territorial qui n'a plus rien à voir avec celle qui a existé entre 2008 et 2014, période durant laquelle nous étions en difficulté du fait de la disparation des RG. L'organisation des différents services a donc profondément évolué ces dernières années.

De plus, les grands attentats ont montré que si nous avions de nombreux services de renseignements civils et militaires en France effectuant chacun un travail remarquable, les informations n'étaient pas partagées. La DGSI s'est ainsi installée dans un rôle de chef de file de la lutte antiterroriste au niveau national, et c'est vers elle que convergent aujourd'hui toutes les informations. Ce chef de filat est désormais totalement formalisé.

Le terrorisme a également eu un impact sur l'activité des services de voie publique. Cela a été une véritable déflagration sur de nombreux sujets. Après les grands attentats, les CRS ont par exemple été quasi exclusivement affectés à des missions de sécurisation. Pendant des semaines et même des mois, ils ont été chargés de garder les lieux de culte et les grands organes de presse et de télévision. L'impact du terrorisme sur nos services a également été profond lorsque les attentats ont concerné les policiers eux-mêmes, qu'ils soient municipaux ou nationaux. Rappelons les meurtres de Clarissa Jean-Philippe à Montrouge, ou encore du couple de policiers à Magnanville.

Ces événements nous ont contraints à revoir un certain nombre de doctrines internes, notamment les questions de la protection et de l'armement des personnels. À ce sujet, les maires ont eu la possibilité d'armer leur police municipale avec un quota de 4 000 armes. En conclusion, les grands actes terroristes n'ont pas été sans effets, à la fois sur nos postures et sur nos champs opérationnels.

Il en va de même lors du mouvement des « gilets jaunes » : lorsque nous sommes affectés à la sécurisation de ces manifestations, nous ne sommes pas dans les quartiers. Permettez-moi de préciser que je ne fais là aucun parallèle entre ce mouvement et les attentats dont nous parlions précédemment.

En réponse au sénateur Grosdidier, nous n'avons en effet pas toujours le temps pour les échanges que vous mentionnez. C'est une question d'effectifs, mais également d'organisation interne.

Lorsqu'a été repris le chemin de la création d'effectifs dans la police nationale, c'est d'abord aux services de renseignement (DGSI, SCRT, direction centrale de la police aux frontières - PAF) qu'ont été destinés ces personnels supplémentaires. C'était parfaitement légitime au vu du contexte, mais la Direction centrale de la sécurité publique, la police du quotidien, a vécu un véritable trou d'air et a éprouvé de grosses difficultés.

Les difficultés qui se sont installées dans la police à ce moment concernaient surtout la police du quotidien. Cette police exprime encore aujourd'hui un certain malaise en raison d'une activité extrêmement soutenue, avec une explosion du nombre d'heures supplémentaires, notamment au niveau de la direction centrale de la sécurité publique. Un certain nombre de services ont été, et sont encore parfois, sursollicités.

Toutefois, vous ne m'entendrez jamais dire que seule la police a besoin de fonds supplémentaires. À mes yeux, la justice, l'hôpital, l'éducation nationale, pour ne citer que ces trois domaines, sont tout autant légitimes pour réclamer des budgets supplémentaires. Je ne suis donc pas dans une logique du « toujours plus », et je reste persuadé que nous avons des efforts à mener en termes d'utilisation efficace des ressources que vous mettez à notre disposition. Le directeur central de la sécurité publique a conçu et développé, alors qu'il était directeur départemental des Yvelines, le concept de police d'agglomération en regroupant des circonscriptions, en les réorganisant en interne et en mutualisant des fonctions transversales. Cela a permis de dégager des marges de manoeuvre qui étaient dispersées. Nous cherchons à étendre ce dispositif, également mis en oeuvre dans le Val-d'Oise, aux départements de l'Essonne et de la Seine-et-Marne notamment. Des organisations plus vertueuses permettent ainsi de remettre du personnel sur le terrain.

