Intervention de Philippe Bonnecarrere

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 8 janvier 2020 à 10h05
Proposition de loi visant à créer un droit à l'erreur des collectivités locales dans leurs relations avec les administrations et les organismes de sécurité sociale — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Philippe BonnecarrerePhilippe Bonnecarrere, rapporteur :

Monsieur le président, ce sens de l'opportunité que vous prêtez au groupe Union centriste répond au vôtre, puisque vous avez choisi d'examiner en ce début d'année une proposition de loi visant à créer un droit à l'erreur pour les collectivités territoriales, ce qui est une façon de nous rappeler que nous sommes perfectibles et de nous inviter à commettre le moins d'erreurs possible cette année.

Il nous faut nous interroger sur le droit à l'erreur pour les collectivités territoriales, si d'aventure celles-ci en commettaient. Je précise que, en tant que tel, le droit à l'erreur n'existe pas en droit positif, même si, dans la pratique, l'expression est couramment utilisée ; en revanche, il existe un droit à régulariser en cas d'erreur déjà ouvert à l'ensemble des particuliers et entreprises.

Sur cette question, je proposerai le vade-mecum suivant : pas plus, pas moins et pas d'impunité. En effet, il ne s'agit pas de donner aux collectivités plus de droits que n'en ont nos concitoyens ; pour autant, il s'agit de ne pas leur en donner moins.

À quoi correspond le droit à l'erreur ? Il a beaucoup été évoqué en 2018, lors de l'examen de la loi pour un État au service d'une société de confiance, dite loi ESSoC. Il a fait l'objet d'une généralisation à tous les usagers. Ce principe est désormais inscrit aux articles L. 123-1 et L. 123-2 du code des relations entre le public et l'administration (CRPA), sous réserve qu'il n'y ait pas de mauvaise foi et que la situation soit régularisée à l'initiative de l'intéressé ou sur invitation de l'administration. La mauvaise foi, notion qui fait l'objet d'une définition, doit être prouvée par l'administration.

Il s'agit donc d'une mesure favorable aux usagers. Pour autant, les dispositions du code des relations entre le public et l'administration ne trouvent pas application lorsqu'existent des dispositions spéciales, notamment en matière fiscale et sociale.

La question qui se pose pour les collectivités locales est la suivante : si un droit à l'erreur est prévu pour M. Tout-le-Monde, ce M. Tout-le-Monde ne pourrait-il pas être une commune et la commune ne pourrait-elle pas bénéficier de ce droit à l'erreur ?

Lorsque cette question a été posée en séance publique, au moment de l'examen de la loi ESSoC, la réponse du Gouvernement a été négative. C'est pourquoi les différents amendements visant à étendre ce droit aux collectivités locales ont été soit directement rejetés par le Sénat, soit écartés par l'Assemblée nationale lorsqu'ils avaient été adoptés au Sénat. Voilà qui a achevé de nous convaincre qu'il y avait un problème sur ce sujet.

En effet, la réponse du Gouvernement n'avait pas été d'une extrême précision : elle consistait à dire que les collectivités étaient d'abord des administrations, des collectivités publiques soumises à un droit dérogatoire ; elles ne pouvaient donc être concernées. Cette justification a renforcé l'idée de nos collègues du groupe UC et de notre collègue du groupe du RDSE de prendre l'initiative de rédiger plusieurs amendements et une proposition de loi en ce sens. Nous sommes en effet dans une situation paradoxale : si les collectivités territoriales sont un élément de l'administration prise dans son sens général, de plus en plus, elles sont des usagers, notamment en matière fiscale et sociale. À ce titre, elles paient de la TVA, et l'impôt sur les sociétés, de même qu'elles font des déclarations à l'Urssaf, lorsqu'elles emploient des agents contractuels.

Pour les amoureux du droit public, cela ne manque pas d'intérêt : alors que, pendant un siècle et demi, les collectivités ont aspiré à un statut dérogatoire, comme l'ensemble de l'administration française, nous assistons aujourd'hui à un retour du balancier, les collectivités demandant à être traitées comme M. Tout-le-Monde et à bénéficier du droit commun.

