Je ne vais pas présenter les résultats de mes travaux, mais ceux, plus convaincants, des autres.
De prime abord, pourquoi aurions-nous besoin de la psychologie pour traiter des questions de santé ? L'espérance de vie a doublé au cours du XXe siècle, et c'est avant tout grâce aux grandes découvertes biomédicales comme les vaccins ou les antibiotiques qui ont permis de lutter contre les principaux agents pathogènes que sont les virus et bactéries. Depuis peu, on constate toutefois que, dans les pays de l'OCDE, l'espérance de vie ne progresse plus aussi rapidement. Il est donc important de s'interroger sur ce que sont les nouvelles menaces pour la santé, et sur la manière dont nous pouvons les combattre.
Dans les pays de l'OCDE, le constat est le suivant : la moitié des années de vie en bonne santé sont perdues pour des raisons qu'on peut qualifier de comportementales. Autrement dit, les principaux facteurs de risques ne sont plus les pathogènes, les virus, les bactéries, mais le propre comportement des citoyens. Par exemple, une nourriture trop riche, des conduites sexuelles à risque, consommer du tabac, de l'alcool, ne pas faire d'exercice physique, ne pas adhérer aux traitements médicaux, et depuis peu, refuser de se faire vacciner. Il y a un déplacement du risque sanitaire dans les pays de l'OCDE. Du point de vue des politiques publiques, c'est désormais en comprenant non plus seulement quelle est la solution efficace, mais comment la faire accepter, qu'on peut réussir à sauver le plus de vies.
Concernant les vaccins, objet de cette audition, on constate que dans les années 1970, le virus de la rougeole tuait plusieurs milliers de personnes par an sur le seul continent américain, et qu'en 2017, il n'en tue plus aucune. L'OMS avait d'ailleurs déclaré en 2000 que la rougeole était officiellement éliminée, dans ce pays. Le succès sanitaire de la vaccination de masse est remarquable à la fois par sa rapidité et par son ampleur. Dans ces conditions, on a toutes les raisons de s'interroger sur ce qui peut conduire le citoyen à douter de l'efficacité de la vaccination et à la considérer, comme c'est le cas en France, comme inutile, voire dangereuse.
En France, cela a été dit plusieurs fois, nous sommes les champions du monde de la défiance envers la vaccination. Comme cela a été souligné par Santé publique France, ce n'est pas seulement un niveau de défiance qui générerait simplement des doutes dans la population, cela a des conséquences au niveau des décisions de vaccination que prennent les citoyens. Ces dix à douze dernières années, on a observé 24 000 cas de rougeole, dont 1 500 cas de patients qui ont évolué vers une pneumopathie sévère, 34 ont souffert de complications neurologiques, et 10 en sont morts. Il s'agit désormais de comprendre pourquoi, alors qu'existe une solution efficace, les citoyens ne s'en emparent pas.
L'une des actions les plus fréquemment conduites consiste à mettre en place des campagnes visant à informer les citoyens sur l'innocuité des vaccins. On a parlé plusieurs fois aujourd'hui de l'importance de l'éducation, notamment le travail conduit par vaccination-info-service.fr. Malheureusement, cette solution s'avère plus problématique que prévu, en tout cas moins magique que ce qu'on pourrait espérer. Des travaux récents en psychologie montrent que, lorsque la population a un avis mitigé sur les vaccins, diffuser des messages rassurants peut avoir l'effet inverse de celui qui est recherché. La population, qui est déjà suspicieuse, se dit que si l'on prend tant de peine à la rassurer, c'est probablement parce qu'il existe un danger ! De fait, dans une expérience qui compare différents messages d'information sur le vaccin contre la grippe, des chercheurs ont montré que les participants qui craignent les effets secondaires ont moins de chances de se faire vacciner après avoir lu des informations rassurantes concernant les vaccins. S'il est donc très important d'éduquer, il faut aussi avoir à l'esprit que, quand on cherche à éduquer en rassurant trop, on peut finalement inquiéter. Cela peut sembler un peu désespérant...
Que faire face à ces effets inattendus des politiques publiques d'information concernant les vaccins ? Les sciences comportementales et cognitives suggèrent qu'il faut identifier les obstacles cognitifs à la vaccination et s'appuyer sur des leviers qui permettent de les surmonter.