Par ailleurs, se pose également le sujet des rythmes horaires dans la police nationale. Certains rythmes sont plus consommateurs que d'autres, et nous devons mettre en place des cycles nous permettant de fonctionner efficacement dans le respect du droit du travail et de la réglementation européenne. Des décisions passées ont autorisé des cycles horaires très consommateurs de personnel, j'ai pris la décision d'en stopper la généralisation au profit d'autres cycles plus vertueux que nous expérimentons.

Vous nous avez aussi parlé des redéploiements police-gendarmerie, en nous demandant si nous avions des projets en la matière. C'est l'un des sujets qui sera traité dans le livre blanc. Un certain nombre de théories consistent à dire que des départements à dominante rurale devraient basculer entièrement sous le ressort de la gendarmerie nationale ; citons par exemple les départements de l'Ariège, du Cantal, de la Creuse, ou encore de la Lozère. Je n'y suis pas favorable, et ce projet n'est actuellement pas envisageable étant donné qu'un texte du Code de la sécurité intérieure (CSI) indique que le chef du département doit être en zone police d'État. De plus, je suis assez attaché à la présence de la police nationale dans chacun des départements français. Au-delà du symbole, il est intéressant pour la police nationale d'avoir une sorte de « siège social » dans chaque département. Nous avons en effet des services de police qui ont une compétence nationale (DGSI et CRS, par exemple) et qui peuvent avoir à tout moment à se projeter dans un département en particulier. Rappelons notamment que l'une des grandes cellules djihadistes était située à Artigat dans l'Ariège.

Il existe donc un intérêt, à mon sens, à disposer de représentations départementales de la police nationale, qui agiraient comme « pistes d'atterrissage » d'autres services et d'autres directions.

Sur la question des Officiers de ministère public (OMP), rappelons que les commissaires de police ont une fonction judiciaire et que les directives européennes interdisent que la justice puisse, en temps de paix, être rendue par une autorité militaire. Vous l'avez dit, Madame la sénatrice, nous faisons face à une délinquance de plus en plus mobile et nous savons donc que des lieux autrefois considérés comme tranquilles sont devenus des lieux de replis pour les délinquants, voire des marchés non encore explorés.

En conclusion, sur les effectifs, nous avons un vrai sujet de ressource, mais aussi en interne d'utilisation plus efficace de nos moyens. Certains des problèmes que nous rencontrons sont également liés au fait que la police nationale continue de prendre en charge des missions qui ne sont pas les siennes : par exemple, des forces de police ou de gendarmerie effectuent encore beaucoup de transfèrements entre les maisons d'arrêt et les palais de justice, ou encore assurent la surveillance de chambres de détenus hospitalisés. Cette question des tâches indues ou périphériques mérite donc d'être posée.

S'agissant des rapports entre la police et la justice, la filière investigation est un réel sujet de crise au sein de la police nationale. De plus en plus de policiers se détournent de cette filière, autrefois très recherchée. Elle est désormais considérée comme très complexe, notamment en raison du grand formalisme qui la caractérise. Les policiers qui y sont affectés peuvent engager leur responsabilité, et sont soumis à un formalisme procédural très lourd, qu'ils s'occupent de banditisme d'envergure internationale ou de délinquance de proximité. La procédure pénale n'a pas fait sa révolution, d'autant que les éléments relatifs au droit européen, très inspiré de la procédure anglo-saxonne, s'y ajoutent sans cohérence de pensée. Ces difficultés concernent le domaine de la sécurité publique et, de manière plus marquée encore, la préfecture de police ; le préfet de police a de moins en moins d'officiers de police judiciaire (OPJ) dans ses services.

Sur tout ce qui concerne la Police de sécurité du quotidien (PSQ), je vais laisser la parole à Jean-Marie Salanova, qui est au coeur d'un sujet qu'il a à la fois théorisé et mis en pratique.

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