Intervention de Jean-Michel Blanquer

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 8 janvier 2020 à 16h30
Réforme du baccalauréat — Audition de M. Jean-Michel Blanquer ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et de Mme Frédérique Vidal ministre de l'enseignement supérieur de la recherche et de l'innovation

Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse :

C'est avec un grand plaisir que nous répondons à votre invitation. Nous partageons, avec la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, la même vision de ce qu'on appelle parfois le continuum bac-3/bac+3. C'est dans ce cadre que s'inscrit la réforme du bac. Il s'agit d'atténuer la fameuse césure qui suit le baccalauréat et qui est à l'origine d'un scandale français auquel nous voulons mettre fin, à savoir l'échec des étudiants à l'université, encore trop important.

Cet échec est un gâchis dont personne n'est responsable en apparence. Le système mis en place ces dernières années, ces dernières décennies, fait de l'entrée dans l'enseignement supérieur une sorte d'heure de vérité. Or les jeunes n'ont pas été préparés à la réussite au cours des années précédentes. Ce constat d'échec dans l'enseignement supérieur prend évidemment racine dans l'enseignement scolaire, raison pour laquelle nous avons décidé de prendre ce problème à bras-le-corps.

Cette réforme du baccalauréat est aussi une réforme du lycée. Nous allons principalement évoquer la réforme du lycée général et du lycée technologique, mais elle s'accompagne aussi d'une réforme extrêmement importante de la voie professionnelle qui vise à préparer la réussite postérieure des bacheliers professionnels soit par l'insertion professionnelle, soit par un parcours dans l'enseignement supérieur (pour près de la moitié d'entre eux maintenant). Tout cela suppose de bien préparer les élèves à ce qui les attend dans l'enseignement supérieur.

Nous voulons triplement créer de la confiance : confiance dans les jeunes de notre pays en leur offrant davantage de choix, confiance dans les professeurs pour un meilleur approfondissement des disciplines avec les élèves, confiance aussi dans les chefs d'établissements et les équipes pour la réussite et l'organisation du nouveau système.

Nous avons entendu beaucoup de choses sur cette réforme. Il me semble important de rappeler le sens de notre action : en préparant l'élève au baccalauréat, nous voulons le préparer à la réussite, lui permettre d'acquérir des compétences qui seront décisives dans sa vie professionnelle et dans sa vie au sens large. Le baccalauréat ne doit plus être perçu comme artificiel. L'instauration, par exemple, d'un grand oral au terme des épreuves du baccalauréat vise à développer dans l'ensemble de notre système scolaire des compétences d'expression orale parfois insuffisantes aujourd'hui.

La réussite des élèves passe à la fois par le plaisir d'apprendre, par une liberté de choix - je reviendrai sur cet aspect au travers des enseignements de spécialité - et par une capacité d'approfondissement. Nous sommes partis de l'idée que la liberté de choix mettait l'élève dans les meilleures dispositions : on approfondit toujours davantage les matières que l'on aime.

Nous assumons totalement l'ambition de notre programme : la refonte de l'ensemble des programmes du lycée général, technologique et professionnel traduit un plus haut niveau d'exigence. Nous l'assumons d'autant plus que nous devions réagir face aux affaissements de niveau des nouveaux étudiants souvent constatés dans l'enseignement supérieur. Le contrôle continu participe de cette stratégie. Il s'agit de faire travailler de façon plus continue les élèves. D'ailleurs, on constate cette année que les élèves de première ont une démarche de travail plus continue. Ils vont d'ailleurs commencer leurs épreuves de contrôle continu à la fin de ce mois.

Je voudrais revenir sur la rentrée de cette année dont j'ai affirmé qu'elle était réussie. Comme à chaque fois, des voix s'élevaient pour dire que nous rencontrerions de très grandes difficultés, que cette réforme était infaisable... Je pense aux emplois du temps notamment. Les problèmes soulevés en amont ne sont évidemment pas de faux problèmes. La réforme du baccalauréat nous oblige à repenser, et c'est heureux, la manière de concevoir les emplois du temps. Les chefs d'établissements ont mené un très gros travail. Au final, nous avons connu moins de problèmes d'emplois du temps que lors d'une rentrée ordinaire.

De même, certaines craintes concernant les choix des élèves ne se sont pas réalisées. La moitié d'entre eux s'est saisie de cette réforme pour composer des combinaisons originales qui n'existaient pas dans le système précédent. Les élèves ont donc pleinement profité des nouvelles opportunités qu'offre notamment la classe de seconde. On parle souvent de la première, mais tous les élèves de seconde suivent maintenant des enseignements communs obligatoires de sciences numériques et technologiques et de sciences économiques et sociales d'une heure et demie par semaine.