Pour autant, les collectivités sont-elles victimes d'un traitement discriminatoire lorsqu'elles commettent des erreurs ? La réponse est négative, je l'ai vérifié auprès du monde social ou de l'administration fiscale. Cela s'explique par le fait qu'il existe des textes spéciaux et des dispositions particulières en matière fiscale et sociale prévoyant des modalités de régularisation. La loi ESSoC les a élargies et a, en outre, prévu des conditions d'extension des modalités de régularisation jusqu'au moment du contrôle fiscal. Elles bénéficient également des mêmes modalités de régularisation pour l'Urssaf et les organismes sociaux. Un décret a été publié en ce sens le 11 octobre 2019, réécrivant certains articles de la partie réglementaire du code de la sécurité sociale afin de développer les modalités de régularisation. Ainsi, lorsqu'un cotisant régularise dans les délais, il ne se voit pas infliger de majoration ou d'indemnités de retard. L'Urssaf comme l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) font application de ce décret aux collectivités locales sans réserve.

Par ailleurs, dans certaines dispositions que nous avons adoptées en fin d'année dernière et qui ont été promulguées in extremis, vous avez créé un rescrit préfectoral, qui permet de réduire les risques d'erreur pour les collectivités territoriales.

Du point de vue pratique, il est donc difficile de dire que les collectivités territoriales ne bénéficient pas d'un droit à l'erreur ; celui-ci leur est appliqué en matière sociale et fiscale, quand elles sont des usagers.

Toutefois, la vie est aussi faite de symboles et le Sénat, comme représentant des territoires, peut prêter attention à l'idée d'inscrire dans la loi ce droit à l'erreur, même si les collectivités en bénéficient déjà dans les faits.

Selon que vous serez attachés aux symboles ou que vous vous souviendrez de Portalis exigeant que la loi ne soit pas trop bavarde, vous ferez votre choix. Quant à moi, je vous suggère de retenir la valeur des symboles.

Si vous le faites, il vous faudra alors éviter de prêter le flanc au reproche, émis par le Gouvernement lors des discussions précédentes, de créer une confusion dans le CRPA entre la forme administrative d'une collectivité et son statut d'usager. Je vous propose d'oublier le CRPA et de prévoir un droit à l'erreur autonome pour les collectivités territoriales inscrit dans leur propre code : le code général des collectivités territoriales (CGCT).

En outre, je propose de nous garder de ne considérer que les seules communes et de décider qu'une telle mesure a vocation à concerner toutes les collectivités territoriales et leurs groupements, départements, régions, etc. Les départements, en particulier, ont eu la courtoisie de nous dire que cela pouvait être intéressant, notamment pour les plus modestes d'entre eux, qui ne disposent pas toujours de service juridique d'envergure.

Ensuite, je vous propose de ne pas faire de bêtise, c'est-à-dire d'éviter de priver les collectivités territoriales, du fait d'une rédaction générale, de mesures existantes qui leur sont favorables. Nous pourrions faire cela par voie d'amendement selon deux axes, d'une part, en décidant que ne devront être applicables aux collectivités territoriales que les dispositions spéciales offrant une protection au moins équivalente aux dispositions générales que nous créons ; d'autre part en reprenant les exceptions existantes dans le CRPA, qui concernent notamment les sanctions en matière de droit de l'Union européenne ainsi que de méconnaissance des règles en matière de santé publique ou de sécurité des personnes. Si vous me permettez cette expression diplomatique, le premier axe revient à appliquer aux collectivités territoriales une « clause de la nation la plus favorisée ».

Enfin, dans le CRPA, ces mesures s'appliquent quand M. et Mme Tout-le-Monde commettent une erreur « pour la première fois ». Cette notion nous paraît compliquée à appliquer aux collectivités territoriales, car il nous semble difficile, malgré le principe de continuité, de les rendre comptables de ce qui aura été fait parfois des années auparavant. En outre, dans le cas des communes nouvelles, par exemple, nous ne voyons pas comment leur opposer les actes de chacune des communes qui les précédaient. Nous avons donc choisi de supprimer purement et simplement cette notion en ce qui concerne les collectivités.

Pour terminer, il me revient d'expliciter le champ d'application de la proposition de loi pour permettre le dépôt d'amendements de séance ne contrevenant pas à l'article 45 de la Constitution. Le champ de cette proposition de loi se limite donc aux relations entre, d'un côté, les collectivités et leurs groupements et, de l'autre, les administrations de l'État, ses établissements publics administratifs et les organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d'une mission de service public administratif.

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