Intervention de Marie-Christine Saragosse

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 11 décembre 2019 à 9h35
Audition de Mme Marie-Christine Saragosse président-directeur général de france médias monde

Marie-Christine Saragosse, président-directeur général de France Médias Monde :

Je suis enchantée d'être à nouveau devant vous. Je sais combien cette commission qui connaît très bien France Médias Monde s'est mobilisée autour des enjeux de notre groupe dont vous mesurez pleinement l'importance sur la scène internationale. Le débat sur la loi de finances a été l'occasion de voir combien le Sénat nous soutenait. C'est important pour les équipes. Votre soutien nous est précieux.

Je vais développer mon propos autour de deux axes pour vous convaincre, s'il en est besoin, que FMM est un outil plus essentiel que jamais pour la France et vous dire en quoi la réforme doit veiller à nous permettre de mener une politique plus offensive encore sur le plan de l'audiovisuel extérieur.

Pour ce faire, j'ai prévu de vous proposer quatre vidéos courtes qui parfois illustrent et permettent d'incarner ce que nous faisons mieux que des mots, encore que les mots soient le coeur même de notre métier.

La première présente France Médias Monde.

Nous étions fiers de montrer cette vidéo au DG7 à Berlin qui réunit les principaux médias internationaux occidentaux.

A l'appui de cette présentation, je voudrais revenir sur quelques idées fausses qui circulent parfois, auxquelles il convient d'apporter une réponse.

D'abord, l'information se consomme toujours principalement en direct et en linéaire et non sur le numérique. Nous avons 176 millions de contacts hebdomadaires en 2018, 130 millions se font en linéaire ; et c'est en forte croissance (+ 28 %) même si le numérique croît évidemment. Ceci signifie que nous ne devons pas lâcher un mode de diffusion pour l'autre.

Nos audiences sont en forte croissance. RFI et France 24 confirment leur succès en Afrique francophone. Nous avons un rôle écrasant, même effrayant, pour des médias, tellement il est lourd en termes de responsabilité. Nous sommes en tête des classements de notoriété et d'audience. Plus de la moitié de la population écoute et regarde RFI et France 24 en Afrique francophone. Et nous touchons les jeunes ! L'âge moyen est de 32 ans pour FR24 et 35 ans à RFI et parmi ceux qui consomment France 24 et RFI chaque semaine, 28% ont moins de 25 ans. Nous sommes des médias jeunes.

Nous évoluons dans un contexte de « guerre froide » de l'information, j'avais évoqué ce sujet lorsque vous m'aviez invitée en juillet 2018.

Nous avons des concurrents ouvertement hostiles et qui sont des vecteurs d'infox en particulier sur les réseaux sociaux, et de manipulations des opinions. En outre, nous avons des offensives sur le terrain, notamment la forte instabilité et la démultiplication des risques créent des situations difficiles pour nos journalistes et techniciens sur le terrain qui subissent aussi les foudres du terrorisme. Il y aussi des offensives contre nos infrastructures. En juin dernier, nous avons subi une cyberattaque sans précédent avec des pics jusqu'à 400 000 tentatives d'intrusion par jour. Nous avons une cellule de lutte contre les cyberattaques qui a été mobilisée 24 h/24. Nous avons réussi à la repousser en lien avec l'ANSSI et c'est en permanence que nous devons nous battre contre cela.

Notre ministre de l'Europe et des affaires étrangères en est pleinement conscient et s'était ainsi exprimé dans son discours à la dernière Conférence des Ambassadeurs et des Ambassadrices : « Il n'y a plus aujourd'hui de soft power, on est partout (...) dans le hard », ajoutant que « la culture, l'information et le développement sont bien les nouveaux attributs de la puissance et c'est comme cela que nous devons les représenter et les manier si nous voulons continuer à peser sur la scène internationale. » On ne peut pas être plus clair.

Les moyens de nos concurrents, y compris de nos amis augmentent fortement. Je rappelle les chiffres : nous aurons 255 millions d'euros de dotation en 2020 sur la redevance, BBC World se voit attribuer 430 millions d'euros dont 91 au titre sur l'aide au développement, la Deutsche Welle bénéficie de 350 millions d'euros et de 15 millions de plus l'année prochaine et « USA Global Media » qui regroupe les médias publics américains comme « Voice of America », Radio Free Europe, Radio Free Asia, radio Sahna, 700 millions.