Les élèves de première ont fait des choix originaux. Ils ont aussi pu bénéficier d'enseignements nouveaux, notamment du programme « spécialité numérique et sciences informatiques ». Il s'agit d'une innovation extrêmement importante qui s'accompagne d'autres éléments visant à renforcer l'apprentissage de l'informatique au sein de notre système scolaire - je pense notamment à la création du Capes d'informatique.

Par ailleurs, nous consacrons plus de temps à l'orientation des élèves - c'est le grand changement à l'intérieur du grand changement -, singulièrement avec les nouvelles compétences dévolues aux régions. Les choses vont aller en s'amplifiant : nous travaillons en parfaite coopération avec les régions pour leur permettre de s'approprier ces nouvelles compétences, en concertation avec l'enseignement supérieur.

Concrètement, cela représente une cinquantaine d'heures annuelles consacrées à ces sujets. Les établissements disposent d'une grande liberté : ils peuvent, par exemple, organiser des « semaines de l'orientation » avec les régions et demander aux institutions d'enseignement supérieur ou au monde professionnel de venir parler aux élèves des enjeux de l'orientation de manière extrêmement pragmatique.

Je crois beaucoup à cette nouvelle dynamique, laquelle passe aussi par une évolution de l'Onisep, l'Office national d'information sur les enseignements et les professions. Là encore, je peux comprendre les inquiétudes, mais nous ne visons qu'à renforcer notre capacité d'orientation. Les différentes réformes que mène la nouvelle directrice de l'Onisep vont dans ce sens.

La rentrée 2020 est déjà en préparation, mais nous avons posé des jalons importants avant d'y parvenir. Je pense d'abord à celui de décembre avec les conseils de classe. Beaucoup redoutaient les conséquences de la réforme sur le déroulement de ces conseils, mais tout s'est bien passé. Les conseils de classe ont été différents, et c'est une bonne nouvelle. Alors que l'on se plaint des mêmes problèmes depuis des décennies, je trouve paradoxal d'exacerber les craintes alors même que les choses changent dans le sens souhaité par tout le monde. Mieux vaut souligner l'esprit d'innovation, la volonté d'aider les élèves à réussir...

Nous voulons que le conseil de classe corresponde le plus possible au groupe-classe qui représente tout de même la majorité des heures. La politique d'enseignement de spécialité par établissement permet à chaque établissement d'adopter son propre mode d'organisation. Si quatre professeurs sont concernés par 120 élèves, on peut réunir ces quatre professeurs-là et mener une politique d'établissement sur cet enseignement de spécialité, ce qui crée des effets de coopération et de transversalité. Les établissements qui l'ont compris en voient déjà les bénéfices. Que n'a-t-on entendu en amont du mois de décembre ! Au moment de dresser le bilan, on constate évidemment des failles, des insuffisances, mais aussi des avancées très intéressantes.

Comme vous le savez, nous avons mis en place un comité de suivi - annoncé dès cet été - pour faire remonter les échos du terrain et nous permettre d'apporter les ajustements nécessaires. Ce comité nous a alertés sur la charge de travail en français et nous avons pu aménager les programmes pour aider les professeurs : plutôt que de renouveler par moitié les oeuvres à étudier d'une année sur l'autre, nous n'en renouvelons plus qu'un quart ; de même, nous avons quelque peu diminué le nombre d'oeuvres à présenter, conformément aux préconisations du comité.

Conformément aux recommandations du comité, nous allons aussi proposer une nouvelle spécialité, ce qui me permet de souligner la souplesse de la réforme du lycée : nous sommes capables de créer de nouveaux enseignements de spécialité en tenant compte de l'évolution de la société, des attentes des élèves ou des observations des professeurs. Ainsi, nous avons ajouté aux programmes d'anglais qui pouvaient sembler un peu trop académiques à une partie des élèves et des professeurs un sous-ensemble intitulé « anglais monde contemporain » qui fera davantage de place à la lecture de la presse, à l'expression orale et à des enjeux très contemporains.

Nous prêtons bien évidemment une attention particulière aux mathématiques. Encore une fois, les craintes qui s'étaient exprimées ne se sont pas réalisées : environ les deux tiers des élèves ont choisi l'enseignement de spécialité « mathématiques ». On souligne parfois le caractère exigeant du programme de mathématiques, mais nous l'assumons : ceux qui abandonneront cet enseignement de spécialité entre la première et la terminale pourront suivre la spécialité « mathématiques complémentaires » en classe de terminale, dans tous les lycées de France. Cela signifie que tous les lycéens ayant choisi la spécialité mathématiques en première et se retrouvant sans cette dernière en terminale pourront prendre l'enseignement « mathématiques complémentaires ».

