Notre commission a créé en son sein un groupe de travail et de suivi du Partenariat oriental. Parmi les six pays d'Europe orientale qui bénéficient de cette politique européenne, on trouve l'Ukraine, où je me suis rendue en mission du 10 au 14 octobre dernier, d'abord à Kiev, puis à Verkhivnia, et enfin à Lviv, ancienne capitale de la Galicie austro-hongroise et aujourd'hui capitale culturelle de l'Ukraine.
Avant d'envisager avec vous les progrès de la mise en oeuvre de l'accord d'association qui lie l'Union européenne et l'Ukraine, accord entré en vigueur le 1er septembre 2017, je souhaiterais vous faire part des impressions personnelles que j'ai retirées de ce premier contact avec l'Ukraine.
Le premier élément qui m'a frappée est le lien inextricable, aux yeux des Ukrainiens, entre leurs relations avec l'Union européenne et celles qu'ils veulent nouer avec l'OTAN. En arrivant à Kiev, j'ai trouvé le centre-ville pavoisé de grandes banderoles bleues célébrant le soixante-dixième anniversaire de l'Alliance atlantique ; un peu plus tard, on m'a indiqué l'ancien musée Lénine, devenu Maison de l'Europe.
Au-delà des symboles, l'opinion publique adhère largement à un destin européen et tourne résolument le dos à ce que certains appellent maintenant l'« occupation » russe. L'Ukraine aspire à une intégration euro-atlantique qui comprendrait l'adhésion tant à l'Union européenne qu'à l'OTAN. De ce fait, au cours de nos entretiens officiels, les aspects plus concrets de l'application de l'Accord d'association ont souvent été relégués au second plan. L'obligation morale essentielle qui guide nos interlocuteurs est bel et bien le retour de leur pays sur la carte de l'Europe.
La deuxième impression que j'ai ressentie a été une profonde tristesse. La guerre du Donbass a déjà fait 13 000 morts ; durant les quatre jours de ma présence en Ukraine, ce conflit a fait vingt-trois victimes supplémentaires. Les murs du monastère Saint-Michel-au-Dôme-d'or, au coeur de Kiev, sont couverts de photos de soldats et de civils morts dans le Donbass ; des cierges brûlaient, des familles pleuraient, vision de détresse sous un si beau soleil. Cette guerre était par ailleurs présente dans tous nos entretiens.
Ma troisième impression a été forgée par l'ampleur des contrastes que j'ai remarqués entre la capitale et la province, mais aussi entre l'est et l'ouest de l'Ukraine. Ils sont si forts que je m'interroge sur la difficulté qu'aura le nouveau gouvernement de l'Ukraine à maintenir l'unité du pays autrement que par un sentiment d'appartenance nationaliste, lequel s'est fortement affirmé depuis la naissance des conflits séparatistes et l'ingérence russe.
Après ces remarques liminaires, j'en viens à la place de l'Ukraine dans le Partenariat oriental et à la mise en oeuvre de l'Accord d'association.
Le Partenariat oriental a été conçu comme une offre faite à des États soucieux de rester libres et démocratiques, et non comme un chemin qui conduirait automatiquement à l'adhésion à l'Union. Nous avons parfois eu du mal à le faire comprendre à nos interlocuteurs de ces pays ! Le Partenariat n'est qu'une première marche ; l'adhésion à l'UE ne peut advenir que longtemps après la signature d'un accord d'association et d'un accord de libre-échange ; ceux-ci ne constituent, pour l'UE comme pour ces pays, ni une promesse ni une obligation.
L'Ukraine a signé ces deux accords destinés à rapprocher ce pays de l'Union européenne sur le plan politique, mais aussi sur le plan économique ; il s'agit également de réaffirmer que nous partageons des valeurs communes à l'Europe tout entière depuis longtemps. Un troisième accord a par ailleurs été signé pour la libéralisation du régime des visas.
Depuis 2014, l'Ukraine s'est engagée dans une politique ambitieuse de réformes visant à stabiliser son économie et à améliorer le niveau de vie de ses ressortissants.
Parmi les priorités, il faut noter la lutte contre la corruption, la réforme judiciaire, la réforme constitutionnelle, la réforme des modes de scrutin, l'amélioration du climat des affaires, la réforme énergétique et la réforme de l'administration et de l'organisation territoriale. L'Union européenne a prévu d'aider l'Ukraine dans la réalisation de cette politique exigeante, à hauteur de 12,8 milliards d'euros sur les sept ans qui viennent (11 de prêts ; 1,8 de dons).
