Intervention de Marie-Pierre de La Gontrie

Commission spéciale sur la bioéthique — Réunion du 7 janvier 2020 à 14h05
Projet de loi relatif à la bioéthique — Examen du rapport et du texte de la commission spéciale

Photo de Marie-Pierre de La GontrieMarie-Pierre de La Gontrie :

Je partage la réflexion de Roger Karoutchi sur l'éthique, mais pas ses conclusions sur le rôle du législateur. Chacun connaît ici la phrase de Lacordaire : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. » C'est notre responsabilité, dans ce domaine complexe, de dire ce qui est autorisé ou non.

Cette commission a travaillé dans des conditions de grande courtoisie. J'appartiens à une formation politique favorable à l'extension de la PMA, mais j'ai voulu examiner à fond cette question sans a priori ni certitudes.

C'est un choix politique au sens noble du terme : le droit n'impose ni le statu quo ni l'évolution, le Conseil d'État l'a dit. C'est la reconnaissance d'un pluralisme familial qui, comme Jacques Bigot l'a rappelé au sujet de la place du père, s'est imposé. Depuis 1966, une personne seule peut adopter ; la loi sur le mariage pour tous en 2013 a donné une reconnaissance légale aux couples homosexuels.

Muriel Jourda nous dit que ce n'est pas parce que quelque chose existe qu'il faut l'autoriser. Certes, mais entre 2 000 et 4 000 femmes ont recours à la PMA à l'étranger. La grossesse est suivie en France, l'enfant naît en France, la filiation est en France, mais la PMA est pratiquée à l'étranger, c'est tout de même particulier... Ce projet de loi veut reconnaître et normaliser l'existence de ces familles.

Il n'y a pas de droit à l'enfant. Le Conseil d'État l'a dit, l'enfant est un sujet. Il y a un droit à l'accès à une technique, mais rien ne dit que celle-ci fonctionnera. Il n'y a pas de droit à l'enfant, mais le désir d'enfanter existe. En parlant avec des gynécologues, j'ai pu me rendre compte à quel point la souffrance des femmes qui ne parviennent pas à enfanter était grande, ce n'est pas évident pour quelqu'un qui, comme moi, a eu la chance d'en avoir banalement - si j'ose dire.

Est-il légitime que la médecine intervienne hors du domaine de la pathologie ? Elle le fait déjà ! Comme Roger Karoutchi, je ne suis pas spécialiste. Une médecine de confort est apparue, comme la médecine esthétique - je suis une femme, je peux donc en parler... (Sourires.) Quel est l'intérêt de l'enfant ? En normalisant la situation de ces enfants issus de PMA, nous les sortons d'une certaine forme de clandestinité.

Certains disent : les couples de femmes n'ont qu'à adopter. D'abord, ce n'est pas la même chose de porter un enfant et d'adopter. Et puis, nous le savons tous, en France, il y a peu d'enfants adoptables.

Beaucoup d'organismes plus compétents que moi ont validé l'extension de la PMA : le conseil consultatif national d'éthique, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) ; de même, beaucoup de médecins. De nombreux pays d'Europe y ont recours.

Je me demande, en écoutant les arguments qui y sont opposés, si accepter la PMA pour les couples de femmes et les femmes seules, ce ne serait pas faire le deuil du mythe de la famille parfaite, composée d'un papa, d'une maman, des enfants, du chien... Or, Roger Karoutchi l'a rappelé, cela fait longtemps que la famille ne ressemble plus à cela. Et quelle garantie avons-nous que ce modèle traditionnel rende les enfants heureux ?

Les études n'ont pas assez de recul, mais elles vont toutes dans le même sens : ce qui compte, c'est l'environnement familial et le désir d'enfant. Sur ce point, le professeur Nisand a eu un mot frappant : la seule différence avec les autres enfants, c'est qu'ils sont tous très désirés - or ce n'est pas le cas de tous les autres, malheureusement. On parle de l'absence du père ? Mais, aujourd'hui, un quart des familles sont monoparentales. Au moins, dans ce cas-ci, ne s'agit-il pas d'une monoparentalité subie.

Nous sommes favorables à la prise en charge par la sécurité sociale - c'est une question d'égalité - et favorables à l'accès aux origines, car c'est dans l'intérêt de l'enfant. La réforme de la filiation est le corollaire de ces changements et nous la soutenons donc. Enfin, l'autoconservation des gamètes n'est pas une question de confort. On a beaucoup lu sur le fait que des grands groupes américains, des Gafa, s'y intéressaient de près... Bien encadrée, l'autoconservation des gamètes permettra opportunément aux femmes d'avoir accès à la maternité dans des conditions plus souples qu'aujourd'hui.

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