En terminale, les élèves seront donc dans un système « 3, 6, 9 » : trois heures de mathématiques complémentaires - probabilités et statistiques, pour les élèves en économie par exemple ou pour ceux qui se destinent à des études de médecine et qui ont aussi pris « sciences et vie de la Terre » et, par exemple, physique-chimie -, six heures pour ceux qui choisissent l'enseignement de spécialité « mathématiques » et neuf heures pour ceux qui suivent l'enseignement « mathématiques expertes ». Jusqu'à présent un élève de terminale S n'avait que huit heures de mathématiques hebdomadaires.

Nous avons mis en place un système modulaire, souple, qui permet à ceux qui le souhaitent de pousser l'excellence en mathématiques ou d'assurer un niveau correct pour ceux suivant moins d'heures d'enseignement. Loin d'affaiblir cet enseignement, nous le renforçons en tenant compte des rapports différents qu'ont les élèves à cette matière. En outre, j'ai préconisé la création de groupes de compétences l'année prochaine afin de tenir compte de l'hétérogénéité du niveau des élèves.

Comme vous le savez, la réforme Parcoursup avait conduit à la nomination de deux professeurs principaux en terminale. Cette expérience est assez réussie. Dans le futur, d'autres évolutions sont envisageables pour tenir compte de l'évolution du groupe classe et assurer le suivi approfondi des élèves à travers une conception renouvelée du professeur principal.

Le dialogue est continu sur ces questions. On me reproche parfois ma « verticalité », mais nous tenons compte des préconisations du comité de suivi, lequel se réunit très régulièrement - le prochain se tiendra le 28 janvier. Je reste très ouvert à toutes les observations.

Les épreuves du contrôle continu débuteront le 20 janvier prochain. Il s'agit d'un jalon de plus dans la valorisation du travail régulier des élèves. L'épreuve d'histoire-géographie sera de deux heures maximum et d'une heure seulement en langue vivante A et B. Les élèves de la voie technologique auront également une épreuve de deux heures de mathématiques. Chaque épreuve comptant pour 1,67 % de la note, le contrôle continu ne devrait pas engendrer un stress excessif... Les vertus seront multiples : comme je l'ai déjà souligné, cela permettra d'améliorer la coopération entre les professeurs d'un même établissement et d'établir une progression la plus homogène possible entre élèves de différentes classes.

La dématérialisation de la correction est un autre aspect très important de la réforme. Il s'agit d'un véritable saut technologique. À la fin du mois, chaque établissement de France sera à même de scanner les copies. Le système numérique mis en place permet de répartir les copies entre correcteurs d'un autre établissement que celui de l'élève. C'est une garantie non seulement d'anonymisation et d'égalité dans l'harmonisation des notes à travers les commissions d'harmonisation. Par ailleurs, l'élève pourra consulter sa copie en ligne dès qu'elle sera corrigée. Ce système va nous permettre d'en finir avec les incidents récurrents de pertes de copies ou autres qui existent depuis toujours.

Sur ce sujet encore, des inquiétudes se font jour. Le processus s'étalant sur plusieurs jours, nous aurons toujours la possibilité de remédier à la moindre difficulté informatique dans un établissement. Je tiendrai une visioconférence en fin de semaine avec les représentants des chefs d'établissements pour caler les derniers aspects pratiques de ce contrôle continu.

Je suis confiant quant au déroulement de la réforme. Nous allons déjà vers le prochain jalon, celui de la préparation de la rentrée 2020. L'année prochaine, les élèves de première auront donc choisi deux enseignements de spécialité de six heures pour la classe de terminale. Nous allons entrer dans une nouvelle phase. Nous sommes en train de publier les derniers textes afin de tenir compte, justement, des préconisations du comité de suivi et de celles de Cyril Delhay qui a remis son rapport sur le grand oral au mois de juin dernier. Cette épreuve permettra aux élèves d'exprimer toutes leurs compétences argumentatives, dans une épreuve d'une durée de vingt minutes.

Nous assumons pleinement cette réforme en profondeur du lycée français. D'autres pays sont intéressés par les différentes pistes que nous suivons. Il est essentiel de faire encore évoluer collectivement cette réforme, notamment par la concertation, en cohérence avec le monde de l'enseignement supérieur. L'aval conditionne beaucoup l'amont - je pense notamment à l'explicitation des attendus qui revêt beaucoup d'importance dans l'élaboration des programmes et au moment des choix des élèves.

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