Intervention de Véronique Guillotin

Commission des affaires européennes — Réunion du 18 décembre 2019 à 13h30
Proposition de résolution européenne de m. richard yung et les membres du groupe la république en marche sur les enfants privés de tout lien avec leur parent européen à la suite d'un enlèvement commis par leur parent japonais : rapport de mme véronique guillotin

Photo de Véronique GuillotinVéronique Guillotin, rapporteure :

Notre commission est saisie d'une proposition de résolution européenne sur les enfants privés de tout lien avec leur parent européen à la suite d'un enlèvement commis par leur parent japonais, à l'initiative de nos collègues Richard Yung, François Patriat, André Gattolin, Claude Haut et les membres du groupe La République En Marche.

Nous sommes sensibilisés à ce sujet. En effet, le 25 janvier 2011, le Sénat avait adopté une résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution concernant les seuls enfants franco-japonais, puis, le 8 octobre dernier, plusieurs de nos collègues, également à l'initiative de Richard Yung, très investi depuis des années dans ce dossier, ont déposé une proposition de résolution sur le même fondement.

Certains enfants issus de couples composés d'un ressortissant d'un État membre et d'un japonais se trouvent au centre d'un conflit parental. À la suite de la séparation ou du divorce de leurs parents, ils sont privés de tout contact avec leur parent européen. Ils ont fait l'objet, soit d'un enlèvement international commis par leur parent japonais, soit d'un enlèvement parental à l'intérieur du Japon. Leur parent non japonais ne peut donc plus exercer ses droits parentaux.

Les auteurs de la proposition de résolution européenne indiquent, dans l'exposé des motifs, que « ces situations dramatiques découlent principalement de l'application de la législation nipponne en matière de droit de la famille ». En effet, le droit japonais ne reconnaît ni le partage de l'autorité parentale ni la garde alternée. Par ailleurs, les juges japonais appliquent le principe non écrit dit de continuité, qui consiste à attribuer l'autorité parentale et la garde exclusive de l'enfant au parent ravisseur. Enfin, le droit de visite, qui n'existe pas dans la loi japonaise, est laissé à l'appréciation du juge aux affaires familiales et son exercice dépend du bon vouloir du parent auquel est attribuée l'autorité parentale. Bref, nous sommes confrontés à des problèmes juridiques qui trouvent leur origine dans des différences culturelles entre l'Europe et le Japon, où l'intervention de l'État dans les affaires familiales est très mal perçue. Il n'existe d'ailleurs pas de revendications audibles émanant de la société civile japonaise sur les droits du parent séparé. Les seules véritables pressions viennent d'États étrangers tels que les États-Unis, le Canada ou l'Italie.

Depuis 1994, le Japon est partie à la convention relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989. Aux termes de l'alinéa 1 de l'article 3, « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ». Et l'alinéa 3 de l'article 9 prévoit que les « États parties respectent le droit de l'enfant séparé de ses deux parents ou de l'un d'eux d'entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant ».

On le voit, le Japon ne satisfait pas pleinement à ses obligations conventionnelles. Diverses actions diplomatiques l'ont certes conduit à évoluer. Ainsi a-t-il adhéré, en janvier 2014, à la convention sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants du 25 octobre 1980, dite « convention de La Haye ». Ce texte s'applique lorsqu'un enfant a été déplacé illicitement du pays d'un des parents vers celui de l'autre ou lorsqu'un parent ne résidant pas dans le même pays que son enfant souhaite voir reconnus ou respectés ses droits de garde et de visite.

Toutefois, il existe d'autres cas qui ne relèvent pas de la convention de La Haye : les déplacements illicites d'enfants intervenus avant l'entrée en vigueur de la convention ; les déplacements d'enfants à l'intérieur du territoire japonais sans dimension d'extranéité ; les conflits familiaux relatifs à des difficultés d'exercice des droits de visite et d'hébergement entre parents résidant au Japon. Dans les deux derniers cas, ce sont les juridictions japonaises qui sont compétentes pour statuer sur le fond, en raison de la résidence habituelle au Japon.