Quatre objectifs majeurs sont visés par cet ambitieux programme de réformes.
Il s'agit, d'abord, d'aller vers une meilleure gouvernance, ce qui implique un programme de décentralisation et le renforcement de l'administration territoriale, la formation de nouveaux fonctionnaires, un programme de lutte contre la corruption et un programme de développement du secteur privé.
Le deuxième objectif consiste à aller vers une plus grande connectivité. Le premier enjeu, de ce point de vue, est l'approvisionnement énergétique et la distribution de l'énergie. Il convient d'établir un régulateur indépendant, de moderniser le transport du gaz, de garantir que les conséquences de Tchernobyl restent maîtrisées et de s'assurer que l'indépendance énergétique vis-à-vis de la Russie continue à s'améliorer. Enfin, il faut poursuivre l'oeuvre de reconnexion de l'Ukraine au reste de l'Europe par la route et le rail.
Le troisième objectif est la consolidation de l'économie ukrainienne. Pour atteindre ce but, il faut que l'accord de libre-échange puisse s'appliquer, ce qui implique un contrôle des normes et des douanes efficace, ainsi qu'un plus grand développement du secteur privé.
Enfin, le quatrième objectif consiste à se diriger vers une société civile plus unie et en lien avec l'Ouest. Depuis le 11 juin 2017, les Ukrainiens dotés d'un passeport biométrique ont la possibilité d'entrer sur le territoire de l'UE sans visa. 5 000 étudiants ukrainiens bénéficient du programme Erasmus. Des actions doivent encore être menées pour renforcer la cohésion de la société civile et lui permettre de faire face aux pressions déstabilisatrices engendrées par ce vaste programme de réformes.
Les progrès accomplis ne sont pas négligeables. À en croire le dernier rapport de la Commission européenne, qui remonte à 2018, des progrès notables ont été accomplis et un grand nombre de lois ont été adoptées concernant le droit de la propriété intellectuelle, l'environnement, le droit des affaires, la sécurité alimentaire et l'énergie.
Il est en outre avéré que des progrès appréciables ont été enregistrés par la Commission européenne dans le contrôle sanitaire et phytosanitaire, la concurrence, les services commerciaux, la transparence, les marchés publics, les barrières non tarifaires, l'environnement, l'action contre le réchauffement climatique, les services financiers, les douanes, la comptabilité et le contrôle de gestion.
Quant aux réformes effectivement mises en oeuvre, elles concernent surtout les retraites, la santé et l'éducation. La mise en oeuvre de la réforme de l'administration et de la décentralisation entamées dès 2014 se poursuit avec régularité. Dans le domaine judiciaire et celui de la lutte contre la corruption, la Commission déplore un rythme plus lent. La loi créant la Haute Cour contre la corruption a été adoptée en juin 2018, mais sa mise en place est toujours en cours. Le système automatisé des déclarations de patrimoine des élus et de la haute administration est également en cours de réalisation, à un rythme peu satisfaisant. La question délicate de l'obligation qui devrait être faite aux membres étrangers des conseils d'administration des entreprises d'État de déclarer leur patrimoine est toujours en suspens.
Pour autant, les privatisations se poursuivent, aidées par la réforme du secteur bancaire et le renforcement des règles et de la supervision. On regrette toutefois que le problème des prêts non performants ne soit toujours pas réglé et que la réforme des banques d'État se fasse attendre. Le cas de la PrivatBank est emblématique : cette banque privée, fondée en 1992, a été nationalisée en 2016 quand elle a connu des difficultés et accuse toujours une perte de 5,5 milliards de dollars, apparemment détournés par ses précédents propriétaires, dont l'oligarque Ihor Kolomoïski, qui serait un proche de l'actuel Président.
Le rapport fait état de peu de progrès dans la création d'opérateurs et de distributeurs privés et indépendants de gaz et d'électricité.
À ce propos, les contrastes sont frappants en matière de dureté de la vie : si, à Kiev ou à Lviv, il y a l'électricité, l'eau courante et l'assainissement, il n'y a en revanche plus rien à la campagne, hormis l'électricité !
Il est aussi rappelé dans le rapport de la Commission européenne que l'économie de l'Ukraine reste dépendante du FMI et des programmes d'assistance de l'UE. En revanche, le même rapport salue une loi importante pour le secteur de la sécurité intérieure.
Le rapport indique que tous ces progrès se font malgré les manoeuvres de déstabilisation lancées par la Russie dans l'est du pays, notamment son ingérence dans le Donbass et son appropriation de la mer d'Azov.
