Intervention de Frédérique Vidal

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 8 janvier 2020 à 16h30
Réforme du baccalauréat — Audition de M. Jean-Michel Blanquer ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et de Mme Frédérique Vidal ministre de l'enseignement supérieur de la recherche et de l'innovation

Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation :

Dès l'origine de la réforme, nous avons pensé l'orientation et la réussite des étudiants en fonction de ce continuum « moins trois, plus trois ».

Lors de la présentation du plan Étudiant, en octobre 2017, nous nous sommes inscrits dans une démarche ayant vocation à traduire notre philosophie du système d'éducation et d'enseignement supérieur, laquelle se retrouve aussi dans la réforme de la formation professionnelle portée par Muriel Pénicaud : comment donner à nos jeunes, et plus largement à nos concitoyens, au travers de l'apprentissage et de la circulation des connaissances, les moyens de construire leur parcours de la manière la plus libre et la plus éclairée possible, en pleine conscience des exigences de notre système d'enseignement ? Qu'il s'agisse de la transformation du lycée, du baccalauréat, du premier cycle universitaire ou de la formation professionnelle, nous visons l'émancipation par la connaissance.

Nous partons d'un constat identique : les logiques anciennes, établies en silos ou en tuyaux d'orgue, déterminent très tôt le parcours scolaire des élèves, leur entrée dans l'enseignement supérieur, et donc leur future vie professionnelle.

Selon nous, l'orientation, c'est permettre à chacun, dans le temps, selon sa maturité au lycée et tout au long du premier cycle de l'enseignement supérieur, de construire son parcours original, personnel, de manière à trouver sa voie vers la réussite. La confiance en soi est quelque chose d'essentiel pour notre jeunesse. Elle doit lui permettre de participer pleinement à la société et de s'y réaliser. Pendant trop longtemps, le baccalauréat a été le marqueur d'un saut dans l'inconnu dans le meilleur des cas, d'une rupture emplie de désillusions dans le pire des cas.

L'enseignement supérieur, dans sa diversité, dans son exigence académique portée par l'ensemble des établissements, était assez mal connu. Aussi était-il essentiel de construire une forme d'alliance entre les enseignants du secondaire et ceux du supérieur, de manière à mieux accompagner les jeunes et à leur expliquer les exigences des formations.

Nous avons donc décidé, comme l'a rappelé Jean-Michel Blanquer, de nommer deux professeurs principaux en terminale, de multiplier les rencontres entre enseignants du supérieur et du secondaire dans les commissions d'accès à l'enseignement supérieur. Aujourd'hui, ces acteurs se connaissent, se parlent et se transmettent le relais en matière d'accompagnement de notre jeunesse.

Le sénateur Brisson, entre autres, s'est très souvent demandé pourquoi nous avions choisi cette orientation-là. Je ne reviendrai pas sur le contexte très particulier du printemps 2017 avec un recours massif au tirage au sort et l'émoi bien compréhensible qui avait suivi. La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) avait enjoint le Gouvernement à agir promptement avant que le Conseil d'État n'annule la base juridique de toute la plateforme... Il s'agissait d'un contexte contraignant, mais qui avait du sens : il nous paraissait important de faire connaître les exigences de l'enseignement supérieur pour permettre aux jeunes de se préparer sereinement à y entrer. Il nous semblait aussi pertinent de donner quelques années à l'enseignement supérieur pour se préparer à mieux accueillir la diversité des étudiants à venir.

Il était donc essentiel de faire connaître les attendus en termes disciplinaires, mais aussi en termes d'exigence de travail et de compréhension des compétences à acquérir, de mieux intégrer dans les formations du supérieur la diversité des talents, des intelligences et des goûts, de faire savoir que les choses ne sont pas définitives, quels que soient les parcours et l'orientation depuis le lycée. Si l'on se donne les moyens de se former, l'univers des possibles reste largement ouvert. Encore faut-il que les jeunes aient bien conscience des exigences de l'enseignement supérieur.

Dès le mois de décembre 2017, nous avons décidé de ne pas calquer les attendus sur des filières existantes ou à venir du baccalauréat. Il s'agissait de dire aux jeunes que le système que nous mettions en place leur permettrait d'acquérir ces savoirs et de leur fournir l'information la plus fidèle possible sur les connaissances, les compétences, l'investissement nécessaires pour chacune des filières. Cet équilibre entre liberté d'orientation et connaissance des réalités est essentiel pour les jeunes lycéens dont aucun proche n'a suivi d'études supérieures. Les professeurs principaux, les conseillers d'orientation, les enseignants référents, les directeurs des études dans l'enseignement supérieur ont vraiment pris cet objectif à coeur.

