Intervention de Olivier Henno

Commission spéciale sur la bioéthique — Réunion du 7 janvier 2020 à 14h05
Projet de loi relatif à la bioéthique — Examen du rapport et du texte de la commission spéciale

Photo de Olivier HennoOlivier Henno, rapporteur :

Les travaux de notre commission spéciale ont été d'une très grande densité, et j'ai été heureux de rencontrer l'excellence française dont les médias parlent trop peu : des grands médecins, des personnes engagées, éclairées, cherchant le progrès et son humanisation.

L'éthique à la française concerne les médecins, mais aussi les philosophes, les juristes, tous les citoyens, nous obligeant à l'humilité : ce n'est pas facile dans notre société de défiance, alors qu'il faut créer de la confiance. L'éthique à la française, ce n'est pas obéir aux seules aspirations individuelles comme dans les pays anglo-saxons ni être obsédé par un projet collectif comme en Asie, mais rechercher, à partir d'un socle de valeurs collectives, ce qui produira la norme.

Ce n'est pas non plus la peur de l'avenir, qu'il faut aborder de manière éclairée, en améliorant la vie sans la bouleverser. L'éthique à la française, c'est la gratuité du don, l'attention aux plus fragiles, la bienveillance. Ces principes ont guidé nos travaux, qui nous ont fait grandir sans faire disparaître notre part de doute.

La génétique - partie du projet de loi dont je suis rapporteur - connaît aujourd'hui une véritable révolution. Elle est source d'espoir pour le diagnostic et la prise en charge thérapeutique, notamment dans les domaines de la médecine prédictive et de la médecine de précision, en permettant, par exemple, la mise au point de thérapies géniques ciblées dans le traitement de maladies rares ou de cancers.

Le développement des techniques de séquençage haut débit et la démocratisation, sur le plan économique, de l'accès aux tests génétiques, font néanmoins craindre une mauvaise appréhension par la société de données génétiques de plus en plus massives, dont la signification diagnostique et les conséquences médicales restent encore en grande partie indéterminées.

Dans le prolongement d'une proposition de loi adoptée par le Sénat en juin 2018, l'article 8 autorise la réalisation, dans l'intérêt de la parentèle, d'un examen des caractéristiques génétiques sur une personne décédée, sauf opposition de cette personne manifestée de son vivant, lorsqu'est suspectée une anomalie génétique pouvant être responsable d'une affection grave justifiant des mesures de prévention ou de soins qui pourraient bénéficier aux membres de la famille.

Ces examens génétiques post mortem seront effectués à partir d'échantillons déjà conservés ou prélevés dans le cadre d'une autopsie. Les pratiques de conservation des échantillons biologiques prélevés par les laboratoires de biologie médicale pouvant varier d'un laboratoire à un autre, il pourrait être utile d'harmoniser ces pratiques par la publication de règles de bonnes pratiques en matière de conservation et de traçabilité de ces échantillons.

L'article 9 prévoit de renforcer la possibilité de transmettre une information génétique dans les situations de rupture du lien de filiation biologique, c'est-à-dire entre tiers donneurs et personnes nées d'un don, et entre parents de naissance et personnes nées dans le secret, dans un souci d'égalité d'accès de ces personnes, qui de fait n'ont pas connaissance des antécédents médicaux de leurs apparentés biologiques, aux mesures de prévention ou de soins, tout en préservant rigoureusement l'anonymat des personnes concernées.

Comme l'Assemblée nationale l'a fait pour les tiers donneurs et les personnes nées d'un don, je vous proposerai de rendre automatique l'alerte, par l'intermédiaire du médecin prescripteur de l'examen et du Conseil national d'accès aux origines personnelles (Cnaop), de la personne née dans le secret ou du parent de naissance sur l'existence d'une information génétique potentiellement majeure, voire vitale.

En aucun cas, ce mécanisme d'alerte ne donnera lieu à la révélation de l'identité de la personne initialement concernée par l'examen génétique ni à la révélation de l'anomalie génétique en cause ou des risques associés, dans le respect du droit de toute personne d'être tenue dans l'ignorance d'éventuelles prédispositions génétiques.

