Je vous remercie à mon tour de nous avoir invitées à présenter ces résultats devant vos délégations. Nous les présentons dans leur ensemble pour la première fois. En effet, jusqu'à présent, chaque territoire n'a eu accès qu'aux chiffres qui le concernaient.
Ces territoires possèdent des histoires et des contextes sociopolitiques différents : nous nous gardons donc pour l'instant de toute comparaison, la comparaison ne valant pas toujours raison ! Il ne s'agit pas d'établir un classement entre ceux qui font état de plus ou moins de violences envers les femmes. La réalité est bien plus complexe.
Notre présentation porte sur les violences subies durant les douze derniers mois précédant l'enquête dans les différentes sphères de vie et pas seulement dans la sphère conjugale, car il importe de montrer que les femmes subissent des violences dans tous les aspects de leur vie, que ce soit dans les lieux publics, au travail ou dans le couple.
Outre les aspects scientifiques en termes d'apports de connaissances, il s'agissait aussi de pouvoir, notamment à travers des présentations en préfectures, sensibiliser et orienter l'action publique. Sur le travail par exemple, domaine dans lequel des lois existent déjà, comment peut-on progresser ? Sur quelle profession faut-il davantage faire porter les actions de sensibilisation ?
Aucune étude ne s'était encore intéressée aux violences de genre dans la sphère professionnelle dans ces territoires. Les enjeux de l'Enveff étaient essentiellement de fournir des chiffres sur les violences conjugales. Ainsi, présenter des données précises sur le travail était une manière pour nous de montrer les types et l'ampleur des violences subies dans ce domaine.
L'indicateur global des violences au travail prend en compte le fait pour les femmes d'avoir subi au moins un fait de violence au cours des douze derniers mois.
Le travail constitue une sphère où la question même des violences est sans doute le moins acceptable. Les personnes engagées dans un contrat de travail ne sont pas censées en subir, et même si c'est le cas - d'ailleurs pas forcément du fait de l'employeur - ce dernier est tenu d'assurer la sécurité de ses employés. Dans ce contexte, un seul fait de violence est déjà un fait de trop. Or, un tiers des femmes ont subi des violences dans l'ensemble des territoires et, comme en métropole, ce sont les violences psychologiques qui sont les plus déclarées dans le cadre du travail.
Parmi ces violences psychologiques, sur lesquelles portait le nombre le plus important de questions, les faits les plus souvent relatés sont les mêmes dans les trois territoires : critiques injustifiées, sentiment d'humiliation et de mise à l'écart, et modification abusive de l'organisation du travail.
Comme en métropole, les violences psychologiques sont surtout exercées sur les cadres. Elles concernent les femmes et les hommes, mais parmi les femmes, la catégorie « Femmes de la fonction publique de l'État » - les femmes de la fonction publique territoriale déclarant moins de violences - est davantage concernée. Ces données nous ont permis de sensibiliser le personnel des préfectures à cette réalité. Le harcèlement moral fait parler de lui depuis déjà un certain nombre d'années. Il convient néanmoins de rappeler que les supérieurs hiérarchiques n'en sont pas les seuls auteurs. En Guadeloupe notamment, les collègues exercent autant de violences psychologiques que les supérieurs hiérarchiques. Quant aux violences physiques, elles sont relativement faibles. Il existe toutefois des catégories d'emplois plus touchées que les autres, notamment les femmes travaillant dans la santé et le travail social, qui accusent une prévalence des violences physiques plus forte que les autres dans le contact avec des tiers.
J'en viens au harcèlement sexuel, dont l'indicateur comprend les propositions sexuelles insistantes et le fait de se trouver dans un cadre de travail où sont proférés des propos sexistes ou sexuels qui mettent les déclarantes particulièrement mal à l'aise.
Le harcèlement sexuel concerne 3 % des femmes à La Réunion, équivalent à la métropole, 4 % en Guadeloupe et 5 % en Martinique.
L'enquête ne dénombre quasiment pas de viol ou de tentatives de viol dans les violences recensées, mais beaucoup d'attouchements des seins et des fesses, de baisers forcés.
Les auteurs de harcèlement sexuel sont principalement des collègues.
Après les collègues, la catégorie des usagers et des clients comporte le plus grand nombre d'auteurs de harcèlement sexuel, puis viennent enfin les supérieurs hiérarchiques.
Pour La Réunion et la Martinique, la comparaison est possible avec l'Enveff, puisqu'une enquête avait été réalisée en 2002 à La Réunion et en 2008 en Martinique. Les chiffres en Martinique sont particulièrement intéressants car ils démontrent une baisse du harcèlement sexuel de la part de supérieurs hiérarchiques, passant de 30 % à 16 % en 2018 alors que la part des auteurs parmi les collègues a dépassé les 40 %. Cette évolution témoigne de l'effort de sensibilisation des supérieurs hiérarchiques cette dernière décennie mais du faible impact du changement de la définition du harcèlement sexuel depuis la loi du 6 août 2012 qui n'est plus seulement caractérisée par une pression exercée par l'autorité hiérarchique. Manifestement les collègues semblent ignorer le cadre de la loi.
Les catégories de femmes qui font le plus état de faits de harcèlement sexuel sont les jeunes femmes, les femmes des professions intermédiaires de la santé et du travail social et les femmes cadres. Ces dernières cumulent violences psychologiques et harcèlement sexuel, qu'elles travaillent dans la fonction publique ou le secteur privé. 10 % de femmes cadres, donc une femme sur dix, déclarent du harcèlement sexuel sur les trois territoires. Les femmes de la fonction publique concernées vivent pour la plus grande part en Martinique et à La Réunion, un peu moins en Guadeloupe. Ces différences s'expliquent par les conditions de travail et d'emploi des femmes en fonction des territoires. Quant aux femmes des professions intermédiaires de la santé et du travail social, elles déclarent presque le double de faits de harcèlement sexuel sur l'ensemble des territoires.