A l'inverse, notre trajectoire est baissière puisqu'il est prévu de réduire nos ressources de redevance de 3,5 M€ entre 2018 et 2020. Comme nous avons des glissements inéluctables, le besoin de financement est de l'ordre de 15,8 M€ sur la période et nous avons d'ores et déjà réalisé près de la moitié du chemin en réduisant nos dispositifs de diffusion et de distribution (arrêt France 24 en anglais sur New York, Los Angeles et Washington ainsi qu'en Scandinavie en 2018, arrêt de la TNT Outre-Mer et arrêt de MCD aux Émirats arabes unis en 2019), efforts de productivité et d'économies sur les coûts de grille, économies sur les frais de fonctionnement et politique de départs volontaires ciblés négociés non remplacés au fil de l'eau.

Et nous devons continuer l'année prochaine à aller dans cette direction pour tenir l'équilibre de notre budget. Ces efforts d'économie creusent l'écart avec la concurrence qui elle bénéficie de moyens supplémentaires, il y a un effet « retard ».

Pourtant nous mettons en oeuvre une stratégie qui porte ses fruits, comme le reconnaît le Ministre de la Culture devant votre assemblée la semaine dernière quand il déclare : « Nous sommes conscients que FMM fait un travail remarquable avec des moyens limités. ».

Face à ces contraintes que nous partageons avec les autres entreprises du secteur public, il s'agit d'avoir une stratégie mondiale plus claire. Notre stratégie a une vocation universelle, nous y tenons et nous ne renonçons pas à une zone géographique particulière malgré les contraintes financières.

Notre stratégie se décline avec une hiérarchisation par zone géographique ainsi l'Afrique est au coeur de notre projet, c'est sans doute la première priorité géographique avec des contenus éditoriaux visant la jeunesse, le renforcement des langues africaines, une diffusion de proximité avec des rédactions délocalisées, beaucoup de développement numérique, et un réseau de plus de 500 radios partenaires, enfin, grâce à notre filiale CFI, une action renforcée de formation, notamment de la lutte contre les infox.

Au Maghreb et au Proche-Orient, nous assumons un rôle de médias d'équilibre avec France 24 en arabe qui est leader sur le Maghreb et touche plus de 26 millions de téléspectateurs et MCD, qui est connue au Proche et Moyen-Orient et rassemble 9,2 millions de contacts chaque semaine. Malheureusement, nous devons fermer le site de Chypre, le centre émetteur d'ondes moyennes. Les Américains s'étant retirés, il était difficile d'assumer la perte de 1,3 M€ liée à leurs départs. Cet émetteur servait de filet de sécurité en cas de fermeture d'émetteur FM ou d'impossibilité de reprise satellitaire. Nous nous rabattrons sur le numérique qui est notre nouveau filet de sécurité mais nous ne renonçons pas à la diffusion en FM, nous en avons 28 et nous allons en ouvrir une au Soudan.

En Europe, nous allons continuer à procéder à des retraits ciblés tout en préservant une importante présence puisque nous sommes probablement les chaînes françaises à le plus parler de l'Europe et à permettre aux citoyens de mieux connaître ses institutions. Nous disposons en Europe orientale d'une importante base en Roumanie, à travers RFI Roumanie, une rédaction qui, je l'espère, sera peut-être amenée à se développer dans d'autres langues que le roumain grâce aux projets que nous développons avec la Deutsche Welle, dans le cadre du traité franco-allemand d'Aix-la-Chapelle. Enfin, nous sommes partenaires de la chaîne en turc opérée par Deutsche Welle avec USAGM et BBC World et nous avons une rédaction russe qui monte en puissance.

J'en viens aux zones de développement. Aux Amériques, nous conduisons la montée en puissance de France 24 espagnol qui passe de 6 à 12 heures de diffusion le 20 décembre prochain et nous nous sommes complètement retirés et ne serons plus diffusés qu'en numérique. En Asie, nous avons été heureux de constater que nous faisions une percée significative dans cette zone incontournable des grands émergents qui est très intéressée par France 24, notamment au Vietnam et en Inde où nous venons de signer 40 nouveaux contrats de distribution. Au total, nous touchions 12 millions de téléspectateurs chaque semaine en 2018, c'est une progression assez fulgurante. Nous avons également des liens de proximité au travers les rédactions de RFI en chinois, en vietnamien et en khmer qui font beaucoup de résultats sur le numérique, en particulier.

S'agissant de nos axes stratégiques éditoriaux, c'est ce qui nous distingue de nos concurrents, nous avançons sur 4 axes.