Cette démarche peut être illustrée par un premier exemple concret, celui du médecin généraliste qui présente le vaccin comme étant le mode par défaut en formulant les choses de la manière suivante : « Je vous informe que nous avons deux vaccins à faire cette année », plutôt que comme une option : « Et pour les vaccins, que faisons-nous ? ». Dans le premier cas, les recherches les plus récentes montrent que les patients ont 18 fois plus de chances d'accepter la vaccination. L'effet est donc assez considérable.
Petite parenthèse qui n'est pas proprement cognitive : tous les mécanismes qui permettent de lever les obstacles logistiques, si minimes soient-ils, ont un effet potentiellement démultiplié sur la vaccination. C'est le cas par exemple de la possibilité pour les médecins de disposer des vaccins directement dans leur cabinet médical, ce qui est le cas dans de nombreux pays. Cela a été évalué dans une grande étude : si le médecin a accès immédiatement au vaccin contre la grippe lorsqu'il pose la question au patient, la probabilité de vaccination augmente considérablement.
Un deuxième exemple de contournement des obstacles cognitifs concerne les campagnes d'information : la psychologie suggère qu'il est moins efficace de chercher à contrer les croyances des personnes, telles que celle selon laquelle les vaccins seraient dangereux, que d'attirer l'attention sur les dangers de la maladie contre laquelle le vaccin permet de lutter.
Les gens ne sont pas forcément prêts ou disposés à entendre des informations qui vont à l'encontre de leurs propres croyances ; ainsi il est souvent plus judicieux de les informer sur les risques de la maladie, plutôt que de chercher à les rassurer sur les effets secondaires des vaccins. Dans une expérience conduite aux États-Unis, il a été montré que faire lire un texte expliquant que le vaccin contre la rougeole ne présente pas de risque pour la santé ne changeait pas l'opinion des participants ; en revanche, ceux qui lisaient le témoignage de la mère d'un enfant ayant contracté la rougeole avaient plus de chances de changer d'attitude et de déclarer souhaiter vacciner leur enfant.
Cette expérience souligne aussi que, de manière assez générale, les personnes réagissent mieux à des témoignages qu'à des statistiques. Cette différence est particulièrement grande chez les patients qui ont une faible littératie statistique. On peut d'ailleurs souligner que la psychologie humaine est particulièrement mauvaise pour traiter les statistiques et les risques de manière générale.
Les campagnes d'information doivent également choisir le messager qui est le plus à même d'emporter l'adhésion. Des études montrent en effet que l'un des facteurs les plus importants dans la décision de vacciner ou non les enfants est l'opinion qui prévaut localement. Les antivaccins ont plus de chances de refuser la vaccination lorsqu'ils sont entourés d'autres parents méfiants, de même, les provaccins ont plus de chances d'accepter la vaccination lorsqu'ils sont eux-mêmes entourés par des gens qui partagent leur opinion.
Un dernier point : de nombreuses recherches soulignent que l'altruisme naturel des gens est un levier que l'on peut vraiment exploiter. La décision de vacciner peut être influencée par la prise de conscience que lorsqu'on vaccine, on protège autrui et pas simplement soi-même. Insister sur le fait que la vaccination n'est pas une décision privée et que ne pas vacciner ses enfants revient à augmenter les risques d'infection pour tout le monde, en particulier pour les plus faibles, est une stratégie qui fonctionne.
Tous ces exemples suggèrent qu'il existe une multitude d'obstacles comportementaux à l'adoption des traitements qui sont pourtant identifiés comme efficaces. Ce constat s'applique à toutes sortes de décisions de santé et il est très important de l'avoir en tête pour la vaccination. Il est indispensable de généraliser ces approches et de donner une place importante aux recherches qui développent des modèles plus exacts du comportement humain.
Je termine sur une parenthèse. En Grande-Bretagne, car je n'ai pas les chiffres concernant la France, seulement 1/200ème du budget de la recherche est alloué aux questions du type : « comment faire le dernier kilomètre ? » et « pourquoi les gens se comportent-ils comme ils se comportent en matière de santé publique ? ».