La proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à lutter contre le mitage des espaces forestiers en Île-de-France, a pour but de pérenniser une expérimentation lancée le 28 février 2017. Le Sénat avait proposé cette initiative au cours de la discussion du projet devenu loi du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l'aménagement métropolitain. Prévu pour une durée de trois ans, le dispositif expérimental a démontré son utilité sur le terrain mais il arrive bientôt à son terme, et il risque de s'éteindre si le législateur n'intervient pas pour le pérenniser.
C'est l'objet du texte. Il s'agit de protéger la forêt francilienne, poumon vert de la région la plus densément peuplée de l'hexagone, particulièrement exposée au phénomène de mitage forestier. Concrètement, des parcelles de petite taille sont vendues, pour un prix élevé, à des particuliers, et font ensuite l'objet d'un usage non conforme à leur vocation naturelle ou à leur classement dans les documents d'urbanisme. Il en résulte un processus de « cabanisation ».
Le mécanisme retenu pour contrecarrer cette évolution a été de créer un droit de préemption de petites parcelles forestières - moins de trois hectares - situées dans des zones bien délimitées, au profit de la seule Société d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) d'Île-de-France.
Pour satisfaire les exigences constitutionnelles, le législateur a choisi en 2017 d'adopter un dispositif expérimental, conformément à la méthode définie par l'article 37-1 de la Constitution et aux conditions posées par la jurisprudence. Notre droit admet ainsi certaines dérogations au principe d'égalité sous réserve de leur caractère explicite, de leur limitation dans le temps et de la réalisation d'un bilan de l'expérimentation. Le délai butoir de ce dispositif est la fin du mois de février prochain.
Les députés ont examiné ce texte en commission des affaires économiques puis l'ont adopté le 28 novembre en procédure simplifiée. La perspective d'un élargissement du périmètre du dispositif ou d'un assouplissement de ses critères d'application a été écartée. À l'initiative de la rapporteure Aude Luquet, un texte identique au droit en vigueur a été adopté par les députés - en supprimant, bien entendu, le délai d'expérimentation de trois ans - ce qui permet d'écarter le risque de non-conformité à la Constitution.
Le succès de l'expérimentation est le critère fondamental pour nous permettre d'évaluer le bien-fondé d'une pérennisation. C'est également une condition de validité essentielle selon le juge constitutionnel : celui-ci vérifie, en effet, que la pérennisation ou la généralisation d'un dispositif dérogatoire repose bien sur une évaluation solide et convaincante de sa mise en oeuvre. Or le bilan de la mise en oeuvre du nouveau droit de préemption démontre bien la nécessité de pérenniser le dispositif. En effet, cette mesure législative a été activée environ 200 fois au cours des trois dernières années. Dans une centaine de cas, elle a permis à elle seule d'éviter des cessions de parcelles qui risquaient d'aggraver le mitage de la forêt francilienne, conformément à la volonté du législateur. La mise en oeuvre de ce droit a concerné des parcelles de très petite surface, ce qui minimise d'éventuelles atteintes aux droits des propriétaires forestiers et permet de lutter contre le morcellement excessif de la forêt francilienne. Enfin, notre droit ne comporte pas d'outils alternatifs d'une efficacité préventive comparable car, lorsqu'une parcelle est vendue, illégalement défrichée et artificialisée, il est particulièrement difficile, et souvent trop tard, pour intervenir en préservant l'intégrité des espaces boisés franciliens.
S'agissant de la conformité juridique de ce texte, qui ne s'applique que sur une portion du territoire hexagonal, on peut d'abord citer, comme précédent, la décision du Conseil constitutionnel qui a validé la création d'une taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux en Île-de-France. Le juge a pris en considération les « difficultés spécifiques » qui se manifestent sur ce territoire « avec une acuité particulière ». D'autre part, un récent arrêt Conseil d'État indique que la pérennisation locale d'une expérimentation n'est pas incompatible avec le droit en vigueur si elle est justifiée par une différence de situation.
Pour justifier la nécessité d'un dispositif spécifique à la forêt francilienne, il convient de rappeler que celle-ci est trois fois plus morcelée que dans l'ensemble de l'hexagone, avec des parcelles d'une superficie moyenne d'un hectare, ce qui affaiblit son potentiel de gestion et de protection. Sa superficie de 261 000 hectares correspond à un taux de boisement de 21 % pour l'Île-de-France, contre 31 % en moyenne ailleurs en France, mais cet espace forestier doit être d'autant plus préservé qu'il bénéficie à 12 millions d'habitants, dans la région la plus densément peuplée de l'hexagone.
Je préconise donc l'adoption conforme de la proposition de loi pour pérenniser ce texte opérationnel et utile. Je souligne que toute modification, y compris de l'intitulé, impliquerait de repartir en « navette », au risque de voir s'enliser la procédure. Afin de garantir aux acteurs de terrain la lisibilité et la stabilité juridique dont ils ont besoin, je préconise une adoption conforme de ce texte.