L'article 10 maintient le principe selon lequel un examen des caractéristiques génétiques ne peut être envisagé qu'en cas d'antécédent familial connu ou de symptôme d'une maladie d'origine potentiellement génétique. Rien n'est en revanche prévu pour prémunir les personnes ayant recours à des tests génétiques en accès libre, notamment sur Internet, contre les risques qu'emporte la délivrance d'une information génétique en dehors de toute consultation médicale, l'interdiction de ces tests restant aujourd'hui purement virtuelle.

En cohérence avec la position du CCNE sur ce sujet, je vous proposerai donc, à titre expérimental, d'ouvrir l'accès en population générale aux examens génétiques, notamment dans le cadre d'un dépistage préconceptionnel pour un couple s'engageant dans un projet parental, en l'absence d'antécédent familial connu ou de symptôme, pour la recherche de mutations génétiques dont la signification diagnostique est connue. Le Gouvernement pourra ainsi limiter les anomalies recherchées à une liste de mutations génétiques établie en concertation avec l'Agence de la biomédecine et la HAS.

En outre, face à l'ineffectivité de l'interdiction du recours aux tests génétiques en accès libre, il me semble indispensable d'autoriser, pour mieux l'encadrer, l'accès des examens génétiques à visée généalogique sous réserve du respect de conditions de nature à préserver les droits des personnes dans le traitement de données aussi sensibles. Conformes à un référentiel de qualité établi par l'agence de la biomédecine, ces tests ne pourront avoir pour objet de délivrer une information génétique d'ordre médical, ni ne pourront servir de fondement à des actions visant à faire valoir des droits patrimoniaux ou extrapatrimoniaux, notamment dans le cadre d'une démarche d'établissement d'un lien de filiation.

Sur l'intelligence artificielle et les neurosciences, le projet de loi crée, à l'article 11, un cadre juridique pour l'utilisation d'un traitement algorithmique de données massives lors de la réalisation d'un acte médical. Le développement de l'intelligence artificielle (IA) est très important en médecine. L'IA peut avoir des effets très positifs pour le patient, en améliorant l'efficacité des diagnostics ou en aidant à la prise de décision thérapeutique. Mais il ne s'agit pas d'une technique infaillible, elle peut présenter des biais. Les professionnels de santé doivent demeurer seuls décisionnaires en matière de soins apportés aux patients : c'est toujours l'humain qui doit décider en dernier ressort. Je présenterai donc plusieurs amendements pour renforcer les garanties applicables à l'utilisation de ces technologies, sans toutefois freiner son développement. Je vous proposerai ainsi que le patient soit informé en amont de l'utilisation d'un traitement algorithmique et qu'aucune décision médicale ne puisse exclusivement se fonder sur un traitement algorithmique. Ces principes ont fait consensus lors des auditions.

S'agissant des neurosciences, l'article 12 du projet de loi propose notamment de modifier l'article 16-14 du code civil, qui régit le recours aux techniques d'imagerie cérébrale, créé par la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique. Ces techniques ne sont aujourd'hui autorisées qu'à des fins médicales, de recherche scientifique ou dans le cadre d'expertises judiciaires, avec le consentement exprès de la personne concernée. Restons-en au droit en vigueur sur ce point qui me paraît satisfaisant, ce qu'avait également conclu le Conseil d'État dans son étude en 2018.

Enfin, l'article 13 du projet de loi confère au ministre de la santé le pouvoir d'interdire, en cas danger grave ou de suspicion de danger grave, les actes, procédés, techniques ou équipements qui ont pour objet de modifier l'activité cérébrale. Je vous propose d'exclure les équipements qui sont des dispositifs médicaux, car ils relèvent déjà des pouvoirs de police de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), qui peut interdire leur mise en service ou leur utilisation dans les mêmes hypothèses que celles de l'article 13.

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