Intervention de Victoire Jasmin

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 12 décembre 2019 : 1ère réunion
Audition de mmes stéphanie condon directrice scientifique et sandrine dauphin directrice de projet sur les premiers résultats de virage dans les outre-mer en guadeloupe et en martinique

Photo de Victoire JasminVictoire Jasmin :

Madame la présidente, Monsieur le président, je vous remercie une fois de plus pour cette réunion conjointe des deux délégations et je salue le travail réalisé par Mmes Dauphin et Condon.

J'ai participé à la réunion initiée par le préfet de la Guadeloupe le 25 novembre 2019. Beaucoup d'associations ont assisté à une première présentation des travaux. Je tiens à féliciter les chercheurs qui ont contribué à cette enquête pour la qualité de leur travail, qui reflète parfaitement la réalité. Venant de Guadeloupe, et ayant participé en janvier dernier à un colloque en Martinique avec l'association Prospective, je peux confirmer que les situations des deux territoires sur le sujet qui nous concerne sont quasiment les mêmes. Je tiens à saluer d'autant plus ce travail qu'un féminicide a été commis cette semaine en Guadeloupe. Une jeune femme de trente-huit ans, mère de deux enfants de huit et treize ans, a été retrouvée égorgée à son domicile par sa fille revenant de l'école. La victime est morte des suites de cette agression perpétrée par son conjoint, qui s'est suicidé par pendaison. Le sujet des violences faites aux femmes est donc plus que jamais d'actualité, et c'est insupportable de se retrouver encore aujourd'hui, malgré toutes les initiatives prises, confronté à ce genre de drame.

Je tiens à vous remercier une fois de plus, Madame la présidente, vous qui m'entendez très souvent évoquer devant la délégation aux droits des femmes la réalité de nos territoires, de vous être rendue sur place il y a quelques mois. Vous avez pu vous rendre compte de la capacité des femmes de ce territoire à se mobiliser. Une réunion qui devait durer deux heures à peine s'est prolongée pendant trois heures : chacune voulait participer, s'exprimer.

Je tiens à souligner que ces résultats démontrent l'intérêt de nos travaux et l'urgence de dégager des pistes opérationnelles. À cette date, nous dénombrons 142 féminicides en France pour l'année 2019. Il est insoutenable que, malgré tous les travaux du Grenelle et toutes les manifestations du 25 novembre, ici et dans pratiquement tous les départements d'outre-mer, cette jeune femme ait été tuée.

J'ai également remarqué concernant les violences psychologiques, que ce soit au travail ou dans les couples, que les taux sont importants. Cette situation est anormale. Il serait intéressant également d'établir des statistiques sur les femmes politiques prises pour cibles sur les réseaux sociaux. Pour parler de mon cas, lorsque je me rends à une manifestation festive dans mon territoire, je parle avec mon coeur : il y a des gens que ça dérange et qui publient des choses sur les réseaux sociaux ensuite.

J'ai été cadre et si je n'ai pour ma part pas subi de véritables pressions, je sais que ces violences existent. Les femmes cadres les dénoncent beaucoup plus facilement parce qu'elles ont la capacité de s'exprimer et ne sont pas dépendantes économiquement. Les femmes qui se retrouvent sans travail deviennent brusquement sans ressources et dépendantes. Elles subissent de ce fait plus d'agressions. Il existe aussi des femmes qui ne travaillent pas : ce contexte socio-économique explique peut-être qu'elles soient plus exposées aux violences. Mais cela ne justifie en rien, chez nous comme ailleurs, cette façon de traiter les femmes.

Récemment, nous avons examiné une proposition de loi visant à lutter contre les violences éducatives. J'en ai parlé à la préfecture de Guadeloupe parce que nous avons vu à travers les propos d'une chercheuse qui a contribué à vos travaux, Stéphanie Mulot, professeure de sociologie, que certains parents estiment devoir frapper l'enfant pour lui inculquer des leçons. Pourtant, l'enfant peut comprendre si on lui explique sans qu'il soit nécessaire de lui donner des coups. Or on constate que les filles ayant reçu des coups quand elles étaient enfants sont plus souvent aussi confrontées à des violences conjugales arrivées à l'âge adulte. Ce n'est pas normal, malgré toutes les actions mises en oeuvre par les associations, par les services de l'État et dans le cadre de politiques publiques, que tant de travail reste encore à faire. Rien ne peut justifier qu'autant de femmes soient victimes de violences, que ce soit dans l'espace public, dans la fonction publique de l'État ou ailleurs.

Concernant les remarques formulées sur les violences subies en outre-mer par des femmes nées dans l'Hexagone, il faut dire que dans les petits territoires ultramarins, tout le monde se connaît ; les personnes issues de métropole se font statistiquement plus fréquemment agresser parce que leur mentalité est différente. N'ayant pas subi la pression de l'environnement proche, elles sont beaucoup plus autonomes et indépendantes et ne possèdent pas les prérequis de ceux qui ont toujours vécu dans le territoire.

Je tiens à féliciter une fois de plus Mmes Condon et Dauphin et à remercier le président Michel Magras et la présidente Annick Billon pour les occasions qu'ils nous donnent d'échanger avec nos collègues sur ces sujets qui me tiennent particulièrement à coeur.

L'enquête n'a pas donné lieu à des études comparatives entre les territoires car, comme vous l'avez dit, il ne s'agit pas d'établir des comparaisons. Mais il va falloir à un moment donné travailler de façon ciblée en fonction des particularités locales.

Mes chers collègues, vous m'avez souvent entendue évoquer la réalité de nos territoires au cours de réunions alors que nous ne disposions pas forcément de chiffres ou de ressources scientifiques. Maintenant que ces données existent, vous voyez qu'il reste encore beaucoup à faire chez nous.

Je vous remercie pour ce travail et pour tout ce que nous allons pouvoir faire ensemble désormais.

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