Pour autant, la situation ne se serait guère améliorée depuis 2014. Ce fait est d'ailleurs largement admis, y compris par le Comité des droits de l'enfant de l'ONU. De même, le Président de la République a évoqué ce sujet lors de sa visite officielle au Japon, le 26 juin dernier. La principale difficulté tiendrait au défaut d'exécution d'ordonnances de retour et de décisions accordant un droit de visite au parent non japonais. En mai dernier, le parlement japonais a adopté une loi, qui entrera en vigueur le 1er avril prochain et qui modifie la législation relative à l'exécution des décisions en matière civile. Néanmoins, les auteurs de la proposition de résolution européenne paraissent sceptiques sur les effets concrets de cette réforme. Ils rappellent également que plusieurs enlèvements d'enfants ont eu lieu avant l'entrée en vigueur de la convention au Japon, c'est-à-dire avant le 1er avril 2014.

Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, que j'ai interrogé, a indiqué que, pour les seuls enfants franco-japonais, il existe onze dossiers actifs, dont huit sont relatifs à des conflits autour de droits de garde et de visite, et trois concernent des déplacements illicites d'enfant. Parmi ces onze dossiers, sept entrent dans le cadre de la convention de La Haye, dont quatre concernent des droits de garde et de visite, et trois des déplacements illicites. Ainsi, quatre dossiers actifs actuellement suivis sont hors convention de La Haye. Selon le ministère, « il est très difficile d'estimer de façon précise le nombre de parents se trouvant dans une situation similaire. En effet, certains cas très anciens ne font pas (ou plus) l'objet d'un suivi par nos services. D'autres cas ne sont tout simplement pas portés à notre connaissance. L'association Sauvons nos enfants - Japon évoque, de son côté, une centaine de cas connus, sans qu'il soit toutefois possible de vérifier l'exactitude de ce chiffre ». De même, aucune information sur le nombre d'enfants dont l'un des parents est un citoyen européen ne m'a été communiquée.

Quelles sont les actions envisageables au niveau national et au niveau européen ? Pour les cas ne relevant pas de la convention de La Haye, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères intervient en soutien de l'action du ministère de la justice et accompagne les parents lorsqu'ils en font la demande. Il l'a indiqué en réponse à une question écrite de notre collègue Jacky Deromedi. Les services du ministère apportent alors leur soutien au parent victime au titre de la protection consulaire telle que prévue par la convention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1963. Une liste de notoriété des avocats spécialisés en droit de la famille peut lui être communiquée. Une tentative de prise de contact avec l'autre parent peut aussi être initiée, dans l'objectif de solliciter son accord pour organiser une visite consulaire au domicile de l'enfant et ainsi s'enquérir de ses conditions de vie matérielles. La médiation reste en effet souvent la voie à privilégier pour le parent victime, tout particulièrement au Japon : des moyens importants d'aide à la médiation y ont été mis en place. En France, la Cellule de médiation familiale internationale peut apporter son concours en vue de favoriser un accord amiable entre les deux parents.

Néanmoins, comme le rappelle le ministère, les autorités françaises ne sont pas compétentes pour faire exécuter une décision française sur le territoire japonais. Les parents souhaitant faire reconnaître et exécuter une décision de justice française au Japon doivent demander, avec l'aide d'un avocat, l'exequatur de cette décision au Japon.

Enfin, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères m'a indiqué qu'« une réflexion spécifique aux conflits familiaux au Japon est menée en lien avec les autorités japonaises afin d'explorer les possibilités de faciliter la résolution de ces situations difficiles pour les parents concernés ». Une délégation de représentants des ministères des affaires étrangères et de la justice s'est rendue au Japon, les 20 et 21 mai 2019, où elle a pu obtenir des informations confirmant que ce pays était insuffisamment respectueux des droits des deux parents en cas de séparation. Elle a fait part des préoccupations françaises. Surtout, elle a proposé aux autorités japonaises de définir un cadre de travail bilatéral, notamment la réactivation d'une instance de dialogue bilatéral ad hoc, qui avait été instituée en 2009, puis supprimée après l'adhésion du Japon à la convention de La Haye. Cette proposition a été formalisée dans une lettre adressée par le Président de la République, le 4 octobre dernier, au Premier ministre japonais, puis réitérée par Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de affaires étrangères, pendant un entretien bilatéral avec le ministre des affaires étrangères japonais, le 23 novembre dernier, en marge d'une réunion des ministres des affaires étrangères du G20, à Nagoya. Notre ambassadeur à Tokyo s'est également entretenu avec un représentant du ministère de la justice japonais, qui lui a confirmé que le Premier ministre japonais avait donné des instructions afin que la proposition française soit examinée prochainement dans un cadre interministériel. Une telle instance bilatérale permettrait d'évoquer régulièrement les situations individuelles et de mettre en évidence les dispositions du droit japonais soulevant des difficultés.