Les attendus sont bien évidemment en train d'être affinés et nous demanderons aux établissements de ne pas les modifier pour la rentrée 2021, de façon à éviter toute stratégie laissant croire que tel ou tel choix de spécialités est un prérequis. Les attendus ne sont pas construits dans cette optique. Nos deux ministères ont ainsi édicté une charte, signée par les conférences d'établissements, le 17 janvier 2019, afin de garantir que les choix des enseignements de spécialité ne conditionneront en aucun cas les voeux de formation de Parcoursup : aucune formation ne pourra exiger telle ou telle combinaison de spécialités.

Je sais combien ce sujet suscite d'interrogations et d'inquiétudes pour les lycéens et leurs familles, je veux donc être la plus claire possible : notre objectif est bien d'assouplir le système et de donner la plus grande liberté de choix aux lycéens. Pour autant, cette liberté doit tenir compte de quelques réalités fondamentales : par exemple, ne jamais avoir suivi aucun enseignement scientifique si l'on veut devenir ingénieur me paraît discutable...

Toutefois, ces formations seront accessibles à l'aide de plusieurs combinaisons d'enseignements de spécialité, ce qui est nouveau. Nous avons aussi mis en place de nouveaux outils d'information et d'orientation pour permettre aux jeunes et à leurs familles de découvrir les opportunités qu'offrent différentes combinaisons de spécialités. Sur le site Horizons2021.fr, vous pouvez, par exemple, choisir des spécialités et regarder à quel type de métier elles conduisent. Ces combinaisons peuvent ouvrir des horizons extrêmement variables, extrêmement différents. Construire son orientation, c'est aussi être capable de se projeter dans ses études et, au-delà, dans une vie professionnelle.

Depuis la rentrée 2018, les établissements ont préparé, grâce à l'arrêté pris en août 2018, des parcours de plus en plus modulables et à la carte, qui permettent de mieux accompagner les jeunes en fonction des spécialités qu'ils ont suivies. La mise en place de ces parcours modulaires est financée en partie par le programme d'investissements d'avenir à hauteur de 450 millions d'euros.

Pour conclure mon propos, je voudrais prendre un exemple concret, celui des études de santé. Le profil de l'étudiant en Paces, ou première année commune aux études de santé, était jusqu'alors particulièrement bien identifié : statistiquement, il était presque impossible de réussir le concours de fin de première année si l'on n'avait pas un baccalauréat série S avec mention très bien.

Or la médecine de demain, et déjà celle d'aujourd'hui, exige des compétences de plus en plus diversifiées. Nous avons donc réfléchi à la meilleure façon de mettre fin à ce silo très identifié entre baccalauréat série S avec mention très bien et études de santé. Il s'agit de permettre à ceux qui avaient exprimé d'autres envies au lycée ou qui avaient eu besoin d'un peu plus de temps pour se projeter de découvrir les parcours santé.

Le nouveau système prévoit ainsi deux voies d'accès : la première, dénommée « parcours d'accès spécifique santé », contient, en sus des formations classiques de l'ancienne année de Paces, au moins une mineure dans un autre domaine disciplinaire ; pour la seconde, il faut passer par des licences de différentes disciplines - droit, économie-gestion, psychologie, philosophie, mathématiques, biologie... - comprenant une option « accès santé ». Il ne s'agit absolument pas de baisser l'exigence académique. Il existe aujourd'hui 35 portails d'accès aux études de santé correspondant aux 35 anciennes Paces et plus de 400 licences avec « accès santé » sur l'ensemble du territoire. Certains établissements, comme l'université de Strasbourg, ont décidé de ne plus travailler que sur la base de ces licences.

Ce nouveau dispositif va nous permettre d'attirer des jeunes reconnus pour leur excellence. Ces 400 licences sont ouvertes dans toutes les universités, même sans faculté de médecine ou centre hospitalier universitaire. Les jeunes peuvent ainsi démarrer leurs études de santé n'importe où, ce qui est une autre façon de remédier au déficit de médecins de certains territoires. Aujourd'hui, 108 sites permettent d'accéder aux études de médecine contre 35 l'année dernière. Briser les silos et les rigidités, c'est faire en sorte que ce soient les formations qui s'adaptent aux souhaits, aux compétences et à l'engagement des étudiants et non l'inverse.

Cet exemple particulièrement disruptif illustre notre volonté de permettre à chacun de trouver sa place, de réussir et d'aider à la construction d'une société plus apaisée.

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