Intervention de Gisèle Jourda

Commission des affaires européennes — Réunion du 18 décembre 2019 à 13h30
Conférence interparlementaire sur les priorités de la politique étrangère de l'union européenne pour le nouveau cycle institutionnel du 4 décembre 2019 : communication de mme gisèle jourda

Photo de Gisèle JourdaGisèle Jourda :

La conseillère en charge des Balkans occidentaux à notre représentation permanente a rappelé que la France ne remettait nullement en question la perspective européenne des Balkans occidentaux. En revanche, elle a appelé à ne pas engendrer de confusion en utilisant l'élargissement comme un moyen de stabiliser ces pays.

Elle a également souligné la divergence d'appréciation entre la France et la Commission quant aux conclusions à tirer de l'évaluation de la situation en Albanie et en Macédoine du Nord : la France estime que les critiques formulées par la Commission elle-même empêchaient d'aboutir, à ce stade, à l'ouverture de négociations d'adhésion avec ces deux pays.

Plus largement, le Gouvernement considère que la politique d'élargissement telle qu'elle a été menée a perdu de sa cohérence, qu'elle s'appuie sur un processus inadapté, qu'elle n'empêche nullement les influences extérieures à l'Union de s'exercer dans ces pays et qu'elle est, en l'état, contraire à l'affirmation d'une Europe puissance. Le Président de la République l'a dit très clairement dans l'interview qu'il a accordée à The Economist, dans laquelle il fait de la réforme de l'Union européenne elle-même « une condition préalable, indispensable et honnête » à un nouvel élargissement.

Face aux critiques, le gouvernement français a essayé de reprendre la main en mettant sur la table un « non-papier » proposant une révision du processus d'adhésion. Ce texte plaide pour un processus plus graduel, permettant notamment aux États candidats à l'accession de sentir plus rapidement les effets positifs de leur rapprochement avec l'Union européenne, mais assorti de conditions rigoureuses et d'une appréciation réversible des critères de référence.

La représentation permanente de la France à Bruxelles nous a présenté une vision optimiste de la démarche française, que nous n'avons pas tout à fait retrouvée lors de la conférence interparlementaire.

Josep Borrell a fait valoir qu'il y a aujourd'hui une « grande déception dans les Balkans » et a estimé que « nous ne pouvons pas rejeter la perspective européenne des Balkans ». Répondant à un parlementaire croate et à un membre du Parlement européen, il a affirmé qu'« on ne peut pas remettre en cause la politique de l'Union européenne à l'égard des Balkans occidentaux, qui doivent rester une priorité de notre agenda. À moyen et long terme, rien n'a changé. Nous devons travailler pour garantir le sommet de mai 2020 des Balkans occidentaux à Zagreb. »

De son côté, tout en paraissant faire des ouvertures, le commissaire à l'élargissement Olivér Várhelyi s'est employé à « enjamber » le refus français et, d'une certaine manière, à minimiser l'importance des propositions formulées par la France.

Il a évoqué le refus d'ouvrir les négociations comme une « déconvenue pour un grand nombre d'entre nous », en affirmant que l'engagement de la Commission reste inchangé : « La Commission ne sera pas crédible sur le plan géopolitique si nous ne menons pas à bien nos relations avec nos voisins les plus proches, qui sont plus que des voisins et qui sont au coeur de l'Europe. » Il a souhaité qu'une décision positive pour l'ouverture de ces négociations puisse être adoptée bien avant le sommet de Zagreb. Il a également fait part de son souhait d'accélérer les négociations en cours avec la Serbie et le Monténégro.

La Commission formulera en début d'année prochaine des propositions pour revoir le processus d'adhésion et le rendre plus efficace et plus dynamique. La « méthodologie de l'élargissement » figure d'ailleurs à l'ordre du jour prévisionnel de la réunion du collège de la Commission européenne le 29 janvier 2020.

Le développement économique, l'État de droit et la réforme des institutions publiques devraient être des priorités. Olivér Várhelyi a également évoqué la perspective d'une intégration plus approfondie et plus précoce, en souhaitant que le processus d'adhésion entraîne des changements sensibles. Ces propos semblent faire écho aux propositions formulées par la France dans son « non-papier ». Pourtant, interrogé spécifiquement sur les propositions françaises, le commissaire à l'élargissement a déclaré à plusieurs reprises qu'elles n'étaient qu'un élément de proposition parmi d'autres.

M. Várhelyi viendra à Paris pour mieux comprendre les préoccupations françaises. Il a affirmé être prêt à se pencher sur la méthodologie, mais non sur le principe même de la perspective européenne des Balkans : « Modifier la méthodologie est une chose », a-t-il dit, « remettre en cause la politique d'élargissement en est une autre. » Il a également considéré que la nouvelle méthodologie ne devrait s'appliquer qu'aux nouveaux entrants dans le processus, et non à ceux qui ont déjà entamé les négociations.

J'ai notamment interrogé M. Várhelyi sur l'articulation entre la réforme interne de l'Union et son élargissement. Il m'a répondu que la réforme interne de l'Union ne saurait être un préalable à l'adhésion d'un nouveau membre, en précisant que « l'Union européenne devrait être capable de travailler à nouveau à 28 États membres ».

Il a par ailleurs réfuté la perspective d'un découplage de l'appréciation du dossier de l'Albanie et de celui de la Macédoine du Nord. La Commission considère que ces deux pays ont rempli les critères qui leur étaient imposés au même moment et qu'une décision d'ouverture des négociations avec ces deux pays devrait être prise en même temps. Il a toutefois indiqué avoir bien perçu les préoccupations exprimées concernant la situation de l'Albanie.

Tout en refusant de donner une date précise concernant un prochain élargissement, son but est qu'au moins un pays soit prêt à entrer dans l'Union avant la fin de son mandat, en 2024.

On voit donc, au travers de ces différentes déclarations, que la pression en faveur de l'ouverture de négociations d'élargissement avec l'Albanie et la Macédoine du Nord reste très forte, le sommet de Zagreb apparaissant comme un moment clé du premier semestre 2020.

Monsieur le président, peut-être l'avez-vous également constaté lors de votre déplacement sur place avec nos collègues Nicole Duranton, Claude Kern et Simon Sutour, la semaine dernière.

Des concessions seront vraisemblablement faites à la France sur la méthodologie de l'élargissement. Il faudra toutefois être attentif au détail des propositions qui seront formulées par la Commission en début d'année, pour apprécier s'il s'agit de concessions symboliques ou d'évolutions réellement substantielles.

Même si chacun était dans son rôle, je retire de cette journée l'impression d'un écart notable, à ce stade, entre le discours volontariste de la représentation permanente française et les propos tenus par les commissaires lors de la conférence interparlementaire.

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