Intervention de Jacques Genest

Réunion du 7 janvier 2020 à 14h30
Plan d'action en faveur des territoires ruraux — Débat organisé à la demande du groupe les républicains

Photo de Jacques GenestJacques Genest :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat ne perd jamais une occasion de parler de la ruralité.

Tout d’abord, parce que le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République » et que celles-ci sont rurales à 90 %. Ensuite, et surtout, parce que les élus locaux savent à quel point les maux dont souffre le monde rural sont profonds. Et ses habitants vivent avec le sentiment d’évoluer dans une société bloquée, qui entrave la promesse républicaine d’égalité.

D’ailleurs, d’où vient cette crise de la ruralité ? Tout simplement de ce que nous ne faisons plus d’aménagement du territoire. Cette politique a pourtant existé, notamment grâce à la création de la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (Datar) en 1963, par le général de Gaulle.

Néanmoins, la réforme de 1963 n’a pas consisté en la création d’une nouvelle direction hyperspécialisée : elle a reposé sur un objectif simple, à savoir créer des pôles de croissance capables de réorienter les flux économiques avec un pilotage pragmatique et, surtout, des moyens financiers. Très exactement le contraire de la situation actuelle !

Cette politique a fonctionné aussi longtemps qu’elle a été maintenue. Hélas, les chocs pétroliers et leurs conséquences auront peu à peu conduit à considérer l’aménagement du territoire comme un luxe superflu.

Depuis lors, la ruralité n’a droit qu’à des soins palliatifs. Un bel exemple : on veut recréer des cafés, des stations-service, des petits commerces et redynamiser les bourgs-centres, après avoir tout fait pour les faire disparaître avec, entre autres, de gigantesques zones commerciales. C’est donner un cachet d’aspirine à quelqu’un sur qui on a tiré au bazooka !

Aujourd’hui, en 2020, le volume total des dispositifs d’aide est au plus bas. Je vous renvoie à la lecture du rapport de mon collègue Louis-Jean de Nicolaÿ sur le budget 2020, qui détaille les crédits consacrés à l’aménagement du territoire. Sa hausse ne résulte que de la création de l’Agence de la cohésion des territoires. L’effort réel de la part de l’État n’est que de 10 millions d’euros, sur lesquels les élus locaux n’auront guère leur mot à dire.

Si la responsabilité de ce désengagement est collective, que voyons-nous pour le monde rural quand nous regardons en avant ? Certains pensent encore que l’économie numérique va créer un mouvement massif et spontané vers le monde rural, qu’une start-up corrézienne ou, mieux, ardéchoise pourra travailler sans difficulté avec des clients brésiliens et des fournisseurs coréens.

Toutefois, jusqu’à présent, le développement du numérique a encore accentué la concentration géographique de la création de richesses. Je pense, par exemple, à l’installation de la fibre optique, gratuite pour les grandes agglomérations et payante pour les autres territoires. Ainsi, la communauté de communes de la Montagne d’Ardèche, avec ses 5 000 habitants, devra payer 2 millions d’euros. Quel bel exemple de solidarité territoriale !

Avant d’espérer, il faut déjà s’accorder sur certains postulats et tailler en pièces les idées reçues : oui, le monde rural peut s’insérer dans la mondialisation ; oui, le monde rural peut accueillir des activités économiques à forte valeur ajoutée ; enfin, non, le monde rural ne peut être cantonné au rôle de réserve naturelle destinée à combler la soif d’authenticité de nos amis citadins.

Concrètement, nous connaissons les deux défis à relever : l’un est économique, l’autre démographique. Aujourd’hui encore, les jeunes quittent le monde rural par manque de débouchés, et les entreprises ne s’y installent pas, faute de main-d’œuvre.

Il existe, madame la ministre, beaucoup de propositions intéressantes dans le plan du Gouvernement, et parfois des propositions de bon sens, qui ne sont ni coûteuses ni complexes à mettre en œuvre.

Vous savez pourtant, madame la ministre, que deux difficultés majeures préoccupent les élus que nous sommes : la fracture numérique et les déserts médicaux.

Comment encourager l’installation de nos concitoyens en zone rurale, si l’on ne peut s’y faire soigner ni même communiquer, que ce soit par internet ou même par téléphone ? Il est d’ailleurs particulièrement difficile de construire dans ces zones, parce que nos règles d’urbanisme sont inadaptées au développement de la ruralité.