Le premier axe : une information de référence qui inspire la confiance du public et lutte contre les infox. C'est la priorité des priorités, c'est notre métier que de proposer une information de référence vérifiée, honnête, équilibrée et indépendante et l'essence même de notre existence car beaucoup de zones en sont privées. Nous nous sommes lancés à corps perdu dans la lutte contre les infox grâce à nos rédactions parisiennes mais aussi grâce à nos 1000 correspondants et au 5000 « Observateurs » qui sont des citoyens engagés et notre rédaction vérifie les informations qu'ils font remonter. Nous diffusons beaucoup d'émissions pour lutter contre les infox notamment « Info/Intox » sur France 24 et « les dessous de l'infox » sur RFI. Nous faisons beaucoup d'éducation aux médias, 1500 élèves touchés au cours de la semaine des médias à l'école en France et partout dans le monde car nous allons dans les lycées français à l'étranger. Nous sommes partie prenante à des projets dédiés à destination de l'Afrique, avec CFI comme « Verifox » et avec Facebook, nous avons participé au démantèlement de 50 faux comptes qui, à Madagascar, en Côte d'Ivoire ou en RCA, diffusaient de fausses informations.

Et tous nos projets, par exemple en Europe Infomigrants, ou le projet que nous avons avec la Deutsche Welle, à destination des jeunes, visent à lutter contre les infox.

C'est vrai aussi dans la bande sahélienne. Je parle en présence de Jean-Marie Bockel que je salue du fond du coeur. Il y a eu des horreurs qui ont été dites à propos de la mort de nos 13 soldats, nous avons fait intervenir immédiatement le général Lecointre sur RFI qui a rétabli la vérité et nous avons disséminé cette intervention partout. Nous avons 30 syndications dans cette zone et nous avons notre présence sur Facebook, sur Twitter, pour rétablir la vérité. Ce travail continue quotidiennement, car il y a des diffusions de fausses photos. Mais nous n'avons pas d'effectifs formés à ce jour en langues africaines, en peul et en mandingue, ce qui est essentiel pour toucher ces populations. J'aimerais bien qu'en urgence, on puisse se renforcer.

Le deuxième axe est la promotion de la francophonie dans un monde plurilingue. Il ne faut pas opposer francophonie et plurilinguisme, ils ne s'opposent pas mais au contraire se renforcent mutuellement. Sur nos 176 millions de contacts hebdomadaires, 1 contact sur 2 se fait en français, donc l'autre moitié en langues étrangères, mais nous parlons en langue étrangère de la France et de la francophonie.

Nous développons aussi des ressources d'apprentissage du français à partir de 20 langues étrangères, accessibles aux grands débutants sur notre site RFI Savoirs. Nous sommes partenaires et travaillons en lien étroit avec l'OIF et de la Saison Afrique 2020, l'année prochaine.

Ensuite, en matière de plurilinguisme, nous nous développons dans plusieurs langues. D'abord, je dirai un mot de France 24 en espagnol puisque nous venons d'apprendre que nous étions autorisés et que notre conseil l'a décidé à l'unanimité pour passer à 12 heures de diffusion quotidienne. Et je voudrais vous montrer une courte vidéo sur France 24 en espagnol.

On espère, grâce à ce passage à 12 heures de diffusion, demandé par les câblo-opérateurs, augmenter notre impact dans cette zone qui est très francophile, qui connaît une dynamique économique qui peut nous intéresser et des mouvements politiques parfois inquiétants. Notre chaîne a beaucoup de succès notamment auprès des femmes ce qui est intéressant pour une chaîne d'information continue qui est très engagée dans la lutte contre les féminicides qui sont malheureusement fréquents en Amérique latine.

Le renforcement des langues africaines de RFI est au coeur des enjeux. Nous en avions trois actuellement : le mandingue, le haoussa et le swahili avec des rédactions et nous avons commencé le peul grâce à CFI qui nous a permis de débuter avec un premier magazine dans cette langue. Pour moi, la diffusion en peul est la priorité des priorités. Il faut parler peul. C'est la langue utilisée par les opposants dans la bande sahélienne ; si on laisse des contrevérités se développer, cela peut créer des antagonismes, voire susciter des phénomènes génocidaires. Il faut impérativement qu'on le parle davantage. Actuellement, nous diffusons 26 mn par semaine. C'est un succès retentissant, on a 37 000 messages à la suite de cette diffusion. Je vous laisse regarder la vidéo de présentation.

Nous sommes en train de négocier avec CFI, dont nous avons ici à mes côtés Marc Fonbaustier, qui est le PDG de CFI et le directeur de la stratégie de FMM, pour élargir ces diffusions en langues africaines. Simplement le rythme de développement de projets avec l'AFD est d'environ deux ans, on a commencé en septembre 2018 et on sera prêt peut-être en mars 2020 et parfois, il y a urgence, donc on n'est pas assez agile.

L'aide au développement doit vraiment monter en puissance. Nous avons ce projet Kibaaru (peul, mandingue, haoussa), mais il ne comprend pas le Swahili, la région des Grands Lacs. Or, au Kivu, c'est le swahili de RFI qui est le plus écouté et si on montait en puissance, ce serait aussi un outil de pacification, parce que c'est ce que nous faisons en délivrant de l'information équilibrée et plurielle parfois à côté d'interventions militaires.

