Intervention de Stéphanie Condon

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 12 décembre 2019 : 1ère réunion
Audition de mmes stéphanie condon directrice scientifique et sandrine dauphin directrice de projet sur les premiers résultats de virage dans les outre-mer en guadeloupe et en martinique

Stéphanie Condon, directrice scientifique de l'enquête Virage dans les Outre-mer à l'Ined :

Il convient tout d'abord de préciser que le terme de « lieux publics » recouvre tous les lieux qui ne sont réservés ni au couple ni à la sphère professionnelle. Il s'agit de lieux que nous pouvons traverser en nous rendant au travail ou à d'autres activités, par exemple pour faire les courses, mais aussi pour des moments de détente ou de loisir. Il s'agit donc d'espaces très larges, où l'on peut croiser des personnes connues ou non.

Depuis les premières enquêtes, nous posons un certain nombre de questions qui permettent de déceler des types d'actes survenant dans ces espaces et qui peuvent être qualifiés de violents. Contrairement à la sphère professionnelle ou conjugale, peu de lois permettent la prise en compte des actes de violence commis dans ce contexte, en dehors des cas de violences physiques. Les actes de harcèlement sexiste, par exemple, sont souvent banalisés. Cependant, on observe depuis quelques années une mobilisation politique pour qu'ils soient dénoncés et sanctionnés, afin que les femmes puissent circuler librement dans les espaces publics sans se faire importuner ou agresser.

Les violences susceptibles de survenir dans l'espace public recouvrent également les violences verbales et physiques. Lors des phases préparatoires de l'enquête en Guadeloupe, les acteurs de terrain rencontrés avaient attiré notre attention sur ces agissements, souvent considérés comme de simples conflits, alors que certains peuvent être réellement violents. Ce sont des actes qui blessent, qui humilient, voire qui effraient.

L'indicateur global des violences perpétrées dans cette sphère implique qu'au moins un fait ait été subi au cours de l'année avant l'enquête. Dans cet indicateur global s'inscrit aussi le fait d'être sifflée ou interpellée sous prétexte de drague. Ces actes sont considérés comme sans gravité par la plupart des femmes - 7 % d'entre elles les estiment graves - mais ces attaques participent à une ambiance sexiste et menaçante pour les femmes.

Parmi les autres indicateurs se trouvent :

- les insultes, qui correspondent davantage aux violences verbales et qui peuvent aussi inclure des propos sexistes et racistes. Elles concernent plus d'une femme sur deux aux Antilles ;

- le harcèlement, qu'il faut distinguer des interpellations sous prétexte de drague. Le harcèlement recouvre le fait d'être suivie avec insistance ou d'avoir subi des propositions sexuelles insistantes malgré le refus opposé. 10 % et 14 % des femmes en Guadeloupe et en Martinique - soit une femme sur dix - disent avoir été confrontées à ces situations au cours de l'année, souvent plusieurs fois dans l'année. Ce fait mérite donc d'être considéré avec sérieux ;

- les violences physiques, comme dans les autres sphères de la vie, ne sont pas les actes les plus fréquents, mais sont déclarées par 3 % des femmes dans les deux territoires ;

- les violences sexuelles recouvrent le fait de subir dans des lieux publics des attouchements des fesses ou des seins, des baisers forcés et des tentatives de viol ou des viols. Ces violences touchent 4 % des femmes, soit une femme sur vingt-cinq.

Dans cette sphère où les auteurs peuvent être une diversité de personnes, ils sont quasiment tous des hommes. S'agissant du harcèlement et des violences sexuelles, les auteurs sont exclusivement des hommes. En revanche, les auteurs de violences verbales ou physiques peuvent être aussi des femmes.

Les violences se déroulent en général dans un contexte d'interconnaissance. Selon les types de violences, les femmes disent connaître ou reconnaître l'auteur des faits presque deux fois plus que dans l'Hexagone.

Contrairement à la représentation que l'on s'en fait, les violences dans les lieux publics ne sont pas réservées à des moments liés à la vie nocturne. Pour sept femmes victimes sur dix, elles surviennent régulièrement dans des lieux fréquentés, le plus souvent dans la journée.

Les femmes les plus concernées par ces types d'actes sont, comme dans les autres sphères de la vie, les jeunes femmes, davantage victimes de propositions sexuelles insistantes et d'autres formes de harcèlement sexiste et sexuel.

Les femmes en emploi ou à la recherche d'un emploi, qui circulent davantage dans les lieux publics, sont davantage les cibles de violences que les femmes inactives.

Enfin, nous avons commencé à étudier un dernier facteur souligné lors de l'enquête de 2008 : les femmes nées en métropole déclarent nettement plus de faits de violences dans les lieux publics que les femmes natives de ces territoires. Une différence d'approche dans l'appréhension de ces lieux publics semble en cause, car il s'agit de femmes socialisées en métropole qui ont l'habitude de sortir seules, à tout moment de la journée (malgré une perception de risques de subir des actes de violence), voire de participer à des activités de loisirs après la tombée de la nuit. Dans le cadre de l'enquête, aux questions « Avez-vous avez l'habitude de sortir le soir ? », et « Avez-vous peur de sortir ? », ces femmes déclarent beaucoup moins souvent qu'elles ont peur de sortir le soir et répondent plus fréquemment qu'elles ont l'habitude de sortir seules le soir.

Nous avons l'ambition de produire dans les mois qui viennent des publications sur les violences subies par les jeunes. Ce travail a déjà été entamé et encouragé lors de la restitution des résultats à la Martinique, qui a coïncidé avec le lancement de la campagne. Celle-ci mettait l'accent sur les jeunes femmes victimes de violences et nous avons pu partager les premiers résultats. Il s'agit d'une thématique importante, trop souvent mise de côté, et qu'il faut valoriser.

Nous avons également entamé un travail sur les violences intrafamiliales. Nous nous sommes engagées à retourner dans ces territoires pour présenter ces résultats et échanger avec les acteurs et les professionnels dans ce domaine. Des travaux ont aussi commencé avec les observatoires régionaux de la santé et deux collègues spécialisées dans les questions des violences et leurs incidences sur la santé.

Enfin, pour répondre à des préoccupations croissantes, nous allons également contribuer à une étude sur la question des violences et des migrations.

En attendant, vous pouvez déjà trouver les documents qui présentent de façon détaillée les résultats de ces trois premières exploitations. Il existe aussi des synthèses et des résultats que nous avons transmis lors des restitutions, disponibles dans divers formats.

Nous sommes à votre disposition pour répondre à vos questions.

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