Intervention de Olivier Roy

Commission d'enquête Combattre la radicalisation islamiste — Réunion du 7 janvier 2020 à 13h35
Audition de M. Olivier Roy professeur au robert schumann centre for advanced studies de l'european université institute de florence italie

Olivier Roy, professeur au centre Robert Schuman de l'Institut européen de Florence :

Je me suis peut-être mal exprimé : ce que j'ai regretté, c'est l'absence d'une politique de la ville. On ne s'appuie pas sur les acteurs locaux que sont les maires et les sous-préfets. La politique de la ville apparaît toujours comme imposée de l'extérieur. Cela fait quarante ans que je vis à Dreux : le maire est au pouvoir depuis bientôt trente ans, alors que le sous-préfet change tous les deux ou trois ans. En outre, il n'y a pas de tuilage entre deux sous-préfets : pour que l'un puisse être nommé, il faut que l'autre ait quitté son poste. Les imams s'en plaignent : tel sous-préfet viendra les consulter, alors que le suivant les ignorera ou les traitera de salafis... L'absence totale de continuité dans les sous-préfectures pose problème. L'État doit reprendre une place politique dans les quartiers.

Les maires essayent d'éviter les problèmes : ils jouent un rôle de modérateur, sans toucher au fond du problème. Ils ont besoin de leaders communautaires pour négocier : ils en rajoutent donc dans la communautarisation, tout en dénonçant dans leur discours le risque que cela peut entraîner...

Il faut renforcer le rôle des sous-préfets et leur permettre de rester plus longtemps. Mais ce type de poste n'est pas valorisant.

J'ai évoqué la radicalisation djihadiste, laquelle ne se fait pas dans les mosquées, contrairement à la radicalisation religieuse, salafiste. On ne passe pas de la mosquée salafie à l'attentat terroriste. Parmi les 150 djihadistes français, il n'y avait pratiquement aucun « pilier de mosquée », fréquentant de manière assidue et sur une longue période ce lieu. Salah Abdeslam est considéré comme un produit de l'incubation salafiste de Molenbeek, mais les frères Abdeslam tenaient un bistrot où l'on vendait de la bière au comptoir et du haschich derrière : quel rapport avec le salafisme ? On évoque la taqiya, mais ils faisaient figurer des drapeaux de Daech sur leur page Facebook... Il n'est pas vrai que plus on est salafiste, plus on est djihadiste. Néanmoins, vous avez raison, il y a une radicalisation religieuse, mais il faut bien voir qu'elle recouvre des situations très diverses.

En ce qui concerne le voile, les jeunes filles le portent, car leurs parents leur imposent. Des études sont en cours sur la déhijabisation des 25-30 ans. Il faut s'intéresser aux itinéraires individuels pour voir les évolutions de la société. Ce que j'affirme c'est que s'il y a de plus en plus de femmes qui portent le voile, de plus en plus prennent la décision de ne plus le porter.

Le séparatisme n'est pas une volonté de fait. Le quartier se sépare parce que, j'y insiste, l'État en est parti et qu'il y a des tensions entre des groupes qui n'ont pas grand-chose à voir. Deux phénomènes sont parallèles et concomitants : la structuration du marché de la drogue dans certains quartiers et l'existence de mosquées salafies. Il n'y a pas un acteur qui pense le séparatisme. D'ailleurs, on ne s'intéresse pas aux personnes qui oeuvrent contre le séparatisme, notamment les mères de famille, qui participent aux sorties scolaires.

Il faut repérer les acteurs favorables à une resocialisation, parmi lesquels on trouve des religieux - des croyants à titre individuel, des imams, etc. Il faut trouver des relais et travailler politiquement. Autrefois, les partis politiques ou les syndicats jouaient ce rôle.

Il convient de travailler sur l'exégèse et ne pas considérer cette question sous le prisme de la minorité radicalisée. Au contraire, la clé est de toucher la majorité non radicalisée. Cela aura des conséquences électorales. Soit on ne voit pas les intermédiaires potentiels, soit on les récuse.

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