Des spécificités ont été relevées aux Antilles : en Martinique, les femmes travaillant à leur compte déclarent davantage de harcèlement sexuel. Il s'agit d'une particularité liée au contexte de travail, puisque l'entreprenariat féminin en Martinique, comparativement à la métropole, est plus important ; dans le secteur du commerce en Guadeloupe, on compte deux fois plus de harcèlement sexuel que dans les autres catégories professionnelles.
Abordons maintenant les violences subies par les femmes au sein du couple au cours des douze derniers mois.
La difficulté, pour mesurer les violences dans la sphère privée, réside dans la différenciation entre ce qui relève de l'ordre du conflit et ce qui relève des violences conjugales.
Comme dans l'enquête Enveff, les violences psychologiques - faits répétitifs de dénigrement, jalousie, contrôle, etc. - sont les plus observées au sein des couples. Pour caractériser le harcèlement au regard de l'indicateur de violences conjugales, les faits de violences psychologiques doivent posséder un caractère répétitif marqué, avec un cumul de différents faits.
Les chiffres sont inquiétants, notamment en Guadeloupe qui se distingue nettement des deux autres territoires avec 36 % de violences psychologiques et 17 % de harcèlement.
L'enquête posait des questions adjacentes sur les sujets de disputes, les raisons de celles-ci et le fait d'en être venu aux mains. C'est en Guadeloupe que les deux partenaires en viennent le plus souvent aux mains lors des conflits.
Par ailleurs, 3 % de violences physiques ont été déclarées à La Réunion et en Martinique, 4 % en Guadeloupe.
Nous avons tenté de construire un indicateur qui puisse détecter les femmes en situation de violences conjugales. Sont considérées comme en situation de violences conjugales toutes les femmes ayant déclaré des violences physiques et sexuelles, mais également celles qui ont fait état de violences psychologiques répétées et qui les jugent particulièrement graves - une question subjective concernait en effet la gravité ressentie.
15 %, 18 % et 19 % des femmes subissent des violences conjugales respectivement à La Réunion, en Martinique et en Guadeloupe. L'indicateur de violences conjugales de ces deux derniers territoires est donc relativement proche.
Les facteurs associés des déclarations de violences conjugales sont pour l'essentiel les mêmes qu'en métropole. Il n'existe pas de profil type de femmes victimes ou d'hommes auteurs. Le premier facteur est associé au moment de la séparation. Si deux partenaires se séparent, c'est généralement qu'ils sont en situation de conflit : celui-ci peut parfois dégénérer en violences au moment de la séparation. Ainsi, pour les femmes séparées au cours de l'année, les indicateurs de violences conjugales sont multipliés par deux, et notamment des violences physiques qui représentent le triple de la moyenne. Les violences les plus graves, comme les menaces de mort ou les tentatives de meurtre, ne sont déclarées que par les femmes qui se sont séparées dans l'année, et sont donc liées au cadre de la séparation.
Ce sont les femmes les plus jeunes qui déclarent le plus de violences et qui les cumulent davantage, qu'elles soient physiques, sexuelles et/ou psychologiques. Ensuite viennent les femmes dites inactives - ce ne sont pas les femmes au chômage, mais celles qui ne recherchent pas d'emploi - dont l'indicateur de violences conjugales dépasse la moyenne. Plusieurs observations doivent toutefois être faites.
À La Réunion, les femmes inactives qui ont déjà travaillé auparavant se caractérisent par un indicateur de violences conjugales plus élevé que les femmes inactives qui n'ont jamais travaillé. Ce constat semble lié à une modification des rapports de genre, la quête d'autonomie des femmes et de remise en cause de leur place au sein du couple qui peut introduire davantage de conflits et parfois de situations de violences.
Aux Antilles, on observe plutôt l'impact de la situation économique, de la précarité. Lorsque la femme est inactive et l'homme en emploi, l'indicateur de violences conjugales est plus faible que la moyenne. En revanche, lorsque les deux sont inactifs, l'indicateur de violences conjugales concerne quasiment le tiers des femmes, passant de 18 % à 31 %. Il est également observé que l'asymétrie des situations peut engendrer davantage de violences. Lorsque la femme est en emploi et que l'homme est inactif, l'indicateur de violences conjugales s'élève à 33 % en Martinique.
Sur la question de facteurs associés aux risques de violences conjugales spécifiques aux Antilles, le pluripartenariat masculin - qui se définit par le fait, pour un homme, d'avoir plusieurs partenaires en même temps, à différencier du fait d'avoir plusieurs partenaires successivement dans l'année, comme l'Enveff l'avait déjà souligné en 2008, est un facteur aggravant des violences conjugales. Pour les femmes qui se disent sûres que leur partenaire entretient des rapports sexuels avec une autre femme, ou pour celles qui nourrissent de fortes présomptions, l'indicateur de violences conjugales dépasse les 30 % - bien au-dessus de la moyenne de 18 % ou 19 % - avec des violences physiques qui triplent et qui atteignent jusqu'à 11 % dans le cas de la Guadeloupe.
Enfin, l'indicateur de violences conjugales s'élève à 27 % et 28 % pour les femmes qui ont déclaré des difficultés connues dans l'enfance et l'adolescence, qu'elles aient été victimes ou qu'elles aient assisté à des violences entre leurs parents : punitions injustes, coups, scènes de tensions particulièrement fortes entre leurs parents.
Stéphanie Condon va maintenant évoquer les violences subies par les femmes dans les lieux publics au cours des douze derniers mois.