La bonne gouvernance passe aussi par une bonne organisation territoriale. Or la réforme de la décentralisation date de 2015 et piétine encore, même si elle a déjà permis un regroupement communal, qui s'effectue sur la base du volontariat, mais est fortement encouragé par des reversements substantiels du produit de l'impôt national et par la bonification des dotations. C'est ainsi que l'Ukraine comptait avant 3 372 communes et n'en compte plus que 725.
Pour autant, nous n'avons pas vraiment ressenti sur le terrain les effets de cette décentralisation. Les fonds promis ne semblent profiter qu'aux agglomérations centrales et à leur première couronne ; on observe des ruptures d'égalité flagrantes dans l'organisation territoriale !
Concernant la justice, la liberté et la sécurité, le Bureau national ukrainien contre la corruption a lancé 644 enquêtes, mais elles n'ont abouti qu'à 21 mises en examen. Il a été créé une cour anticorruption. Une réforme de la police est en cours.
Les indicateurs économiques se sont améliorés en 2018 : la croissance du PIB s'établit à 3,5 %, contre 2,5 % en 2017 ; le déficit à 1,7 %, contre 2,2 % ; l'inflation à 8,9 %, contre 14,4 % ; le taux de chômage à 9,2 %, contre 9,4 %. Les investissements étrangers sont soutenus : ils s'élevaient à 2,3 milliards de dollars en octobre 2018 ; en revanche, les douanes fonctionnent encore trop peu efficacement, le développement des PME est particulièrement lent, et la réforme agraire progresse difficilement, notamment en raison du défaut de fiabilité du cadastre.
Même si nous pouvons trouver les progrès encore peu satisfaisants, il m'a semblé que nous ne devions pas relâcher nos efforts en faveur de l'Ukraine, qu'il s'agisse de la politique du Partenariat oriental ou de la recherche d'une solution apaisée au conflit du Donbass grâce aux rencontres au format « Normandie ».
Le projet européen que nous soutenons en Ukraine n'est en rien une menace pour la Russie ; le Partenariat oriental n'est pas une machine de guerre, mais une proposition faite à nos amis de l'Est.
En avril 2019, Volodymyr Zelenskyi, un comédien et producteur de télévision de 41 ans, a remporté l'élection présidentielle avec plus de 73 % des voix au second tour contre le sortant Petro Poroshenko. Il était lancé en politique à peine quatre mois plus tôt avec la déclaration de sa candidature. Auparavant, il était surtout connu pour son rôle auto-écrit dans la célèbre série télévisée Servant of the People où, en tant que professeur d'histoire, il est propulsé à la présidence pour nettoyer son pays de la corruption. Son statut de nouveau venu en politique et d'artiste représente le rejet du peuple à l'égard des politiciens et sa faible confiance dans les institutions. La corruption persiste et les oligarques conservent leur contrôle sur la politique, les médias et l'administration. De plus, le conflit dans le Donbass, où les escarmouches et les pertes n'ont pas cessé, pourrait se durcir à nouveau. Le contrôle de facto de la mer d'Azov par la Russie a de graves répercussions sur les ports ukrainiens limitrophes. Enfin, le conflit risque de compliquer la question du transit du gaz de la Russie vers l'UE par l'Ukraine, alors que l'accord conclu il y a dix ans entre Gazprom et Naftogaz, qui génère des redevances fluctuant entre 2,5 et 3 % du PIB ukrainien, arrive à expiration le 31 décembre 2019. Toutefois, la majorité absolue en siège obtenue par le parti présidentiel « Servant of the People » aux législatives de juillet 2019 pourrait faciliter les réformes
Notre espoir est celui d'un progrès économique et démocratique continu vers l'Est, projet qui permettrait d'effacer petit à petit les différences encore criantes entre les deux moitiés de notre continent. Souvenez-vous de ce que nous disaient les Ukrainiens avant la signature de l'Accord d'association : « En 1989, les Polonais étaient aussi pauvres que nous ; aujourd'hui, ils sont quatre fois plus riches que nous. Faites que nous devenions aussi riches que les Polonais ! »
Je tempérerai cette conclusion en évoquant un entretien très émouvant que nous avons eu avec le maire de Lviv. Il a une espérance démesurée dans l'Europe, serait même prêt à accepter le désarmement de son pays s'il était placé sous notre protection, mais il se sent aujourd'hui quelque peu esseulé. Que faire pour conforter nos amis ukrainiens ? Si nous pouvions les aider, nous ne ferions pas mentir l'adage : « Aide-toi et le ciel t'aidera ! »