Intervention de Corinne Imbert

Commission spéciale sur la bioéthique — Réunion du 7 janvier 2020 à 14h05
Projet de loi relatif à la bioéthique — Examen du rapport et du texte de la commission spéciale

Photo de Corinne ImbertCorinne Imbert, rapporteure :

Je tiens à remercier mes collègues rapporteurs pour la qualité de nos échanges. Le travail que nous avons mené a été passionnant et nous conduit à nous interroger sur les limites acceptables du progrès scientifique. En tant que représentante du Sénat au CCNE, j'ai participé à la rédaction de son avis 129. Je me suis particulièrement intéressée à la question de l'équilibre qui doit être trouvé entre recherche et risques de dérives.

Le titre IV du projet de loi comporte une série de dispositions destinées à soutenir une recherche éthique et responsable au service de la santé humaine, notamment sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires ou pluripotentes induites.

Le régime de déclaration préalable pour les recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines, mis en place à l'article 14, permet d'acter la différence de nature de ces recherches avec celles sur l'embryon, qui continueront de faire l'objet d'un régime d'autorisation. Les cellules souches embryonnaires humaines n'ont en effet pas la capacité de former spontanément un embryon : les recherches portant sur ces cellules ne soulèvent donc pas les mêmes enjeux éthiques qu'une intervention sur l'embryon.

Afin de sécuriser sur le plan juridique les recherches menées sur les embryons surnuméraires, il me semble indispensable de préciser leurs prérequis, dont certains sont inadaptés au contexte scientifique actuel et donnent aujourd'hui lieu à des incertitudes ou des différences d'interprétation exploitées dans le cadre de contentieux quasi systématiques.

Il pourrait ainsi être utile de tenir compte du fait que les recherches sur l'embryon peuvent non seulement s'inscrire dans une finalité médicale déterminée, mais également poursuivre un objectif d'amélioration de la connaissance de la biologie humaine. C'est en particulier le cas dans le cadre de travaux de recherche fondamentale qui ne peuvent par définition anticiper avec précision les résultats de la recherche et les applications médicales qui pourraient en être tirées.

De même, le critère de l'absence de méthodologie alternative me paraît devoir être apprécié au regard de la pertinence scientifique des modèles alternatifs à la recherche sur l'embryon par rapport aux objectifs de la recherche considérée. Même si les cellules souches embryonnaires et les cellules souches pluripotentes induites permettent aujourd'hui d'envisager la constitution de modèles embryonnaires à usage scientifique susceptibles de mimer certaines étapes du développement embryonnaire, ces modèles ne permettent pas d'égaler les propriétés de l'embryon humain et donc de faire l'économie d'une recherche sur ce dernier.

Par ailleurs, avec le souci de permettre des avancées dans la compréhension du développement embryonnaire dans le respect des principes éthiques, je vous proposerai d'autoriser, à titre dérogatoire, le développement in vitro d'embryons jusqu'au 21e jour suivant leur constitution dans le cadre de protocoles de recherche spécifiquement dédiés à l'étude des mécanismes de développement embryonnaire au stade de la gastrulation. La limite de culture in vitro de l'embryon à quatorze jours est en effet aujourd'hui réinterrogée par plusieurs pays qui envisagent de la repousser pour permettre des recherches indispensables à une meilleure connaissance du processus de différenciation des cellules souches embryonnaires.

Certaines recherches conduites sur les cellules souches embryonnaires ou les cellules souches pluripotentes induites requièrent une vigilance particulière. Il s'agit notamment de la possibilité de différencier ces cellules en gamètes, de les insérer dans des tissus extraembryonnaires afin de constituer des modèles mimant l'embryon ou de les insérer dans des embryons provenant d'autres espèces.

Ce dernier type de recherche n'est pas sans soulever d'importantes questions éthiques quant aux limites à poser au franchissement de la barrière des espèces. Par conséquent, il me semble indispensable de supprimer la possibilité, à l'article 14, de créer des embryons chimériques résultant de l'insertion de cellules souches embryonnaires humaines dans un embryon animal. En outre, il convient, à l'article 15, de poser deux verrous à la création d'embryons chimériques par l'adjonction à un embryon animal de cellules pluripotentes induites d'origine humaine : ces embryons ne pourront donner lieu à parturition, si bien qu'en cas de transfert chez la femelle, la gestation devra être obligatoirement interrompue dans un délai approuvé par l'Agence de la biomédecine, apprécié au regard des délais gestationnels propres aux espèces animales considérées ; la contribution des cellules d'origine humaine au développement de l'embryon chimérique ne saurait dépasser un seuil approuvé par l'Agence de la biomédecine.

Pour mémoire, le CCNE lui-même, dans son avis sur la révision de la loi de bioéthique, estimait qu'un encadrement des embryons chimériques résultant de l'insertion de cellules pluripotentes induites (iPS) humaines dans un embryon animal était nécessaire, « en particulier si les embryons chimériques sont transférés chez des femelles et donnent naissance à des animaux chimères avec le risque, chez le gros animal, que les cellules humaines se développent et induisent certaines caractéristiques humaines », notamment morphologiques ou neurologiques.

Concernant le diagnostic prénatal, l'article 19 vise à actualiser sa définition et à préciser la démarche de la femme enceinte et des couples en cas notamment de découvertes incidentes. Je vous proposerai d'étendre une définition encore restrictive au regard de la pratique réelle et des traitements et soins rendus possibles par le développement de la médecine foetale.

Concernant le diagnostic préimplantatoire (DPI), je vous propose de revenir sur la décision de l'Assemblée nationale, à l'article 19 bis A, d'abroger le DPI couplé à la recherche de compatibilité HLA (human leukocyte antigen) : cette technique, introduite par la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique et pérennisée en 2011, permet la naissance d'un enfant non seulement sain de la maladie de son aîné, mais également compatible en vue d'une greffe. Même si elle n'est plus pratiquée depuis 2014, cette technique, strictement encadrée, présente toujours un intérêt thérapeutique dans des situations certes très rares, mais humainement délicates.

Je vous présenterai également un amendement visant à autoriser, à titre expérimental et dans des indications ciblées, le recours au DPI pour la recherche d'aneuploïdies (DPI-A) c'est-à-dire d'anomalies chromosomiques. À l'heure actuelle, cette analyse in vitro des embryons avant leur implantation ne peut être réalisée que pour rechercher une pathologie génétique ciblée dont est porteur l'un des parents. Or, les sociétés savantes en médecine de la reproduction comme en cytogénétique mettent en avant l'intérêt d'y avoir recours dans des cas d'échecs répétés de fécondation in vitro (FIV) ou de fausses-couches à répétition. Cela vise à améliorer la prise en charge des femmes lors de ces parcours éprouvants d'AMP.

Enfin, en matière de gouvernance, je vous propose de confirmer le maintien souhaité par l'Assemblée nationale de la mission de l'Agence de la biomédecine dans le domaine des nanobiotechnologies et de maintenir également l'élaboration par l'agence d'un référentiel permettant d'évaluer la qualité des tests génétiques en accès libre, dans un contexte de recours croissant des Français aux tests ADN sur Internet.

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