Intervention de Alain Milon

Réunion du 7 janvier 2020 à 14h30
Réforme des retraites — Débat organisé à la demande de la commission des affaires sociales

Photo de Alain MilonAlain Milon :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi portant réforme des retraites devrait être présenté au conseil des ministres le 24 janvier, dans quinze jours.

Mais cela fait déjà plus d’un mois qu’a commencé un mouvement social d’ampleur, et cela fait plus longtemps encore que, bien au-delà des syndicats et des grévistes, les Français se posent des questions sur l’avenir de leurs retraites.

C’est pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, la commission des affaires sociales a souhaité l’organisation de ce débat au Sénat dès la rentrée, afin que le Parlement et, à travers lui, le plus grand nombre de nos compatriotes puissent dès à présent y voir clair sur l’essentiel.

Qu’elle s’inscrive dans le présent, dans un proche avenir ou dans une perspective lointaine, chacun se sent concerné par la retraite. De ce fait, il s’agit d’un sujet politique hautement inflammable.

Pour qu’une réforme, a fortiori un changement complet des règles de calcul, soit acceptable, il faut que les Français aient confiance dans ce qui leur est proposé. Or on ne peut que constater qu’ils ne font guère confiance au Gouvernement.

Pour partie, cette situation s’inscrit dans une évolution générale et préoccupante de défiance dans la parole publique. Mais, pour partie également, elle résulte directement des actions du Gouvernement, que le Sénat a régulièrement dénoncées.

Ainsi, comment croire dans des promesses de maintien du niveau de vie des retraités – le Premier ministre évoque une « sanctuarisation » de l’évolution de la valeur du point – quand, depuis trois ans, le Gouvernement ne cesse de fouler aux pieds l’actuelle règle de revalorisation censée garantir que les pensions progressent au même rythme que l’inflation ?

Gel des pensions en 2018, quasi-gel en 2019, assorti d’une augmentation de 1, 7 point de la CSG sur les pensions, reconduction de cette mesure en 2020 pour les retraités dont la pension dépasse 2 000 euros : le Gouvernement a tout fait pour démonétiser sa propre parole et celle de ses successeurs.

Par ailleurs, comment faire partager l’idée de travailler plus longtemps quand le Président de la République, durant sa campagne, n’a cessé de répéter qu’il ne toucherait pas à l’âge légal de départ à la retraite, sans jamais évoquer un quelconque âge pivot, quand ce même président clamait haut et fort son refus des réformes paramétriques et quand, depuis trois ans, vous n’avez cessé de vous opposer aux initiatives du Sénat visant à augmenter progressivement l’âge légal de départ à la retraite ? Comment les Français pourraient-ils s’y retrouver après de telles incohérences et un tel manque de pédagogie ?

Enfin, comment nos concitoyens pourraient-ils croire à l’impérieuse nécessité de redresser les comptes de la branche vieillesse alors que, depuis deux ans, le Gouvernement a artificiellement réduit de 2, 6 milliards d’euros les recettes de cette même branche en ne compensant ni la désocialisation des heures supplémentaires ni la baisse du forfait social ? Le Gouvernement a été prompt à présenter ces mesures comme des cadeaux aux salariés et aux entreprises. Certains pourraient avoir le sentiment qu’on leur en présente désormais la facture…

Face à un État impécunieux et à un système de retraites en déséquilibre structurel, comment les différents régimes ayant accumulé des réserves pour garantir leurs engagements futurs pourraient-ils ne pas interpréter le régime universel comme une tentative de « hold-up » d’un État cigale qui devra, notamment, faire face aux pensions de ses fonctionnaires avec un ratio démographique de plus en plus défavorable ?

En somme, monsieur le secrétaire d’État, depuis le début du quinquennat, le Gouvernement a tout fait pour créer le doute et la confusion dans l’esprit de nos compatriotes lorsqu’il est question des retraites. Il a, hélas, parfaitement réussi, et ne doit donc pas s’étonner de récolter de la défiance eu égard aux promesses qu’il formule, en particulier en termes de justice sociale et de maintien du pouvoir d’achat des retraités.

Dans ce contexte, il est nécessaire que nous prenions le temps de faire le point sur le projet de réforme du Gouvernement, alors que s’achève la phase de concertation et que la rédaction de l’avant-projet de loi est presque finalisée.

La formule de notre débat est vivante : après les interventions liminaires des représentants des différents groupes politiques, une séquence de questions-réponses s’engagera. Elle devrait nous permettre de balayer de nombreuses questions de nos concitoyens et des parlementaires que nous sommes.

Reconnaissons-le, les sujets d’interrogation, voire d’inquiétude, ne manquent pas.

Je pense aux conséquences du basculement du calcul des pensions en fonction des trimestres vers un système à points, singulièrement quand on a connu une carrière hachée en raison de périodes de chômage ou quand on s’est arrêté pour élever des enfants.

Je pense à l’évolution du calcul des avantages familiaux, qui risque de pénaliser de nombreuses familles, tout particulièrement celles de trois enfants.

Je pense à la transition pour les personnes relevant de l’un des régimes appelés à disparaître. Si l’on a beaucoup parlé d’un ou deux régimes spéciaux, bien davantage de personnes sont concernées, notamment les travailleurs indépendants.

Je pense aussi à l’équilibre financier, car, à force de concessions discrètes et ciblées aux grévistes disposant des plus grandes capacités de nuisance, le Gouvernement pourrait bien réaliser l’exploit de proposer une réforme qui mécontente une majorité de Français, tout en plombant nos finances publiques.

Les questions risquent donc d’être nombreuses et précises, monsieur le secrétaire d’État. J’espère que vos réponses, contrairement à celles qui nous ont été apportées jusqu’à présent, le seront tout autant et permettront d’éclairer le Sénat.

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