Enfin le numérique irrigue toutes nos activités. Le linéaire est très important et nous ne devons pas lâcher un barreau de l'échelle pour l'autre. Nous avons une triple stratégie :

- d'abord une hyper distribution maitrisée - nous ne pouvons pas nous permettre le luxe de faire la tête aux plateformes, sans elles nous ne serions pas présents dans 176 millions de foyers dans le monde en 18 langues, nous devons travailler avec elles,

- ensuite, de nouveaux formats (podcasts natifs, « motion design » (vidéographie),

- enfin nous décloisonnons linéaire et numérique dans nos rédactions, tout le monde doit savoir tout faire même si on ne fait pas tout en même temps,

- et nous développons la culture data. Nous avons multiplié par 4,5 les résultats sur les langues étrangères de RFI grâce au travail sur les données sans jamais renoncer à notre ligne éditoriale, mais en l'adaptant au support et en ciblant mieux les publics.

Les chiffres sont renversants, on est passé de 900 M de vidéos et sons vus/entendus en 2018 à 1,5 Milliard sur les 11 premiers mois de 2019 ! Notre travail paye !

La réforme de l'audiovisuel public va créer une holding baptisée « France Médias ». Le parallèle avec la BBC et BBC World est frappant : France Médias et France Médias Monde. La BBC inspire cette réforme.

Nous souhaiterions au fond qu'elle l'inspire davantage cette réforme puisque nous savons par nos collègues de BBC World qu'il n'est pas facile de survivre dans un ensemble dominé par des chaînes nationales, ils nous le disent, lors de nos rencontres et encore récemment à Berlin la semaine dernière. Pour les protéger, un double mécanisme a été mis en place. D'une part, il bénéficie d'un plancher de redevance qui est fixé dans le contrat d'objectifs et de moyens de la BBC. Il s'agit bien d'un plancher, cela ne veut pas dire un plafond, il est toujours possible de faire mieux. Cela pourrait être une piste de réflexion pour nous. D'autre part, BBC World a un contrat direct avec le ministère des affaires étrangères, qui est sur l'aide publique au développement et qui permet de cibler des priorités géostratégiques de manière plus réactive. Bien sûr, nous travaillons très bien avec l'AFD, il y a une volonté de travailler ensemble qui est forte, simplement les procédures de l'AFD sont celles d'une banque et elles sont légitimes, mais parfois on a besoin d'aller plus vite, donc peut-être faut-il réfléchir à des moyens d'avoir des liens plus étroits avec le ministère. Ces liens plus étroits conforteraient la place du ministère dans l'ensemble de la structure France Médias puisqu'on sait, mais cela ne peut pas être inscrit dans la loi que ce ministère sera représenté par un administrateur au conseil de la holding. Mais il me semble que le ministère en s'investissant plus directement pourrait davantage piloter les enjeux internationaux au sein de la structure qui sera forcément dominée par les enjeux nationaux. C'est pourquoi nous plaidons pour un plancher de redevance et un financement mixte.

Par ailleurs, nous pensons développer de nouvelles synergies avec nos collègues avec qui nous travaillons fort bien et au sein de ce groupe, pensons pouvoir être un vecteur des ressources de l'international à travers nos contenus internationaux, que nous fournissons déjà dans Franceinfo, des contenus numériques, type podcasts que nous travaillons déjà avec Radio France qui a un grand projet où nous serons partenaires, des contenus en langues étrangères que nous apportons à Lumni la plateforme éducative du secteur public, les coproductions documentaires, la protection des correspondants ensemble avec Radio France, l'organisation de la formation internationale pour les journalistes que nous développons en lien avec l'INA, et notamment dans la lutte contre les infox. Nous pensons que nous pouvons apporter notre pierre à l'édifice. Et puis nous voulons poursuivre aussi les partenariats à l'international avec la Deutsche Welle. J'ai fait allusion au projet ENTER qui figure dans le Traité d'Aix-la-Chapelle et vise les jeunes Européens fragiles, pas ceux d'Erasmus, dans leur langue nationale -et peuvent avoir un vrai rôle pour l'avenir de l'Europe- et de la lutte contre les infox.

Pour finir, je voudrais rendre hommage à nos équipes sans lesquelles rien de tout cela ne serait possible, qui prennent des risques, qui vont sur des terrains dangereux qui se forment, qu'il s'agisse des équipes parisiennes, des équipes d'envoyés spéciaux, des équipes de correspondants et pour montrer leur vie qui ressemble peut-être à des formations d'autres métiers, je voudrais vous proposer un petit film sur ce qu'il font pour couvrir le monde entier, faire en sorte qu'il y ait une information libre à peu près partout et surtout sur nos antennes. Je vous remercie.

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