Au niveau européen, l'Union s'est dotée en 2003 d'un règlement qui constitue le pendant européen de la convention de La Haye, le règlement dit « Bruxelles II bis ». Par ailleurs, dans un avis d'octobre 2014, la Cour de justice de l'Union européenne a considéré que l'acceptation de l'adhésion d'un État tiers à la convention de La Haye relevait de la compétence exclusive de l'Union européenne. Il est donc possible de considérer que l'Union a un intérêt à agir dans ce dossier. Enfin, l'Union européenne et ses États membres ont signé avec le Japon, en juillet 2018, un accord de partenariat stratégique, dont l'article 32 est relatif à la coopération judiciaire et dont la coordination est confiée à un comité mixte. Néanmoins, à ma connaissance, le Conseil ne s'est jamais prononcé explicitement sur cette question qui n'a été abordée que lors d'un groupe de travail sur le droit civil, en septembre 2012, sous l'angle de l'adhésion du Japon à la convention de La Haye. L'Union européenne aurait donc intérêt à prendre position. Elle pourrait aussi conduire un travail d'influence par le droit, d'autant plus que le Japon, pays de droit écrit, réalise actuellement une étude des législations étrangères visant à une éventuelle évolution de son droit en matière d'autorité parentale.

À l'issue de cette présentation, je propose que notre commission soutienne les objectifs poursuivis par cette proposition de résolution européenne, qui aborde un sujet humain sensible et soulève de vraies difficultés d'application du droit international, ayant des répercussions quotidiennes sur des citoyens européens, que l'on peut présumer certes peu nombreux, mais fortement affectés.

Deux points n'ont pas échappé aux auteurs de la proposition, mais je souhaiterais néanmoins y revenir, car ils sont importants et doivent avoir des conséquences sur la rédaction du texte que nous adopterons. Le premier est que nous sommes ici sur une matière - le droit de la famille - qui touche à l'identité nationale et à la souveraineté étatique, qui plus est d'un État non membre. Le second point, qui accentue encore la portée du premier dans le cas d'espèce, est que les difficultés d'exercice des droits parentaux après une séparation ou un divorce concernent aussi, et même d'abord, les parents japonais. En fait, ces difficultés sont générales au Japon.

Sur le fond, nous pouvons souscrire aux intentions de nos collègues ; sur la forme, je vous propose à la fois de modifier le texte et d'affirmer notre position de deux manières distinctes.

D'une part, il me semble nécessaire d'adapter quelque peu la rédaction.

Les modifications que je propose ne sont pas substantielles et n'altèrent en rien la portée de la proposition de résolution européenne. Certaines d'entre elles sont rédactionnelles, en particulier pour ménager la souveraineté du Japon. Mais la plupart visent à renforcer la normativité du texte, à laquelle le Sénat est, à juste titre, très attaché dans la conduite de ses travaux législatifs. Je comprends très bien que les auteurs d'une proposition de résolution européenne souhaitent apporter un maximum de précisions pour éclairer le lecteur. Néanmoins, je crois que, pour plus d'efficacité et de lisibilité, nous devons viser, dans la mesure du possible, un texte plus ramassé. En particulier au niveau des visas et, surtout, des considérants qui sont nombreux et dont plusieurs descendent à un degré de détail qui n'est sans doute pas indispensable ici. L'objet des considérants n'est pas de faire office de « rapport déguisé », ce qui risquerait d'affaiblir la portée du dispositif.

D'autre part - et ce point est lié au précédent -, nous gagnerions en efficacité en distinguant deux exercices différents. En effet, une proposition de résolution européenne est adressée au Gouvernement, sur le fondement de l'article 88-4 de la Constitution. Or, certains alinéas du texte de nos collègues visent explicitement la Commission européenne. C'est pourquoi je vous propose, comme notre commission le fait d'ailleurs régulièrement, d'adopter non seulement une proposition de résolution européenne, mais aussi un avis politique qui sera adressé à la Commission au titre du dialogue politique. Ce faisant, la position du Sénat aura une plus large diffusion. L'avis politique reprend en grande partie les termes de la proposition de résolution européenne, sous réserve de quelques aménagements qui concernent plus spécifiquement la Commission.

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