Pis encore, comment voulez-vous y retenir des habitants qui perdent patience ? Cela n’a rien d’étonnant : quand on prend conscience que l’on n’a accès ni aux mêmes droits ni aux mêmes chances que ses compatriotes, l’impatience se transforme en colère.

La révolte des « gilets jaunes » s’illustre ainsi par quatre revendications essentielles : ils veulent pouvoir nourrir leur famille, se loger décemment, se déplacer et, surtout, se faire soigner. Le reste n’est que littérature !

Venons-en aux propositions du Gouvernement : je commencerai par le numérique, domaine où votre plan d’action est le plus timide, ce qui est bien dommage. Mon collègue Patrick Chaize, qui conclura ce débat, aura l’occasion d’y revenir plus en détail.

La technologie elle-même est sans doute moins importante que les usages qu’on peut en faire. De ce point de vue, je regrette, madame la ministre, votre passivité en matière de télétravail. Les grèves que nos concitoyens subissent devraient vous faire comprendre à quel point s’impose une véritable mesure d’allégement fiscal en la matière.

Concernant les déserts médicaux, je relève dans votre plan plusieurs solutions intéressantes : vous proposez notamment de renforcer le champ d’intervention des professionnels de santé non-médecins et d’assurer le déploiement de 400 postes de médecins salariés. Si l’on ne peut que soutenir ces mesures, je rappelle qu’elles sont de court terme, et que leur dose n’est qu’homéopathique.

S’agissant des réponses à plus long terme, vous proposez de déployer les stages d’internes en médecine dans les zones sous-denses, en priorité dans les territoires ruraux. Nous souscrivons évidemment à cette proposition ! Notre groupe y est tellement favorable qu’il avait, sur l’initiative de notre collègue Corinne Imbert, voté en faveur d’un dispositif analogue lors de l’examen de la loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé.

Vous proposez ensuite de formaliser un partenariat entre les différents acteurs des territoires pour agir contre les difficultés d’accès aux soins, en particulier dans les territoires ruraux. Concrètement, on ne peut pas, à mon sens, attendre grand-chose de cette mesure, qui ne résoudra pas le problème de fond. Cela exigerait des actions fortes prises bien en amont, telles qu’une réforme du cadre des études de médecine.

En définitive, les propositions de votre plan d’action en matière de lutte contre les déserts médicaux et la fracture numérique ne me posent aucun problème.

J’irai jusqu’à dire qu’il y a une certaine indécence à produire un plan d’action aussi ambitieux pour, à peine trois mois plus tard, soumettre à consultation un nouveau cahier des charges pour le financement des réseaux d’initiative publique qui conduira, tout simplement, à la disparition du plan France très haut débit.

Les habitants du monde rural – vous le savez, madame la ministre – n’attendent pas de miracles. À force de promesses non tenues, ils sont devenus indifférents aux grandes opérations de communication dont ils sont les destinataires.

En la matière, comme dans tous les autres domaines de la vie publique, il ne faudrait jamais dire plus que ce que l’on est capable de faire.

C’est d’ailleurs tout à fait la philosophie qui a présidé à la création, par notre groupe, du groupe de travail sur la ruralité, que j’anime conjointement avec mes collègues Jean-Marc Boyer et Daniel Laurent. Ses propositions, qui seront simples et peu coûteuses à mettre en œuvre, seront connues dans les prochains jours ; elles compléteront celles que nous avions faites dès 2016.

Toutefois, aujourd’hui, madame la ministre, c’est de votre plan d’action qu’il est question. Qu’est-ce qui peut nous laisser penser que cette initiative aura un sort différent de celui des comités interministériels aux ruralités, lancés par la précédente majorité, où de vos conférences territoriales, déjà oubliées ?

Mobilité, santé, emploi, accès aux nouvelles technologies : souvenons-nous que le monde rural et les ruralités sont au carrefour de toutes les grandes problématiques du XXIe siècle. Y répondre, c’est déjà préparer, pour tous les Français, l’émergence d’une nouvelle société au sein de laquelle le monde rural aura davantage qu’une place : un avenir !

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